Comment inventer une nouvelle atteinte d’une infection médiatique

Je suis fasciné par le volume de publications dans PLOS one. Il est pour moi impossible ne serait ce que de lire tout les titres chaque semaine. Je me contente de la néphrologie. J’ai découvert un papier fort intéressant paru en juillet.

  1. Nolan, Melissa S., Amber S. Podoll, Anne M. Hause, Katherine M. Akers, Kevin W. Finkel, et Kristy O. Murray. « Prevalence of Chronic Kidney Disease and Progression of Disease Over Time among Patients Enrolled in the Houston West Nile Virus Cohort ». PLoS ONE 7, no. 7 (juillet 6, 2012): e40374.

Les auteurs ont suivi, pendant 1 an à 9 ans, 139 patients infectés par le West Nile Virus (WNV). Ils se sont plus particulièrement intéressés à la fonction rénale. Pendant un an et demi, tous les 6 mois, il a été effectué un examen clinique, un prélèvement sanguin et une analyse d’urine. Le débit de filtration glomérulaire (DFG) a été évalué par la formule MDRD et les urines ont été analysées par une bandelette. Chez 50 patients ils ont évalué l’excrétion rénale de NGAL et MCP1.

Pourquoi étudier la fonction rénale chez des patients ayant présenté une infection par le WNV? Deux raisons, la première est que ce groupe a rapporté une fréquence de prés de 10% d’IRA lors des infections symptomatiques. Deuxième raison, un autre groupe a montré chez le hamster doré que le WNV infecte le rein et peut y persister pendant 8 mois malgré la présence d’anticorps neutralisant dans le sérum. L’anatomopathologie est en faveur chez certains animaux du développement d’une néphrite tubulo-interstitielle chronique.

  1. Tesh, Robert B., Marina Siirin, Hilda Guzman, Amelia P. A. Travassos da Rosa, Xiaoyan Wu, Tao Duan, Hao Lei, Marcio R. Nunes, et Shu-Yuan Xiao. « Persistent West Nile Virus Infection in the Golden Hamster: Studies on Its Mechanism and Possible Implications for Other Flavivirus Infections ». Journal of Infectious Diseases 192, no. 2 (juillet 15, 2005): 287-295.

Les auteurs ont une cohorte constituée essentiellement d’hommes (60%) blancs (86%) agés en moyenne de 57 ans ( 30% plus de 65 ans), 25% sont obèses, 13% diabétique et 35% hypertendus. 50% ont eu une infection par le WNV compliquée d’une atteinte neurologique et 50% une infection peu sévère ou asymptomatique.  40% des patients ont une maladie rénale chronique. 30 % ont un stade 1 ou 2, c.a.d. protéinurie et/ou hématurie avec un DFG>60 ml/mn/1,73m2 et 10% ont un DFG <60 ml/mn). L’analyse multivariée montre que le seul facteur associé avec le risque de développer une maladie rénale chronique après une infection par le WNV est le fait d’avoir fait une forme neurologique de la maladie. Le résultat le plus intéressant repose sur l’analyse de 112 patients chez qui ils ont trois points de DFG. Sur une période de  un an et demi, le DFG diminue de 3,7 ml/mn/1,73m2. Les diabétiques de leur cohorte ne dégradent par leur fonction rénale suggérant un facteur indépendant d’altération de la fonction rénale. Pourquoi pas une infection chronique rénale par le WNV.

Ce papier est très intéressant. Malheureusement, il souffre de faiblesses qui ne permettent pas d’affirmer que le WNV est ou sera le virus de l’hépatite C du rein (tous les  deux sont des flaviviridae). Les faiblesses principales du travail tiennent à des choix méthodologiques. Pourquoi ne pas mesurer la protéinurie sur une échantillon et faire simplement une bandelette urinaire? C’est ridicule et ceci ne permet pas de trancher entre atteinte tubulaire ou glomérulaire d’autant plus que le niveau de la protéinurie en croix ne nous est pas donné. Même remarque pour l’hématurie. Le choix d’utiliser MDRD comme formule dans une population à priori sans insuffisance rénale n’est pas d’une grand pertinence. Il est à craindre que l’utilisation de MDRD est sur évalué l’altération du DFG chez des patients limites.  Nous aurions aimé voir les valeur de DFG moyen pour juger de la sévérité de l’insuffisance rénale chronique. Il est étonnant, chez des patients avec une atteinte rénale progressant et une protéinurie, que personne n’ait eu envie de mettre une aiguille dans quelques rognons. Les données histologiques manquent pour confirmer les resultats observées chez le hamster. Enfin, je ne comprend pas si on imagine que le WNV pourrait éventuellement infecter le rein humain de façon chronique et participer à la dégradation de la fonction rénale, qu’une virurie n’ait pas été recherché au moins chez ceux avec une dégradation. C’est un point essentiel qui manque. Le point fort du papier, avec la réserve de l’utilisation de MDRD, est la baisse non négligeable du DFG sur la période d’observation.

Si j’avais été le reviewer, j’aurai au moins demandé que les auteurs estiment le DFG avec CKD-EPI. Ce n’est pas très difficile et ceci donnerait plus de force à l’article. Malgré ces limites, l’hypothèse de ce papier reste très intéressante. Une infection virale chronique pouvant chez certains patients entrainer ou accélérer une dégradation du DFG est assez séduisante. La constitution d’une nouvelle cohorte mieux explorer sur le plan rénal devrait permettre de répondre à la question.

J’aime bien voir la science se faire, soit cet article est le début d’une histoire passionnante soit ce n’est qu’un artefact méthodologique. J’ai le sentiment que nous allons voir fleurir les études sur un éventuel lien entre WNV et maladie rénale chronique. D’autant plus que cette année le WNV est particulièrement virulent aux USA.

Au fait il y a du virus West Nile en france ?

Depuis 2000, il y a eu trois épidémies essentiellement équines sur le pourtour méditerranéen, en petite Camargue, Var et Pyrénées-orientales. Les dernier cas humains en France datent de 2003. D’autres pays sont touchés en Europe, en particulier, la Grèce et la Roumanie.  Une étude sérologique sur les donneurs de sang dans le sud-est montre qu’en Camargue, 1,4% des donneurs de sang ont des Ac contre le WNV.

Le WNV est transmis par les piqures de moustiques. Son hôte habituel sont les oiseaux (on comprend mieux les cas en Camargue). Le cheval et l’homme sont des hôtes accidentels. Ce n’est pas une maladie très virulente. L’infection est asymptomatique dans 80% des cas. Dans les 20% restant, 2 à 15 jours après la piqure, des symptômes apparaissent, de la fièvre, des maux de tête, une sensation de malaises, des myalgies, des nausées et vomissement (une bonne grosse grippe). Malheureusement, dans quelques cas (1%), l’infection peut se compliquer d’une méningite, d’une encéphalite et encore plus impressionnant d’un tableau poliomyélite like avec une paralysie flasque d’installation brutale. Le diagnostic repose sur la sérologie, la biologie moléculaire et l’isolement du virus. Il n’y a pas de traitement spécifique.

Le seul moyen de prévention est d’éviter de se faire piquer par des moustiques.

Si vous voulez tous savoir sur le WNV, je vous conseille ces deux articles en français

  1. Lanteri, Marion C., Azzedine Assal, Philip J. Norris, et Michael P. Busch. « Le virus West Nile ». Med Sci (Paris) 27, no. 4 (avril 2011): 375-381.
  2.  Lanteri, Marion C., Michael S. Diamond, Philip J. Norris, et Michael P. Busch. « Infection par le virus West Nile chez l’homme ». Med Sci (Paris) 27, no. 4 (avril 2011): 382-386.

 

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Une réponse à Comment inventer une nouvelle atteinte d’une infection médiatique

  1. john doe dit :

    Merci pour les références disponibles.

    On est frappé en effet par le manque de données simples concernant les urines, mais aussi d’autres constantes biologiques basiques, par exemple l’hémoglobine (60% d’anémiés c’est du lourd quand même, mais bon pas de normes). Par contre on a la tarte (NGAL) avec la crème (MCP-1), chouette.

    Bonne idée en effet que de se poser cette question entre ce virus émergent et le rein, mais qui illustre le piège tendu par les néphrologues eux-mêmes avec cette satanée classification en 5 stades. On la brandit dans tous les coins mais on n’est toujours pas en mesure d’avoir partout le même dosage de créatinine et la formule adaptée, en tout cas pour les stades les plus précoces, c’est à dire la grande majorité des cas (réels ou imaginaires).

    On y rajoute la protéinurie tant mieux mais ce n’est pas encore parfaitement au point. L’âge est complètement évacué par exemple, alors que c’est un des élements de base du jugement clinique.

    Résultat : tout le monde va se mettre à écrire des articles sur le risque de MRC avec des stades 1 et 2 en association avec je ne sais quoi, et ça va noyer les bonnes idées.

    Pour cette étude, on ne sait pas non plus si les malades sont « guéris » ou non du virus du Nil de l’Ouest.

    Allez, peut-être eut-il fallu calculer le Cockcroft chez tous ces braves texans, la cohorte ressemblait à peu près à celle de 1976, non? Plutôt mâle et blanche et grosse. Diabétique à l’époque? Je ne sais plus.

    Allez j’arrête de ronchonner. Bon WE.

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