Donneur vivant et toxines urémiques

En transplantation rénale, l’origine de l’organe transplanté peut être soit un donneur en mort encéphalique ou plus rarement à cœur arrêté soit un donneur vivant. En France, actuellement 10% des transplantations se font à partir d’un donneur vivant, ce qui est moins que dans de nombreux pays comme les USA, la Norvège ou l’Iran. En France, il y a une vraie volonté de promouvoir la transplantation à partir d’un donneur vivant. Quand je donne une information sur les méthodes de suppléances, je parle en premier de la transplantation donneur vivant de préférence en préemptif. Je suis convaincu de la pertinence de cette approche. Il y a beaucoup d’avantages, réduction du temps d’attente, meilleurs résultats pour le receveur, programmation de la transplantation.

Pour le donneur, nous avons des données qui nous permettent de dire que le don ne réduit pas l’espérance de vie, ni n’augmente le risque d’insuffisance rénale chronique terminale. Il y a une petite augmentation du risque de développer une hypertension artérielle. Concernant la fonction rénale, il y a une réduction du débit de filtration glomérulaire (DFG) de l’ordre de 15 à 30%. Les effets de cette réduction sur l’accumulation de toxines urémiques n’a jamais été étudiées.

Parmi les 150 toxines urémiques, deux sont très étudiées et connues pour avoir un impact sur la survie des patients: l’indoxyl sulfate (IS) et le para crésyl sulfate (PCS). Ces deux toxines sont associées à une augmentation du risque cardiovasculaire. Leur taux prédit le risque de dégradation de la fonction rénale. Je vous avais déjà parlé de l’IS et de son effet dioxine like. Cette molécule est potentiellement un agent prothrombogène. Pour le paracrésyl sulfate, il a récemment été montré que c’est un médiateur de l’insulino résistance.  Ces deux molécules sont de vraies toxines, elle sont augmentées au cours de l’IRC, elles sont associées à des complications cliniques et expérimentalement elles ont des effets cellulaires importants.

Des auteurs australiens ont dosés ces deux toxines après un don vivant chez 42 personnes à un an et deux ans. Les auteurs observent une diminution du DFG (estimation par la formule la plus précise à l’heure actuelle) et une augmentation des taux d’IS et de PCS. Le taux moyen d’IS est celui observé chez des patients avec une MRC stade G3 (DFG<60 ml/mn/1,73 m2). Il y a une augmentation de l’acide urique et de la CRP. Il y a une petite augmentation de l’épaisseur intima-média.

TU_et_don_vivantCe papier montre pour la première fois une augmentation signification des toxines urémiques chez des personnes en post-don de rein. Ceci nous rappelle que la filtration glomérulaire n’est pas la seule fonction du rein. Le DFG est réduit après une néphrectomie, en restant dans des valeurs considérées comme normales. Par contre, les autres fonctions du rein en particulier la sécrétion des toxines urémiques, comme l’IS ou le PCS, par le rein est altérée. Il y a accumulation de ces molécules qui ont un potentiel délétère sur le rein mais aussi sur l’appareil cardiovasculaire.

Il est difficile de savoir ce que peut être l’impact de ces toxines sur le long terme chez des donneurs vivants. Je suis convaincu que chez des personnes en bonne santé, l’impact est faible voir nul, par contre chez des donneurs vivants un peu limite à qui nous proposons plus facilement le don actuellement, cet impact est a étudier sérieusement. Cet article ne doit pas modifier nos pratiques mais il faut que nous nous penchions  sur ce problème.

La première chose est de répliquer ces résultats dans une cohorte indépendante et sur un plus long terme, j’aimerai voir les résultats à la cinquième année. Il serait aussi intéressant d’évaluer les taux de toxines en fonction du régime alimentaire et du transit. Par exemple, l’IS est indosable chez des IRCT avec une colectomie montrant bien les relations entre tube digestif et rein. Au niveau biologique, il faudrait étudier l’impact de ces toxines à ces faibles concentrations. Enfin, il existe d’autres toxines urémiques qui pourraient aussi s’accumuler, les doser pourraient être intéressant pour obtenir un paysage des toxines modifiées après une néphrectomie.

Ce papier est important car ils nous rappellent que nos marqueurs de la fonction rénale sont essentiellement ceux du DFG. Nous évaluons mal les fonctions de sécrétion tubulaire perturbées au cours de l’IRC. Un article récent de JASN montre que si l’urée s’accumule d’un facteur 5, la créatinine d’un facteur 13 chez le patient dialysé, le PCS voit sa concentration multipliée par 41 par rapport à un sujet avec une fonction rénale normale et pour l’IS, les taux sanguins sont multipliés par 116. Un jour peut être que nous devrons intégrer ces marqueurs du défaut de sécrétion tubulaire dans l’évaluation globale de la fonction rénale, de son risque d’altération. Nous comprendrons peut être pourquoi l’augmentation du risque cardiovasculaire apparait alors que le DFG est très modérément altéré.

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5 réponses à Donneur vivant et toxines urémiques

  1. K dit :

    Passionnant!
    Mais y a-t-il des molécules à excrétion exclusivement tubulaire? dans ce cas la mesure de leurs clairance se ferait facilement.

  2. nfkb0 dit :

    en avant pour la Toxinomique !

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