Est ce que la déshydratation peut être responsable d’une maladie rénale chronique?

Cette question est une véritable provocation.

Elle est soulevée par l’épidémie de néphropathie méso-américaine dont je vous ai déjà parlée. L’idée défendue par certains est que cette maladie rénale chronique qui se caractérise par une néphrite interstitielle chronique avec une glomérulosclérose pourrait être due à une déshydratation chronique chez les travailleurs de cette région. Il n’a jamais été montré que des épisodes répétés de déshydratation puissent être responsable d’une insuffisance rénale chronique.

Il est fréquent d’entendre qu’il faut boire, boire de l’eau, que c’est bon pour les reins. Ceci ne repose sur pas grand chose, pour ne pas dire rien. Il faut boire à sa soif ce qui est bien suffisant. La soif est un stimulus puissant auquel il est difficile de résister et d’apparition précoce quand l’osmolalité plasmatique augmente. Il n’y a aucun rationnel, sauf pour prévenir les lithiases rénales ou peut être dans la polykystose rénale autosomique dominante, à se forcer à boire. Le message marketing des marchands d’eau, n’est qu’un message publicitaire sans aucun rationnel scientifique. Je rappelle qu’anticiper sa soif peut être responsable d’hyponatrémie sévère quand on court un marathon.

Ma curiosité fut fortement piqué quand j’ai vu ce papier dans Kidney international.

Roncal Jimenez, Carlos A., Takuji Ishimoto, Miguel A. Lanaspa, Christopher J. Rivard, Takahiko Nakagawa, A. Ahsan Ejaz, Christina Cicerchi, et al. « Fructokinase Activity Mediates Dehydration-Induced Renal Injury ». Kidney International (11 décembre 2013). doi:10.1038/ki.2013.492.

Vous pouvez vous faire une opinion comme des grands, il est en accès libre.

Avant de parler du fond du papier, quelques remarques préliminaires, que certains jugeront perfides. Cet article est d’accès libre, ce qui est très bien et lui donnera une bonne visibilité. Le sponsor qui a payé le travail sera satisfait. Cette étude est entièrement financé par Danone. Ce groupe est un peu intéressé par le marché de l’eau minérale. C’est le numéro 2 mondial avec pour cible les pays émergents. Certains auteurs ont de plus un brevet sur l’utilisation d’inhibiteurs de la fructokinase pour prévenir les maladies rénales. Enfin pour finir avec les possibles conflits d’intérêts, le dernier auteur a des liens financiers déclarés avec deux sociétés amway et questor. Une de ces deux sociétés est probablement très intéressée par son brevet.

Après cette longue introduction, que nous apprend cet article. Le but des auteurs est de montré qu’induire une déshydratation chronique a des souris entrainent des modifications morphologiques au niveau du parenchyme rénal et potentiellement une insuffisance rénale chronique. Cet effet serait du à l’activation de la fructokinase dans le tubule proximal.

Les auteurs on répartis 36 souris en 6 groupes. Il y des souris sauvages et des souris KO pour le gène de la fructokinase. 6 souris vont subir une déshydratation avec la possibilité de boire pendant l’épreuve, 6 souris vont subir une déshydratation sans la possibilité de boire pendant l’épreuve et 6 souris ne subissent rien. Les animaux sont sacrifiés à la fin de l’épreuve de déshydratation de la 5é semaine. Les animaux sont déshydratés en les plaçant dans une cage chauffée à 39,5° pendant 30 minutes par heure pendant 7 heures, 5 jours sur 7 pendant 5 semaines. Les animaux transpirent en pratique. Les auteurs analysent leur perte de poids, l’osmolalité urinaire, la créatininémie, des marqueurs urinaires de souffrance tubulaire, font un peu d’anatomopathologie et de biochimie sur les reins.

Qu’observent il?

A la fin des sept heures, les souris libres de boire (WAT) perdent 7% de leur poids contrent plus de 15% pour les souris non libres (WAN). Elles rattrapent leur retard d’hydratation dans la nuit comme les souris WAT. Il faut noter que le poids ne varie pas sur les 5 semaines. Les animaux subissent bien une épreuve de déshydratation à répétition pendant 5 semaines.

Les WAN ont un niveau de perte de poids plus important que les WAT. La déshydratation est essentiellement intracellulaire chez les WAN car l’osmolalité sanguine augmente plus en fin d’épreuve que chez les WAT. Pour ces dernières, elles compensent assez bien la perte intra-cellulaire, il est possible que la perte de poids soit du à un déficit sodé. Il est dommage que nous n’ayons pas les ionogrammes urinaires des animaux. C’est une des faiblesses de l’étude.

En passant, il faut noter que les souris sont des animaux nocturnes. L’épreuve est faite durant la phase diurne où normalement elles sont le moins actives, le biais me semble non négligeable. Il explique probablement pourquoi les animaux WAT ne compensent pas complétement le déficit. C’est comme si on vous réveillez la nuit pour vous faire subir la même épreuve au lieu de la faire de jour.

Les animaux WAN ont une augmentation de leur concentration en sorbitol et en fructose dans le parenchyme rénal traduisant une activation de l’aldose reductase qui produit le sorbitol. Le fructose produit par la sorbitol déshydrogenase peut alors être dégradé par la fructokinase rénale. Une chose que je n’arrive pas à comprendre est pourquoi chez les animaux WAN invalidés pour la fructokinase, nous n’observons pas une augmentation du sorbitol. Il faudrait comprendre ce phénomène.

Le reste de l’article montre une atteinte rénale, lésions du tubule proximal, augmentation de la créatinine, de la pression artérielle, ébauche de fibrose interstitielle, minime inflammation rénale uniquement chez les WAN (souris déshydratées à répétition) alors qu’elle est absente chez les souris pouvant boire et chez les souris invalidés pour le gène de la fructokinase. Il est amusant de constater que l’invalidation du gène ne protège pas les WAN contre une augmentation de la pression artérielle.

Le niveau de lésion rénale observée est faible. Les lésions histologiques sont vraiment minimes. Pour la créatininémie augmentée chez les WAN, ceci traduit simplement une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle, elles ont quand même perdu 15% de leur poids corporel. La chose vraiment étonnante est que les WAN KO n’aient pas cette augmentation de la créatininémie, en voulant faire trop beau ça devient suspect.

Comment expliquer les lésions décrites? Tout passe par la fructokinase. L’augmentation du fructose entraine une consommation d’ATP importante par la fructokinase pour le dégrader. Ceci s’accompagne d’une production d’agents oxydants et d’une inflammation tubulaire proximale pouvant faire le lit de l’insuffisance rénale. Ces auteurs ont largement publiés sur le sujet. En passant, deux autres groupes n’arrivent pas à montrer que le fructose induit le même type de lésions dans la lignée de souris (C57/Bl6) qu’ils utilisent. Ceci limite beaucoup la force de leur travail.

Je ne suis pas convaincu par les résultats de cette étude. L’hypothèse est très belle, intéressante et mérite d’être testée. Malheureusement, je pense que l’approche expérimentale ne répond pas à toutes les questions. Le biais du rythme circadien est à prendre en compte. Il aurait été intéressant d’avoir des chiffres de créatininemie chez des animaux après la première manip de déshydratation, pour savoir si ce qui est décrit n’est pas qu’un phénomène bien connu d’insuffisance rénale aiguë fonctionnelle. Il aurait aussi été intéressant d’avoir un groupe d’animaux déshydratés qu’on laisse tranquille pendant quelques semaines pour savoir si les lésions persistent ou pas. Je trouve dommage que les reviewers n’aient pas demandé ces contrôles importants.

Cet article est intéressant, malgré ses limites. Il donne envie d’en savoir plus. J’espère qu’un groupe indépendant va se lancer dans la duplication des résultats avec plus de contrôle.

Je ne vais pas encore changer mes cours pour dire que la déshydratation peut induire une insuffisance rénale chronique. Si vous voyez les industriels de l’eau utilisé cette étude pour justifier le gavage à l’eau, vous avez, je pense, quelques arguments pour vous défendre.

Concernant l’épidémie de néphropathie méso-américaine, je ne suis pas du tout convaincu par l’hypothèse déshydratation et ce papier ne change rien. Danone ou Nestlé se feraient une belle pub en donnant de l’eau à ses pauvres travailleurs pauvres pour tenter de prévenir cette terrible maladie, en plus nous aurons une réponse définitive.

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3 réponses à Est ce que la déshydratation peut être responsable d’une maladie rénale chronique?

  1. doume dit :

    Attitude pratique en EHPAD, moyenne d’âge 87 ans avec 80 % de déments ? Quid des efforts pour hydrater les résidents per os, des perf sous cutanées « préventives » lors de problèmes intercurrents, des fiches hydriques, des diurèses des sondés inférieures à 800 cc ?
    ça fait un moment que je m’interroge, mon grand-père ayant vécu jusqu’à 95 ans sans boire une goutte d’eau car il disait ne pas la digérer. Mais il n’était pas dément …

    • PUautomne dit :

      La soif ça marche tant qu’accès libre à l’eau, chez le nourrisson et le sujet très âgé ou psychotique les problèmes sont autres qu’en population générale. Il faut adapter au cas par cas.

  2. Ping : Boire ou ne pas boire ? Telle est la question… | PerrUche en Automne

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