Le paternalisme asymétrique pour prescrire moins d’antibiotiques

J’ai découvert aujourd’hui le concept de paternalisme asymétrique ou paternalisme libertarien. Je me bats depuis de nombreuses années contre le traitement des bactériuries asymptomatiques. Il est essentiel de ne pas traiter ces non-infections, car l’utilisation d’antibiotiques à tort et à travers est responsable non seulement de l’émergence de résistances mais aussi de complications graves comme les infections à clostridium difficile, qui deviennent plus qu’embêtantes. Une très belle étude a confirmé chez la femme jeune le non intérêt voir l’effet délétère du traitement des bactériuries asymptomatiques.

La bactériurie asymptomatique ou colonisation urinaire est définie par la présence de bactéries dans les urines en l’absence de toute symptomatologie. La présence ou l’absence de leucocytes n’a aucun impact sur la définition, seule la clinique compte dans l’histoire. Il y a un consensus pour dire qu’il ne faut pas les traiter sauf dans deux situations, la femme enceinte et avant une chirurgie urologique. Je vous propose deux guidelines, l’un en anglais, l’autre en français.

Il y a un consensus pour dire que ça ne sert à rien et pourtant on continue à les traiter en particulier en milieu hospitalier. Comment faire pour réduire ces traitements indus qui ont un cout financier et médical ?

Une équipe canadienne s’est penché sur le problème de façon particulièrement élégante. L’intervention a reposé sur un rendu de résultat remplacé par deux phrases :

« The majority of positive urine cultures from inpatients without an indwelling urinary catheter represent asymptomatic bacteriuria. If you strongly suspect that your patient has developed a urinary tract infection, please call the microbiology laboratory. »

« La majorité des ECBU positives chez des patients non sondés sont des bactériuries asymptomatiques. Si vous suspectez fortement que votre patient a une infection urinaire, appelez nous. ».

Ils ont analysés les pratiques pendant 16 semaines, en particulier les prescriptions d’antibiotiques, le groupe des patients sondés était le contrôle (il n’y a aucune raison de traiter une BA chez un patient avec une sonde urinaire). Ils ont reçu 415 ECBUs de patients hospitalisés non sondés et 231 de patients hospitalisés sondés. 2% (10) des non sondés et 3% (7) des  sondés avaient une infection urinaire. 134 prélèvements positifs représentaient les bactériuries asymptomatiques. Avant l’intervention, 48% des bactériuries asymptomatiques ont reçu un antibiotique chez les non sondés et 42% chez les sondés. Après la mise en place de l’intervention, le taux de prescription d’antibiotiques est de 12% chez les non sondés contre 41% chez les sondés. La réduction absolue est de 36% dans le groupe intervention, statistiquement significative. Il n’a pas été raté de diagnostics d’infections urinaires.

Cet article est remarquable. Il montre comment diminuer la prescription d’antibiotiques sans faire  prendre de risque aux patients. Il faudrait que cette étude soit répliquée dans une plus grosse structure et sur une plus longue période. On peut remarquer aussi que nous faisons trop d’ECBU systématiques (10 IU sur 415 ECBUs) pas assez guidées par la clinique.

Ceci nous apprend beaucoup sur notre psychologie. Nous prescrivons un peu n’importe comment. Si nous ne voyons pas l’intérêt de notre acte, nous ne récupérons pas les résultats sauf si on nous les apporte sur un écran d’ordinateur, mais nous l’avons quand même prescrit avec un cout important, à la fin. Je dis toujours aux internes, avant de prescrire un bilan réfléchissez à ce qu’il va changer à votre pratique. Ceux qui écoutent, se rendent compte que bien souvent le bilan est plus contra-phobique que réellement nécessaire et adapté à la situation clinique. Cet article est une belle illustration de l’intérêt d’une approche type paternalisme libertarien pour lutter contre la pensée magique.

Comme je n’aime pas le paternalisme, je pense qu’on pourrait faire aussi bien si ce n’est mieux en ne prescrivant pas d’examen cyto-bactériologique urinaire à des personnes qui n’en ont pas besoin. Il ne faut prescrire un ECBU qu’en cas de symptômes, fièvre ou signes fonctionnelles urinaires. C’est aussi le message d’un choosing wisely récent pour limiter la prescription des antibiotiques chez les sujets âgés.

Il faut réfléchir avant de prescrire un examen, même aussi banal qu’un ECBU. Une fois que vous aurez un résultat positif même si votre patient est totalement asymptomatique vous aurez du mal à résister à la tentation de dégainer l’artillerie, sauf si votre laboratoire de bactériologie vous protège de vos démons antibiotesques, en vous obligeant à décrocher votre téléphone, donc à prendre du temps pour réfléchir, alors que votre patient n’a toujours pas de symptôme.

Comme souvent LESS is MORE…

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6 réponses à Le paternalisme asymétrique pour prescrire moins d’antibiotiques

  1. Cossino dit :

    Merci pour ce bel exemple ( un de plus !) de l’intérêt de la clinique et de traiter des patients et non des examens complémentaires
    Un autre exemple :
    http://hippocrate-et-pindare.fr/2014/06/29/surmedicalisation-ou-comment-rendre-malade-le-patient/

  2. nfkb dit :

    Hello, je n’arrive pas à croire que les gens ont vraiment appeler le labo ! En France j’imagine bien la réaction des docteurs qui liront ça en bas de l’ecbu 🙁

  3. Tubule dit :

    Bonjour,

    Vous écrivez que les deux seules indications de traitement d’une bactérirurie asymptomatique sont la grossesse et avant une opération urologique. Qu’en est-il des immunodéprimés, comme les transplantés rénaux ? Qu’elle est votre attitude dans ce contexte ?

    Merci.

    • PUautomne dit :

      Il n’y a pas de recommandations sur le sujet à ma connaissance.
      J’ai tendance à les traiter par le mépris sauf si il y a un reflux connu ou déjà des pyélo sur le transplant. C’est une attitude personnelle qui ne repose sur rien de scientifique, je le répète. Je trouve que le mépris marche pas mal.
      Dans le vide chacun est libre de sa prescription.
      Ce n’est pas moi qui écrit, il y a des recommandations sur les bactériuries asymptomatiques, je les retranscrits. J’essaye de donner le moins possible des recettes de cuisine reposant sur le niveau de preuve moi.

  4. Tubule dit :

    Je me rends compte en relisant mon commentaire que vous l’avez peut être perçu comme une critique masquée. Ce qui n’était absolument pas mon intention. J’étais simplement curieux de connaître votre avis sur ce problème. Merci pour votre réponse.

  5. Axel Ellrodt dit :

    Parmi les anciens du Less is More, il y a probablement ce farceur de Willy Osler (mais je n’ai pas les citations en tête) mais aussi … Samuel Schem, qui a bien illustré en 1978 le mal fait aux patients avec la multipication des examens et procédures., dans son roman The House of God.

    Une des lois de la « House of God » , édictée par le « Fat man » un vieil interne (« Chief resident »), est superbe:

    « The delivery of good medical care is to do as much nothing as possible ».

    The House of God, un livre qui m’a fait beaucoup de mal pour l’avoir lu en post opératoire, et les fous-rires sur cicatrice, pas glop.

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