Faut il faire une échographie rénale à toutes les insuffisances rénales aigues ?

La science est formidable. Elle nous oblige à revoir tous nos dogmes. Elle peut être angoissante, elle nous force à vivre dans l’incertitude. De nombreuses personnes ne l’aiment pas, essentiellement pour cet inconfort.

La réponse qu’appelle mon titre semble évidente. Je reconnais volontiers que je répondais jusqu’à hier: « oui, oui, oui ». Et je suis tombé sur cet article que j’avais raté à sa publication.

  1. Licurse A, Kim MC. « Renal ultrasonography in the evaluation of acute kidney injury: Developing a risk stratification framework ». Archives of Internal Medicine 170, no. 21 (novembre 22, 2010): 1900-1907.

Je crois que je ne m’en remettrai pas. Cet papier d’Archives of Internal Medicine fait partie de la série « Less is more » du journal. Les articles de cette section sont des pépites. J’avais fait une note sur la démarche diagnostic devant une IRA. Je vais, peut être, devoir revoir ma stratégie en intégrant les données présentaient ici.

L’objectif de cet article est d’identifier un groupe de patients hospitalisés présentant une insuffisance rénale aigüe (IRA) pour lesquels une échographie rénale est du luxe. Il s’agit d’une étude rétrospective réalisée à Yale chez des patients hospitalisés (je le répète, c’est important). Les auteurs décrivent deux populations, la première sert à créer le modèle. Elle comporte 200 patients avec une IRA, 100 patients sans hydronéphrose et 100 patients avec hydronéphrose. Elle permettra d’identifier les facteurs de risque d’avoir une IRA d’origine obstructive, ou plutôt une hydronéphrose (HN). L’autre cohorte est dites de validation, elle est constituée de 800 patients. Les patients transplantés, les femmes enceintes et les personnes diagnostiquées avec une hydronéphrose il y a moins de 30 jours sont éliminés du champs de l’étude.

L’analyse de la cohorte dites de dérivation va identifier  7 facteurs de risque (je vous conseille la lecture de la table 1) de retrouver une hydronéphrose quand on fait une échographie à un patient hospitalisé qui présente une insuffisance rénale aiguë définit par une augmentation d’au moins 26 µmol/l de la créatininémie. Ces sept FdR permettent de calculer un score qui classe les patients dans trois groupes de risque.

Les sept points sont:

  1.  Antécédents d’hydronéphrose (Classe obligatoirement dans le groupe haut risque)
  2. Infections urinaires récidivantes (Un point)
  3. Histoire clinique en faveur du diagnostic d’IRA obstructive (Un point)
  4. Sujet de race non noir (Un point)
  5. Absence d’exposition à des néphrotoxiques (Un point)
  6. Absence d’insuffisance cardiaque congestive (Un point)
  7. Absence d’une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle (Un point)

Les trois groupes de risque:

  1. Groupe à risque Faible (<2 points) avec une prévalence attendue d’hydronéphrose de 1 à 20%
  2. Groupe à risque Intermédiaire ( 3 points) avec une prévalence d’hydronéphrose de 20 à 40%
  3. Groupe à risque Élevé (>3 points) avec une prévalence d’hydronéphrose >40%

Leur cohorte de validation est constituée de patients hospitalisés de 65,6 ans en moyenne, 54,6% d’homme, 22,8% de noirs. 10,6% ont une hydronéphrose dont 31,7% nécessiteront une intervention.

Les résultats sont présentés dans les deux figures suivantes:

Prévalence de l’hydronéphrose (HN) et de l’hydronéphrose nécessitant une intervention (HNRI) en fonction des groupes à risque.

Nombre de patients à dépister et cout du dépistage de l’hydronéphrose (HN) et de l’hydronéphrose nécessitant une intervention (HNRI) en fonction des groupes à risque.

Un quart des patients (223) sont classés dans le groupe à faible risque d’HN. Seulement 3,1% ont une hydronéphrose et un seul patient avec un obstacle nécessitant une intervention. La prévalence de la dilatation des cavités pyélocalicielles est de 10,7% pour le groupe risque intermédiaire et de 16,1% dans le groupe haut risque. La valeur prédictive négative de la stratification est de 96,9% pour l’HN et de 99,6% pour celle nécessitant une intervention. Le nombre de patients à dépister pour trouver une hydronéphrose dans le groupe faible risque est de 32 et de 223 pour une dilatation qui nécessite un traitement. La stratification pourrait permettre d’économiser 42000$ par an.

Cet article est un bel exemple de mise en discussion d’un dogme. Une analyse pertinente de l’histoire clinique permet de classer les patients dans un groupe à faible risque où  la probabilité de rater une cause obstructive si on ne fait pas l’échographie est faible. On peut trouver probablement beaucoup d’autres situations cliniques où une stratification pré-test pertinente diminuera le nombre d’examens inutiles.

Il est probablement trop tôt pour conseiller de se passer de l’échographie chez les patients à faible risque hospitalisés. Pour les étudiants qui me lisent et qui préparent l’ENC, demandez une échographie rénale devant toute insuffisance rénale aiguë.

Il s’agit d’un papier rétrospectif, dans un centre unique, avec des patients recrutés par le biais de la radiologie. Nous n’interrogeons pas ici des patients avec une IRA qui auraient eu de façon systématique une échographie. Il est indispensable de confirmer leur approche de stratification par une étude prospective de patients recrutés par l’entrée IRA et non échographie. De plus leur travail ne s’adresse qu’aux patients hospitalisés. Il serait très intéressant de l’étendre aux patients entrant par les urgences.

Malgré ces limites, j’aime beaucoup se papier. Il montre qu’une bonne analyse clinique, systématique précédant la demande de paraclinique est indispensable pour l’optimiser. L’approche des auteurs est un modèle du genre. Pour la pratique, je pense que chez les patients du groupe à faible risque, on peut conseiller de réaliser l’échographie de façon décalée et si les mesures thérapeutiques mises en œuvre son inefficaces. Il est certain que si vous ne voulez ratez aucune obstruction il faut faire systématiquement cet examen. C’est une question de choix et les deux attitudes sont acceptables, encore une fois dans le groupe faible risque.

Dans un système, où la ressource en radiologue disponible diminue, où la maitrise des dépenses est importante, où le confort du patient est de plus en plus pris en compte, ne pas réaliser un examen qui a toute les chances d’être inutile me parait de la bonne médecine.

J’ai hâte de voir un article prospectif validant ou infirmant cette stratégie. Je vous incite à lire ce papier, vous apprendrez énormément de chose sur l’insuffisance rénale aiguë. Une belle démarche intellectuelle, c’est agréable. Un must read…

Ce contenu a été publié dans Medecine, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Faut il faire une échographie rénale à toutes les insuffisances rénales aigues ?

  1. doudou dit :

    merci du signalement dans ses 2 volets: le problème et surtout une démonstration de recherche clinique
    la théorie nous dit qu’il est peu utile de faire une exploration de dépistage dans des situations de prévalence faible mais il faut un clinicien expérimenté pour sortir des protocoles basiques( et la nous errons dans la nuit en cherchant notre armée)et prouver la validité d une prise en charge plus complexe et aussi savoir s’en écarter pour ne manquer le malade dissident: faire une embolie pulmonaire avec des ddimères négatifs est un risque majeur et j’en ai vu plus que le pourcentage de la littérature
    proche de la néphro j’avais approché la méthodologie de dépistage des SAR dans DRASTIC mais localement tout le monde s en fout et continue à demander les examens n importe comment

  2. K dit :

    J’éspère que les radiologues ne vont pas lire cet article… Ca va être encore plus chiant d’avoir une écho en urgence! bon courage les internes de garde!

Répondre à doudouAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.