Un arbre sur la colline…

Il y 5 ans, sur la route d’Heidelberg à Berlin, nous nous étions arrêtés à Weimar. Weimar est célèbre pour trois choses, son importance comme centre culturel au XIXé siècle, lié à la présence de Goethe, la république et enfin le camp de concentration de Buchenwald.

Étant à Weimar, qui est par ailleurs une ville agréable, nous sommes allé visiter l’ancien camp de Buchenwald. Ce fut un immense choc. J’ai lu sur l’histoire de l’extermination des juifs d’Europe, en particulier cette immense livre qu’est « la destruction des juifs d’Europe » de Raul Hilberg. J’avais frissonné devant tant d’inhumanité ou peut être cet excès d’humanité que représente l’idée d’exterminer l’autre qui a conduit à la création de ces camps. Vous pouvez avoir lu Hilberg, des témoignages de rescapés, vu « Nuit et Brouillard », Shoah, rien ne vous prépare à la rencontre avec ce lieu.

Weimar est une charmante petite ville, le camp est sur une colline, l’Ettersberg. Vous montez la route dans la forêt, vous arrivez au portes du camp en suivant la voie ferrée, puis vous arrivez au quai de débarquement, après cette interminable ligne droite. La gare du camp a été crée en 42-43, jusqu’à cette période, les condamnées (essentiellement des politiques) allaient de la gare de Weimar au camp à pied soit huit kilomètres dont quatre d’une immense ligne droite, le chemin de sang.

La vue du camp est belle. On domine la vallée et la douce campagne du Thuringe. Il faisait beau, un immense ciel bleu de février, froid et translucide, si vivant. Vous êtes là au cœur de ce bel après-midi. Vous savez ce qu’il s’est passé ici. Vous vous demandez:

« Comment est ce possible?
Comment est il possible qu’en ce lieu, si beau, de construire un camp dédié à la mort? »

Vous visitez, les emplacements des baraquements, le corps principal avec ses expositions et le cœur du camp, le crématoire, le premier de l’histoire des camps.

Des fours crématoires, vous vous dirigez pour voir ce symbole de l’horreur. A l’entrée, cette photographie abominable de corps entassées morts, de la viande, des hommes décharnés, morts.

Terrible, atroce, vous êtes saisis et vous rentrez. Vous voyez deux fours, deux immenses yeux fermés et brutalement toutes les victimes qui se sont envolés ici vous regardent. Un frisson vous parcourt et des larmes arrivent, débordent, coulent sans bruit. L’émotion est immense, au cœur de la machine de mort nazie, vous êtes happés par la somme de douleurs, de violence, de haine concentrées dans ce petit bâtiment banal. Vous sortez, bouleversés et  vous qui n’avez fait que passer, êtes transformés. Comment des hommes ont pu vivre après avoir vécu ça? La pulsion de vie est une chose mystérieuse et belle.

Plus loin, un tronc coupé ras, une souche, c’est le chêne de Goethe. Dans l’enceinte du camp, cet arbre, qu’on imagine immense, où la légende veux que le plus grand poète allemand vienne se reposer, cherchant l’inspiration.

Au cœur de la monstruosité national-socialiste, dans ce lieu dédié à la mort, à l’humiliation. Les nazis ont respecté l’arbre. Finalement, il est mort puis il a brulé pendant un bombardement allié. Il ne reste que cette souche là haut sur la colline. Métaphore de la folie de ce régime.

J’ai cherché des photos, je réalise que je n’en ai prise aucune… Ce n’est probablement pas anodin. J’ai préféré garder les images dans ma tête. En fermant les yeux, je vois le ciel bleu et le crématoire, les marques au sol traçant les baraquements, la terrible exposition, la ligne droite bordée de si beaux arbres dont certains ont été les silencieux témoins de cette monstruosité et la petite cour du crématoire.

Pourquoi après tant de temps me souvenir de Buchenwald?

Je voudrais vous inciter à écouter une fantastique émission de france culture, une émission de l’atelier radiophonique: « Le chêne de Goethe ». Elle vous raconte l’histoire de cet arbre mythique, de ce camp par la voix de survivants, d’historiens, de chanteurs et surtout de poètes. Elle parle de la poésie, de l’importance de la poésie pour survivre au milieu de la mort. Elle explique une particularité de ce camp. Il est le seul à ne pas porter le nom du lieu où il est localisé. Pudibonderie des bourgeois de Weimar qui ne voulaient pas voir accolé à l’image de leur ville, celle d’un camp. Elle vous conte l’histoire d’un visage (le dernier visage de Apitz), cette sculpture incroyable faite dans le bois du chêne.

Elle vous dit l’humanité, au milieu de l’inhumain. Elle vous parle de nous, êtres humains, pour ne pas oublier, n’oublions, jamais, n’oublions jamais. Lisez la phrase de Semprun sur le site, regardez la photo de la souche avec en arrière plan le bâtiment des fours.

Parmi les prisonniers politiques, parmi les juifs, les gitans, les communistes et tous les autres, il y avait aussi, à Buchenwald, des triangles roses. N’oublions pas jusqu’où la haine de l’autre, du ressenti différent peut nous conduire. Toute la grandeur de l’homme est dans l’acceptation de l’altérité, pour se découvrir.

Écoutez cette émission, regardez les photographies accessibles dans la très impressionnante galerie en ligne, ici, surtout celles d’Angeli, parcourez le site du mémorial, allez visitez Buchenwald, vous reviendrez un peu plus humain, j’espère.

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4 réponses à Un arbre sur la colline…

  1. doudou13314682 dit :

    Sur Buchenwald plus qu’une monographie personnelle les nombreux textes de J. SEMPRUN sont une bonne approche spécifique, la »littérature concentrationnaire »est gigantesque difficile d’en citer un plus marquant pour moi R Antelme sans doute

  2. Superbe docu-fiction, bouleversant : le journal d’Anne Frank http://bit.ly/YEpiWQ pour que tout cela ne tombe jamais dans l’oubli.

  3. Jack8256 dit :

    Un travail artistique antérieur autour de l’arbre de Goethe, par Patricia Erbelding, fait l’objet d’une exposition à la Galerie Jacques Lévy en Juin:
    http://iledefrance.leguideculturel.com/V3/agenda_fiche.php?id=10990&l=29283

  4. Merci pour votre témoignage émouvant -car personnel. Je venais de rédiger un article sur l’écrivain et résistant Jacques Lusseyran, qui fut interné à Buchenwald, et plus particulièrement sur la place inattendue que tenait, selon lui, la poésie à Buchenwald (http://contemplations-alexandrine-akhan.over-blog.com/jacques-lusseyran-les-po%C3%A8tes-de-buchenwald). Et ma mère m’a demandé à ce moment-là : connais-tu l’histoire du « chêne de Goethe » ? J’aurais dû… Mais étonnamment non. Ce qui m’a conduit à faire des recherches, jusqu’à votre article. Il y a visiblement plusieurs interprétations à cette histoire. Mais peut-être est-ce toujours ainsi en poésie : on choisit celle qu’on veut… Et OUI : autant choisir celle qui donne de l’espoir -et de la lumière… Je vais de ce pas écouter l’émission de France Culture : merci beaucoup pour ce lien.

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