« Passent les nuages » de J. Brodsky

Passent les nuages

Entends-tu, entends-tu dans les taillis le chant des enfants,
ces voix qui s’élèvent au-dessus des arbres d’argent
se perdent dans la nuit prochaine, se taisent lentement
et se confondent avec le ciel qu’efface la nuit.

Les fils brillants de la pluie s’entrelacent aux arbres
et bruissent en silence dans l’herbe blanche,
entends-tu leurs voix, as-tu vu leurs cheveux aux peignes rouges,
et leurs paumes ouvertes, tendues vers le feuillage humide ?

« Passent les nuages, les nuages passent et meurent. »
Ainsi chantent les enfants et les branches noires murmurent,
les voix volent effarouchées, entre les futs
obscurs vers la nuit prochaine, sans retour.

Les feuilles humides volent vers le vent, jaillissent
des buissons, s’enfuient, comme un appel venu de l’automne lointain.
« Passent les nuages… » chantent la nuit les enfants de la nuit.
De l’herbe aux sommets, le monde n’est plus que battement, tremblement de la voix.

Quand passent les nuages, passe et s’envole la vie.
Nous portons en nous notre mort, nuages
gonflés de voix et d’amour entre les branches noires.
« Passent les nuages… » les enfants chantent le monde.

Entends-tu, entends-tu  dans les taillis les chants des enfants ?
Les fils brillants de la pluie s’entrelacent, voix sonores,
voix éphémères près des monts étroits où les ténèbres
nouvelles envahissent les cieux moribonds.

Passent les nuages, passent les nuages au dessus des taillis.
Quelque part l’eau fuit, il suffit de chanter et de pleurer le long des clôtures de l’automne,
de regarder toujours plus haut, de sangloter sans fin, d’être un enfant de la nuit,
de regarder toujours plus haut, de chanter et de pleurer, d’ignorer les larmes.

Quelque part l’eau fuit le long des clôtures de l’automne et des arbres obscurs,
cri dans les ténèbres nouvelles, il suffit de chanter et de pleurer de replier son feuillage.
Au-dessus de nous, une ombre passe et meurt,
il suffit de chanter et de pleurer, il suffit de vivre.

 

Collines et autres poèmes

Joseph Brodsky

Ce poème est une merveille.

Que dire après, rien, laisser le silence des mots dans notre esprit faire son chemin.

Nous souvenir de notre enfance. Quand nous avions le temps de regarder les nuages, d’imaginer, chateaux, dragons, chevaliers, monstres mouvants, fuyants. Et je regarde le ciel bleu translucide sans nuage, juste, quelques nuées blanches étirées par le vent d’ouest. Je rêve de ces nuages de mon enfance où je voyais tant d’aventures.  J’aime encore m’allonger et imaginer, mais je n’ai plus cette patience infinie de l’enfance qui invente des histoires sans fin pour combler l’ennui. Je vis dans un monde d’adultes. Je suis un adulte. Je rêve de mes nuages dragonesques, pas des nuages de Brodsky. Je rêve des nuages d’avant les catastrophes. La mélancolie de l’enfance est l’espoir de retrouver l’insouciance. Je rêve de cette insouciance loin de toutes responsabilités, de toutes les tragédies de ma vie.

Je regarde le ciel bleu, nettoyé des nuages de l’enfance par le vent de la vie. Je pleure.

J’aime les nuages.

Joseph Brodsky est un immense poète russe. Poète de l’âme, il utilise le monde matériel comme contrepoint de son exploration de l’imaginaire, de la mort. Quoi de plus imaginaire et tangible que la mort? Paradoxe de ce moment de l’inconnu absolu. Nous ne savons rien de la mort, rien que la perte, l’absence et la présence de ce corps froid qui rapidement disparaitra. La quête du poète est de combler ce moment de son rêve. La puissance de la poésie est par une expérience sensible, ou plutôt émotionnel,  de nous faire toucher ces lieux inexplorables par l’intelligence.

Brodsky aime les nuages, l’automne, les cris des enfants, les collines, la forêt. Ils nous parlent de nous, de nos angoisses, de la mort, du départ, de la perte, de l’amour. C’est beau,une poésie sublime par sa simplicité et sa sophistication formelle. Les vers sont ciselés, sans gras, un os et du muscle. C’est une poésie du matin, de l’aube. Il faut se lever à 5 heures dans la maison silencieuse. Voir le ciel qui rougeoie à l’Est, la nuit qui disparait, l’azur qui nait. Moment suspendu de calme, où la vie nocturne s’endort et les animaux de jours s’éveillent à peine. Lire les poèmes face à l’Orient, entendre la musique des mots et plonger dans le flux du sens. Un poète de la mort et de la vie. Magnifique recueil que ce « Collines », très bien traduit, et publié au seuil en 1966. La poésie est intemporelle.

Lisez le, lisez le et regardez les nuages…

Une strophe de « LM »

Toute vie n’est qu’un battement de cœur,
un bruit de phrase, un clapotis de fautes,
une nuit sur la barque du sexe
qui descend le ruisseau du silence.

Un vers de « Cimetière juif »

Et dans ce monde matériel comme une impasse

Brodsky a connu les geôles soviétiques pour un crime que nous ne pension plus jamais revoir évoqué celui de parasitisme social et fainéantise. On accuse, déjà, le poète et celui qui décide d’être à la marge du système, par choix ou obligation, d’être le cancer de la société. Dommage que nos hommes politiques ne lisent pas plus de poésie et ne maitrisent pas mieux l’histoire des régimes qu’ils imaginent combattre. Ceci leurs éviterait parfois de dire n’importe quoi. Quand le soit disant libéralisme rejoint le soit disant communisme.

Il aura fallu 25 ans pour que l’URSS s’effondre après la condamnation du futur prix Nobel 87 de littérature.

Lisez de la poésie, juste pour le plaisir.

 

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5 réponses à « Passent les nuages » de J. Brodsky

  1. Ping : des nuages | nfkb0's blog (ecn, nutrition, sport et autres choses*)

  2. Mapy dit :

    merci

    vous lire est un plaisir aussi

  3. Ping : Récit du marathon du Mont Saint Michel 2011 | nfkb0's blog (ecn, nutrition, sport et autres choses*)

  4. Yuri Bilu dit :

    Bonjour!

    Est-ce que je peux vous demander une petite faveur. J’ai besoin d’une référence bibliographique précise sur cet œuvre de Brodsky, mais je n’ai pas trouvé l’édition papier du « Collines et autres poèmes ». Si vous l’avez, pouvez-vous me donner le numéro de la page où se trouve ce poème?

    Merci d’avance!

    Yuri.

  5. Ping : Les nuages dans les yeux de mes filles | PerrUche en Automne

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