« Des Gaulois aux Carolingiens » de Bruno Dumézil

Il y a longtemps que je n’avais pas lu un livre d’histoire d’autant plus une histoire de France. J’aime l’histoire. J’ai redécouvert cet amour pendant mon post-doc en Allemagne, pour accompagner mes longues sessions au confocal, avec les podcasts de la fabrique de l’histoire.

J’ai été ingrat avec cette belle discipline qui m’a permis d’avoir le bac de façon totalement inattendue. J’ai réussi cette épreuve initiatique française grâce à un immense livre « les rois thaumaturges » de Marc Bloch avec une fabuleuse préface de Jacques Legoff. Je l’ai lu à 17 ans, je ne pense pas avoir tout compris, mais je me souviens de l’éblouissement qui m’avait saisi pour l’intelligence qui transpirait des pages de ce superbe texte. J’avais utilisé ce texte pour argumenter ma copie de philosophie et j’ai eu un 16 me permettant d’avoir le bac. J’avais envisagé de faire de l’histoire, mais la faculté de médecine était plus proche que celle d’histoire…

J’ai découvert Le livre de B Dumézil, le  premier d’une collection « Une histoire personnelle de la France » aux PUF en écoutant deux émissions, la première était une fabrique de l’histoire d’actualité. Je vous conseille son écoute. Mme Gauvard donne une grande leçon sur la science qui dépasse largement le cadre historique. J’ai eu une piqure de rappel avec les lundis de l’histoire de Jacques Legoff. Ces deux écoutes m’ont poussé à vaincre ma petite réticence à relire de l’histoire.

Je ne suis pas déçu. Je ne peux que conseiller la lecture de ce merveilleux ouvrage de 200 pages qui arrive à nous donner une image actuelle de la recherche en histoire sur ces 8 siècles.

L’écriture est très agréable, très fluide, sans lourdeur, pas de notes de bas de pages, juste la chair du texte soutenue par l’os du savoir de l’auteur. La forme est parfaite avec des chapitres courts, didactiques, des cartes permettant de resituer les lieux. Mettre en perspective la longue durée et l’illustrer par des anecdotes est très efficace pour faire passer le message, des permanences et des évolutions sans réelle rupture. De la véritable histoire non téléologique.

Sur le fond, je suis un béotien, je ne me permettrai aucune critique. J’ai appris énormément de chose, la surprenante continuité entre empire romain et mérovingien, la lente progression entre les héritiers de l’empire romain et l’apparition d’un protovassalisme. Il est étonnant de voir comme les structures romaines puis mérovingiennes étaient modernes avec ses fonctionnaires, ses impôts, sa méritocratie, l’absence d’hérédité, etc.

C’est une magnifique œuvre de déconstruction des mythes français, non nous ne sommes pas les enfants des gaulois, ni de Charlemagne, la France actuelle n’a probablement rien à voir avec la gaule ou la Francie occidentale. L’auteur nous explique pourquoi ces mythes ne sont que des constructions politiques utiles à un moment donné. Par contre il nous montre la richesse de ces périodes reculées, la permanence des structures sociales et leurs évolutions, émergence du rôle de l’église, les jeux politiques, les raisons des disparitions de ce fonctionnariat impérial.

C’est passionnant. C’est une histoire de l’Europe. Peut on faire une histoire de France sans faire une histoire de l’Europe? La lecture de ce texte rend évident que notre histoire est avant tout européenne, intégrant toutes les influences qui la transforme, la font évoluer. Le fantasme d’une France éternelle et de son identité pure n’est qu’un rêve.

Un bonheur de lecture, un bonheur intellectuel, pour mieux comprendre notre passé, pour ne pas vivre dans le fantasme, pour déboulonner nos mythes, pour créer une nouvelle vision résolument optimiste de l’histoire. Je suis ébloui par la qualité de cet ouvrage. Je retiendrai cette belle idée que le plus important héritage des gaulois est le paysage de France. Je suis ému en voyant ces campagnes et en imaginant que c’est le lent travail commencé il y a plus de 2000 ans de défrichages, de labours, de constructions, de mise en place de voies de communications qui a modelé notre espace. Voici pourquoi malgré tout nous sommes encore un peu les enfants de nos lointains ancêtres les gaulois.

C’est un très beau travail de vulgarisation au sens noble du terme. Rendre accessible les derniers résultats de la recherche, simplifier pour facilité la compréhension, mais montrer les zones d’ombres et la complexité sous-jacente. Ne pas enfermer la pensée dans un modèle indépassable, laissez la porte ouverte. Montrer que si les questions restent les mêmes, les réponses changent avec les progrès de la science. J’aime ce livre intelligent que vous refermez en l’impression d’être un peu moins bête.

Bonne lecture. Je vais attaquer la suite de notre histoire avec le temps des capétiens.

Savoir d’où nous venons pour mieux savoir où nous allons et surtout ne pas vivre dans une image rêvée et fausse qui nous plombe, nous empêche de penser l’avenir de façon apaisée, optimiste et joyeuse. Merci à cette belle collection et à la recherche historique française qui malgré ou grâce à toutes les questions qu’elles se posent restent d’un grand dynamisme.

Ce contenu a été publié dans Histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à « Des Gaulois aux Carolingiens » de Bruno Dumézil

  1. lm dit :

    je lis toujours avec beaucoup de plaisir votre blog qui m’apporte plein d’infos sur la nephro, mais sur le meme sujet que votre post, brunhaut du même bruno dumesnile sur une reine merovingienne apporte un eclairage plus ponctuel sur la periode avec apparement la meme fluidité de lecture (je ne suis pas no plus historienne) que l’ouvrage dont vous parlez, il a aussi ecrit « les barbares racontés à mes enfants » qui fait un bon resumé de cette periode

  2. wain" dit :

    grâce à votre critique convaincue, cadeau de noël réussi auprès d’un amateur d’Histoire , qui a bcp apprécié l’ouvrage. Merci !

Répondre à lmAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.