Comment choisir les étudiants en médecine ?

Je n’ai pas LA réponse. Elle a pour corollaire, qu’est ce qu’un bon médecin? J’ai une idée forgée par mon expérience et mes rencontres. Elle est totalement subjective. Le sujet est un débat sans fin, chacun se posant comme référentiel. J’ai déjà expliqué mon entrée miraculeuse en médecine. Il y a toujours des discussions pour savoir comment réformer « l’immense gâchis de la première année ». Un marronnier du débat médical français et des différents gouvernements qui ne trouvera pas de solution tant que le taux de reçus fluctuera entre 15 et 27%. Il est amusant de voir qu’il n’y a pas de débat sur comment éviter « l’immense gâchis de ceux qui veulent devenir ingénieur et n’y arrivent pas ». Ou l’immense gâchis de la licence, sur le sujet de la problématique du décrochage universitaire je vous conseille ce remarquable article de François Sarfati. Il déconstruit remarquablement le concept.

Il y aura toujours de la frustration pour ceux qui ne peuvent pas rentrer et la réorientation même optimisée n’y fera rien. Une bonne façon de faire diminuer la frustration est de dévaloriser suffisamment l’image du médecin pour ne plus donner à grand monde l’envie de faire ce métier. L’autre est de ne plus limiter l’accès à la deuxième année.

La mode actuelle, qui n’est pas que française, est de dire que nous n’avons pas assez de médecins humanistes. Nous ne formerions que des techniciens ne se souciant pas de l’autre comme individu. Il y a une tentation de penser que nous pourrions identifier à 18 ans les futurs médecins brillants et empathiques qui sortirons dans une dizaine d’années. Soyons clair, c’est de la fumisterie. J’aimerai rencontrer les génies capables, chez un jeune adulte sortant de l’adolescence, d’identifier ceux qui, de façon certaine, seront de super médecins 10 ou 15 ans plus tard. Nous sommes en plein délire et fantasme. J’attends le gène de l’empathie avec impatience pour voir le Gattaca médical se construire.

Je suis convaincu que l’empathie, l’intérêt pour l’autre s’apprend, se développe, se forge au gré des rencontres, des expériences, du mode de sélection. Il n’y a pas un don naturel pour l’empathie ou la communication, ce muscle du souci d’autrui se travaille car ce n’est qu’un formidable outil pour mieux soigner. On ne le répétera jamais assez, écouter l’autre dans sa demande, sa plainte est le début, le premier soin.  Remettons la clinique au cœur de l’évaluation.

Faire confiance aux enseignants qui évaluent les étudiants au lit du malade, en n’ayant pas peur de la subjectivité de cette évaluation. Le patient ne nous juge pas que sur des données objectives. Malheureusement, il y a un refus total, l’exercice de la clinique est vu comme injuste, alors on préfère s’en remettre à la magie de la tablette et des QCMs. Tant que l’évaluation des compétences au lit du malade ne vaudront rien dans le classement à l’ECN, la situation restera bloquée. La clinique, durant la formation initiale, ne sera vue que comme un gadget alors qu’elle est au centre de ce métier. L’internat prend le même chemin. On sent, la demande par les associations d’internes d’une évaluation qui serait objective et juste, en pratique des examens. La place de la clinique s’étiole, alors que les étudiants Erasmus allemand sont fascinés et aiment l’accès facile au patient du système français, dans la logique ECN, le stage hospitalier n’est vu que comme un obstacle au bachotage. Il ne faudra pas venir pleurnicher sur les médecins pas assez humains, quand aura été mis en avant uniquement les compétences livresques.

Former un clinicien prend du temps, nécessite de voir beaucoup de patients, d’avoir une réflexion sur sa pratique, d’avoir un regard qui juge pour faire progresser. Nous devons donner du temps pour acquérir cet œil de maquignon. Peu de personnes sont prêtes actuellement à le faire et c’est la mort de la clinique. Ce n’est pas très grave, les systèmes experts, reposant sur l’analyse des big data, feront probablement mieux que nous pour le diagnostic et la prise en charge thérapeutique. Je ne suis pas sur que les individus malades seront mieux soignés. Je me disperse, revenons à la problématique de l’entrée dans les études de médecine.

Le système actuel d’entrée ne me parait pas plus mauvais qu’un autre. Il sélectionne des individus à forte mémoire et résistants au stress. Deux qualités pour la pratique médicale. J’ai la faiblesse de croire que tout le monde, avec un minimum de système nerveux central fonctionnel, peut apprendre ce métier, si l’enseignement est de qualité et si les étudiants sont motivés par le projet pédagogique. Précisons les objectifs de façon claire et forcément le mode d’évaluation qui permet d’entrer dans le troisième cycle. Vous pourrez sélectionner ceux avec présence du SNP de l’empathie dans le gène de l’ocytocine, la pression de l’ECN transformera vos parangons d’empathie et de compassion en obsédés de l’examen classant, négligeant la clinique car peu rentable. Tant que nous ne réfléchirons qu’à l’entrée sans la sortie, nous nous fourvoierons. Tant que nous penserons que la nature est plus importante que la culture, il n’y aura pas de solutions satisfaisantes.  Je viens de lire un article vraiment intelligent sur le sujet dans le NEJM. Je vous conseille sa lecture, prenez votre temps. L’auteur pose bien les enjeux. Ils ne sont pas si éloignés des deux cotés de l’Atlantique. Si vous n’avez pas envie de tout lire, ses propositions sont résumés en fin d’article. Je vous propose un essai de traduction.

Des pistes pour conserver la compassion et développer la communication chez les étudiants en école de médecine

• Modifier les objectifs pour soutenir l’idéalisme, la gentillesse, et une approche centrée sur le patient. Donner une expérience clinique précoce et nécessitant l’implication de l’étudiant.
• Choisir les enseignants qui soutiennent les valeurs promues.
• Promouvoir et améliorer l’évaluation des capacités de communication interpersonnelle et ses outils. Soutenir les enseignants qui défendent cette approche et empêcher les étudiants ne maitrisant pas ces capacités de passer dans l’année supérieure.
• Défendre des systèmes financiers et logistiques qui permettent aux médecins de passer plus de temps avec les patients.

La culture est plus forte que la nature pour former des médecins.

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13 réponses à Comment choisir les étudiants en médecine ?

  1. Chloé dit :

    Bel article.
    En effet, clairement de la fumisterie, cette histoire d’humanisme, dans le nouveau monde parfait des bisounours.
    Le problème est rapidement vu en côtoyant sur 10-15 ans des jeunes externes, internes, chefs. On arrive les yeux brillant, plein de désir d’aider notre prochain, et très très vite les quelques années d’externat abattent les troupes. On se retrouve avec des personnes en chir/radio/santépub, tout simplement dégoutés des patients et du contact.
    Et puis l’internat passe par là. On voit des jeunes internes de chir gentils tout plein et idéalistes devenir de sombres psychopathes.
    L’internat détruit l’humanisme, bien plus que de créer des burn-out.

    Bref, sélectionner sur des qualités humaines des enfants en pensant qu’ils résisteront à la pression du système et aux kilos de verre pilé que l’université et l’hôpital nous fait avaler, ça me fait rire à gorge déployée.

  2. nfkb0 dit :

    Il est bien ton billet.
    Je crois qu’on peut avancer un peu en parlant en stage d’autre chose que de la technique. On peut parler de la façon de se présenter, de toucher ou pas le patient, bref parler ouvertement de notre comportement aux étudiants et qu’on arrête de penser que ce sont des trucs gnan gnan avec tout le nuage de trucs à connotation pessimiste.
    Débriefons plus le soin et moins la maladie. Quand on fait bien et quand on fait mal.
    Cheers from London

  3. Bonjour P

    C’est rare que je ne sois pas d’accord avec toi.
    Je ne crois pas que l’empathie s’apprenne. Tu l’as ou pas en toi. L’apprentissage n’a d’effet que marginal ou alors te permet de la simuler, un peu comme ces gens froids qui te font des sourires forcés en tentant de te convaincre.

    En revanche, je suis d’accord avec le fait que si on trouve un jour un moyen fiable pour valoriser l’empathie chez les soignants, il se forceront à être plus empathique, même si ce n’est pas leur nature profonde. On en est loin.

    • PUautomne dit :

      Merci pour ce commentaire dominique, je pense que nous avons tous un potentiel d’empathie plus ou moins important. C’est la nature, notre capital génétique qui l’apporte. Peut être que ça ne s’apprend pas, mais ce qui est sur c’est que nous pouvons cultiver notre potentiel empathie. C’est le rôle de la culture. Je me suis probablement mal exprimé, le rôle des enseignants en médecine est de favoriser l’épanouissement de l’empathie. Les quelques idées de l’article du NEJM sont une bonne base à mon avis.

      • S’il s’agit de favoriser l’épanouissement de l’empathie, c’est à dire de faire en sorte que les étudiants et médecins empathiques soient valorisés et non critiqués comme c’est le cas actuellement, alors nous sommes bien d’accord.

        Cela rejoint une de mes marottes : la médecine sera meilleure quand nous saurons identifier correctement les médecins qui travaillent bien et qui sont au service du patient. Nous en sommes très loin.

        • PUautomne dit :

          Identifier sans évaluer alors 😉 sinon tu retombes dans les biais de notre évaluationnite aigue, maladie grave de nos systèmes se voulant performant à tout prix.

          • Oui, identifier sans évaluer. C’est possible. Si je te demande quels sont les meilleurs néphrologues de ta région, tu sauras les identifier, sans avoir besoin de leur faire passer une évaluation.

          • PUautomne dit :

            Un point pour DD

          • dsl dit :

            Je ne vois pas :
            1. en quoi nos systèmes sont malades de l’évaluation
            2. en quoi l’évaluation est un problème
            Le problème c’est de laisser l’évaluation à des non-médecins, et de perdre le contrôle sur la qualité des soins en laissant des administratifs gérer cet aspect

  4. Je reviens vers ton article car il correspond à un des mes sujets préférés : comment utiliser la puissance de la subjectivité, injustement diabolisée, pour identifier les gens, sans tomber dans le risque de la corruption et du favoritisme (on perd l’anonymat)

    Mon père me racontait l’internat des hôpitaux des années 50 : la phase finale était un oral, qui permettait de récupérer des fils de patron mal notés à l’écrit, mais aussi de faire briller des candidats anonymes et d’évaluer leurs « tripes ». Il y a sans doute un intermédiaire à trouver entre les QCM et l’oral traditionnel.

    Pour ce qui est de la valorisation de l’empathie et de la coopération, il y a une idée rigolote, je ne sais plus où je l’ai lue. Elle consiste à évaluer les étudiants par paire : la formation d’un binôme est obligatoire, et l’évaluation/validation est exclusivement binomiale. L’entraide est donc indispensable pour réussir. Ce système présente des inconvénients liés à l’importance du choix de sa « moitié », mais je le trouve très intéressant.

  5. Ping : Déclive? C’est quoi déclive? | PerrUche en Automne

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