Pas si simple le risque cardio-vasculaire chez le patient avec une insuffisance rénale chronique

L’insuffisance rénale chronique est un facteur de risque cardiovasculaire comme la protéinurie. Ceci ne fait plus de doute. La principale cause de décès chez l’insuffisant rénal chronique sont les maladies cardiovasculaires. Le sur-risque est très important. Ceci est bien illustré par ce graphique classique de la mortalité CV chez le dialysé.

Diapositive1

Il est très tentant de penser que la prise en charge optimale des facteurs de risque cardiovasculaire va permettre de diminuer la mortalité.

Le facteur de risque classique le plus attaqué a été le cholestérol. Trois grands essais ont été réalisés, 4D, AURORA et SHARP. Aucun de ces essais n’a montré qu’une diminution du cholestérol chez l’insuffisant rénal chronique diminuait la mortalité cardio-vasculaire et/ou globale. Il n’y a donc aucun rationnel à l’heure actuelle à donner une statine en prévention primaire pour diminuer la mortalité des patients insuffisants rénaux chroniques.

Cet échec de l’intervention sur le cholestérol n’est qu’une demie-surprise quand on sait que les patients porteurs d’une insuffisance rénale chronique ont rarement un cholestérol très élevé. Une étude récente observationnelle vient enfoncer le clou, sur le rôle marginal de l’hypercholestérolémie dans le risque cardiovasculaire au cours de l’IRC. Il s’agit d’un travail du groupe collaboratif de l’Alberta sur les maladies rénales chroniques. Ce groupe hyperactif publie dans une revue majeure, tous les 3 à 6 mois, un nouvel article.

  1. Tonelli, Marcello, Paul Muntner, Anita Lloyd, Braden Manns, Scott Klarenbach, Neesh Pannu, Matthew James, et Brenda Hemmelgarn. « Association Between LDL-C and Risk of Myocardial Infarction in CKD ». Journal of the American Society of Nephrology 24, no 6 (31 mai 2013): 979‑986. doi:10.1681/ASN.2012080870.

Les auteurs se sont intéressés dans un grande cohorte de patients plus de 836060, inclus de 2002 à 2009 avec un suivi médian de 48 mois, à la fréquence de survenue d’un infarctus du myocarde (IDM) en fonction du niveau de LDL-C et du DFG estimé. Leur résultat montre que plus le cholestérol est élevé plus le risque de présenter un IDM est important quelques soit le DFGe (CKD-Epi). Un résultat « amusant » est que le risque non ajusté de présenter un IDM est plus important chez le groupe de patients (9,7 IDM/1000 patients-année) avec le LDL le plus bas (<2.6 mmol/l) et le DFGe (15-59 ml/mn) le plus bas  que chez ceux (3.1/1000 IDM/1000 patients-année) avec le cholestérol le plus haut (>4.9 mmol/l) mais une fonction rénale normale (>90 ml/mn). Après ajustement ceci disparait. Les auteurs ont réalisé une intéressante analyse statistique pour voir l’effet de l’augmentation du cholestérol sur le risque d’IDM entre différents groupes de patient avec des DFG variables. C’est LE résultat.

figurepapier

Chez le patient sans IRC l’augmentation du risque de présenter un IDM croit de façon exponentielle avec celle du cholestérol, chez ceux avec une IRC cette augmentation est seulement linéaire. La conclusion des auteurs est que le poids du cholestérol sur le risque cardio-vasculaire est plus faible chez le patient insuffisant rénal chronique que chez le patient sans IRC. Le LDL-cholestérol est un mauvais marqueur du risque CV chez l’insuffisant rénal chronique.

Ce beau travail observationnel explique en partie l’absence de bénéfice du traitement dans les essais. Je vous rappelle qu’ici nous ne parlons que du LDL-C et de l’IDM et en aucun cas de la mortalité. J’aimerai avoir ces chiffres… Mon petit doigt me dit qu’on va les voir sortir bientôt mais dans un meilleur journal que JASN… Juste dans la figure, regardez bien dans la population générale, l’aspect de la courbe…

J’espère vous avoir convaincu que s’acharner à lutter contre l’hypercholestérolémie chez l’IRC n’est pas un combat qui devrait trop mobiliser nos forces surtout en prévention primaire.   C’est un facteur de risque cardio-vasculaire indéniable mais dont le poids n’a rien à voir avec celui observé dans la population générale.

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5 réponses à Pas si simple le risque cardio-vasculaire chez le patient avec une insuffisance rénale chronique

  1. john doe dit :

    Bonjour.

    Intéressant pour moi de lire ce compte-rendu après avoir assisté hier à une réunion sur les dyslipidémies, avec un topo fait par le médecin régional de MSD, qui a présenté à la va-vite SHARP, avoir avoir longuement détaillé les cibles de LDL issues des guidelines ESC 2011.

    Il y est bel et bien écrit (http://www.escardio.org/guidelines-surveys/esc-guidelines/GuidelinesDocuments/guidelines-dyslipidemias-FT.pdf) que l’IRC est un FdRCV à part entière, et classe d’emblée les patients dans le très haut risque CV selon Euroscore, indépendamment du reste (risque de décès CV à 10 ans sup à 10%). Donc cible de LDL à moins de 0.7 g/L dès que le DFG est en-deçà de 60 ml/min, ça en fait du monde…

    Voir le tableau 28 avec en classe 2A et level C « statins as monotherapy or in combination with other drugs should be considered to achieve » ce seuil. Les références associées : bah que dalle. Même biblio et niveau de preuve pour « statins should be considered to slow the rate of kidney function loss modestly (quand même) ». Une référence et donc level B pour « since statins have a beneficial effect on pathological proteinuria (sup 300 mg/day)they should be considered in patients with stage 2-4 CKD » : la référence c’est une méta-analyse miteuse de 2006 (Ann Intern Med malgré tout), dans mon souvenir 80% du poids du résultat tendancieux était porté par une analyse post-hic d’une grisse étude interventionnelle, aucune étude construite pour interroger cette hypothèse de néphroprotection.

    Bref…..Le labo se retrouve bien placé pour parler d’ézétimibe, si tout ça n’est qu’une histoire de cible impossible à atteindre. Ca éclipse l’absence d’étude positive pour ce produit isolé et le design étrange de SHARP.

    Grange Blanche a vertement critiqué les recos ESC pour l’I cardiaque et la FA. J’ai fait un topo dans mon hosto à l’occasion d’une réuion avec les cardios, les vasculaires, anesthésistes etc…Pour parler des ACODs ou NACOs. La lecture des recos ECS est saissisante du parti pris envers ces molécules alors que les études pivot sont toutes de non-infériorité.

    Mais que faire oh mon Dieu? Ou trouver la lumière dans les ténèbres? Ce serait quand même dommage de se passer des rares médicaments éventuellement efficaces en prévention CV.

    • PUautomne dit :

      L’intervention sur le cholestérol n’a jamais montré de bénéfice sur un critère dur et simple, la mortalité, chez les insuffisants rénaux chroniques. Je pense que personne ne peut le nier. Ensuite on fait comme on le sent, soit on croit aux statines parce que on veut donner quelques choses aux patients, soit on y croit pas et on ne donne rien. Les deux attitudes en prévention primaire sont compréhensibles. En prévention secondaire, je pense qu’il faut donner des statines mais bon j’ai pas plus de preuves que ça.
      L’insuffisant rénal chronique est particulier, il a une pathologie cardiovasculaire qui n’est pas banal et simple. Ce papier montre bien que le sur risque si il existe n’est pas majeur par rapport au poids de l’urémie. Je vais bientôt faire une note qui confirmera ça. Le vrai problème de l’IRC, c’est l’IRC. L’accumulation de toxines conduit à l’apparition de nouveaux phénotypes cellulaires qui sont responsable en grande partie du sur risque.
      Je suis convaincu qu’en ciblant certaines voies activées, sans les inhiber complétement nous pourrons améliorer les choses. Ce n’est pas simple et il faut arrêter de présenter l’IRC comme accélérant une athérosclérose identique à celle du patient normorénal.

    • PUautomne dit :

      L’intervention sur le cholestérol n’a jamais montré de bénéfice sur un critère dur et simple, la mortalité, chez les insuffisants rénaux chroniques. Je pense que personne ne peut le nier. Ensuite on fait comme on le sent, soit on croit aux statines parce que on veut donner quelques choses aux patients, soit on y croit pas et on ne donne rien. Les deux attitudes en prévention primaire sont compréhensibles. En prévention secondaire, je pense qu’il faut donner des statines mais bon j’ai pas plus de preuves que ça.
      L’insuffisant rénal chronique est particulier, il a une pathologie cardiovasculaire qui n’est pas banal et simple. Ce papier montre bien que le sur risque si il existe n’est pas majeur par rapport au poids de l’urémie. Je vais bientôt faire une note qui confirmera ça. Le vrai problème de l’IRC, c’est l’IRC. L’accumulation de toxines conduit à l’apparition de nouveaux phénotypes cellulaires qui sont responsable en grande partie du sur risque.
      Je suis convaincu qu’en ciblant certaines voies activées, sans les inhiber complétement nous pourrons améliorer les choses. Ce n’est pas simple et il faut arrêter de présenter l’IRC comme accélérant une athérosclérose identique à celle du patient normorénal.

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