De la clinique à l’exome, quels objectifs pour la formation ?

Lu un tweet ce matin de dominique Dupagne, il m’a plongé dans une certaine perplexité.

Je trouve le sujet suffisamment grave pour qu’on ne le détourne pas d’une pichenette ou d’une pirouette en disant, les internes c’est comme les PU-PH, circulez, il n’y a rien à voir. De toute façon, c’est la faute des professeurs qui sont mauvais et blablabla. Un peu d’universitaro-bashing aura toujours un succès certain. Quand on passe de l’autre coté de la barrière comme par hasard, ce qui était très amusant le devient beaucoup moins. Ça me rappelle une discussion vue sur le même réseau social l’année dernière.

discuW-GCe n’est pas le sujet.

Je n’ai pas accès au journal. Je vais faire avec ce que j’ai compris du début. Si j’ai bien compris on découvre que des internes ayant passé l’ECN n’ont pas un niveau suffisant pour assurer leurs fonctions et on va essayer de les remettre à niveau. Apparemment on s’attaque à ceux ayant effectué leur formation à l’étranger. La personne ne connaissant pas le système peut se demander comment c’est possible d’avoir fait six ans d’études, avoir passé un examen final réputé difficile et angoissant et ne pas avoir le niveau. C’est simple. L’ECN est un examen pas un concours, c’est un examen classant qui ne sanctionne en aucun cas les compétences mais sert juste à faire de la répartition de médecins en formation sur le territoire et dans des spécialités.

J’ai déjà expliqué pourquoi il pose problème, en occultant totalement une dimension qui est la clinique. Les défenseurs de l’ECN diront que ce n’est pas à eux de faire le ménage mais aux facultés, sauf que les facultés sont classées par la réussite à l’ECN des étudiants. Il est de l’intérêt des facs de faire que les étudiants réussissent le mieux possible à ce truc. Le programme du deuxième cycle est totalement calqué sur celui de l’ECN. Tout ce qui sort du machin est vu comme sans intérêt par les étudiants. A raison, car ils ont bien compris que leur vie future dépendait en partie du bidule, à tort car être une bête de concours ne garantit pas d’être un bon clinicien. La clinique n’a rien d’innée et s’apprend. L’homme est ainsi fait que seule la contrainte entraine un intérêt.

Je vous rassure quand je passais l’internat, c’était déjà un débat. Les cours où l’enseignant essayait de nous apprendre des choses sortant du programme était très mal vu par les petits cons que nous étions. J’ai eu la chance de croiser des gens qui m’ont fait comprendre que voir des malades c’étaient important en commençant par mes parents.

Attendre que les facultés se tirent une balle dans le pied est illusoire. Si nous voulons refonder les études de santé ou de soins (je reconnais que l’utopie Wincklerienne me plait) il faut revoir le mode d’évaluation et ses objectifs. Si nous voulons éviter ce qui se passe, c’est à dire qu’un interne ne sache pas examiner correctement un patient, il faut remettre au centre de l’enseignement, la clinique. On peut s’aider de la simulation, très à la mode, mais rien ne remplacera la mise en situation réelle sans responsabilité qu’est la position de l’étudiant hospitalier. Voir des patients sans la pression de la décision est très confortable. Il n’y a que la pression de faire une observation un peu propre. Nous allons la semaine prochaine faire passer les cliniques du CSCT. Probablement nous verrons des étudiants qui ne savent pas examiner à mon grand désespoir. Ils pourront être très forts sur le plan théorique mais infoutus de récupérer des informations cohérentes par manque d’habitude ils ne seront pas très bons alors qu’ils devraient être excellents. Je vous rassure, nous voyons aussi d’excellents étudiants qui savent très bien conduire un examen clinique. Nous n’en planterons pas, car ce sera encore le discours: « Y sont méchant les néphro ». Ce n’est pas une question de gentillesse mais d’être juste. Juste pour l’étudiant, juste pour le patient qui sera examiné par ce futur médecin qui ne sait pas conduire un interrogatoire ou regarder un peu plus loin que les apparences. Nous avons la culture dans le service d’enseigner l’examen clinique. Tous les étudiants ont un senior qui essaye de lui apprendre le basique de la clinique. Pour l’évaluation de notre structure, pour l’évaluation de ma carrière, pour l’évaluation de l’étudiant à l’ECN cet apprentissage est sans importance. Je ne m’étonne pas que nombreux sont ceux qui abandonnent. Nous ne l’avons pas fait et j’espère que nous maintiendrons longtemps encore cette culture de la clinique même si nous paraissons super ringards et méchants.

J’ai la faiblesse de croire que la médecine commence au lit du patient. J’ai une plus grande faiblesse encore, celle de croire que la vraie médecine personnalisée est celle de l’écoute avant d’être celle de la technicité. C’est probablement pour ça que la médecine n’est pas un métier tout à fait comme un autre, entre grande trivialité et immense complexité. C’est pour ça que c’est beau, savoir partager le savoir que nous avons acquis pour aider le mieux possible les individus malades. Si nous ne savons pas écouter, si nous ne savons pas examiner, nous ne saurons jamais soigner.

Alors, je trouve dommage sur un sujet aussi grave que la formation médicale initiale, la réaction  de celui qui est un leader d’opinion sur les réseaux sociaux soit « Et certains professeurs aussi… ». J’aurai vraiment préféré lire un tweet « Innovation dans l’enseignement de la médecine, faire un exome après une dissection en première année d’école de médecine, ça se passe à Philadelphie, professeurs français prenaient en de la graine ».

PS: Je remercie dominique qui m’a obligé à écrire une note sur ce sujet.

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9 réponses à De la clinique à l’exome, quels objectifs pour la formation ?

  1. Dr MG dit :

    Merci pour cette analyse que je partage .

    Vous écrivez :
    « Nous ne l’avons pas fait et j’espère que nous maintiendrons longtemps encore cette culture de la clinique même si nous paraissons super ringards et méchants. »

    Je pense que l’évolution de la société est vers toujours plus de technique et que justement la clinique et son examen sont devenus « ringards ».

    J’avais lu quelques part, qu’au États Unis, les médecins n’examinaient plus les patients mais basaient leur diagnostic sur les résultats de la batterie d’examens qu’ils prescrivaient.
    Je crois que nous nous y approchons aujourd’hui de plus en plus et cette information sur la formation initiale des médecins n’est que la suite logique de l’évolution de la société.

    Je me rappelle aussi qu’il n’y a pas si longtemps le cardiologue sur le blog Grangeblanche expliquait avoir découvert un souffle valvulaire majeur chez une patiente qui avait eu de multiples examens complémentaires, tous plus techniques les uns que les autres mais que personne ne lui avait apparemment posé un stéthoscope sur la poitrine et sa pathologie valvulaire méconnue.

    De plus, comme le soulignait récemment un confrère sur tweeter : la médecine est faite pour les gens malades et non pour les biens portants. Or nous savons tous qu’une grande partie des patients qui consultent dans nos cabinets ne sont pour la plupart pas malade ( je sais que vous n’êtes pas dans ce cas) et donc quel intérêt d’examiner des gens bien portants ?
    Vous comprendrez bien que dans cette dernière phrase je pousse le bouchon , un peu loin, mais ….

    Donc si même à l’hôpital l’évolution des choses se fait en négligeant la clinique comme imaginer qu’ensuite « en ville » on puisse appliquer une technique non apprise.

    Enfin, l’évolution vers les objets connectés fera encore plus la part belle de la technique au détriment d’un examen « ringard » comme l’examen clinique.

    Je suis pessimiste pour l’avenir.

    • PUautomne dit :

      Merci pour votre commentaire. Je pense que le clivage se fera entre personnes avec moyens qui pourront se payer du tête à tête et les autres. Le système émerge aux USA plus que le fantasme de l’uberisation, c’est l’émergence des concierges qui posent question.

  2. doume dit :

    Pas plus tard que dimanche dernier, les AS de mon EHPAD ont signalé à l’inf que Mr X. avait le pénis tout gonflé.
    SOS médecin, Urgences du CHU …
    Le résident est revenu le CR suivant : « Mr X. n’est pas en rétention aigue d’urines, le microsondage a rapporté 100 ml ».
    Et lundi matin, les AS de me dire « mais le pénis du monsieur, il est toujours pas normal »

    Comment on peut sonder un patient aux urgences d’un CHU et pas voir que le monsieur, il a un paraphimosis !

  3. Ben dit :

    Merci et bravo pour cet article. A l’heure du tout génomique, des NGS (qui seront certes utiles), on oublie les éléments fondamentaux que sont l’interrogatoire et l’examen clinique. Les examens complémentaires devaient être choisis selon les hypothèses diagnostiques ou les orientations obtenues à partir des deux premières parties. J’ai eu la chance pas si lointaine de faire partie des promotions encore très réduite alors que le numerus clausus était encore bas. J’ai un enseignement formidable par les PUPH, PH et CCA dès la 2ème année de médecine avec un véritable compagnonnage au lit du patient. C’est notamment grâce à cela que je garde un bon souvenir de mes études et du CHU (c’est aussi à cause de cela que ce que j’y vois aujourd’hui certes d’un extérieur m’inquiète et me perturbe).
    J’ai l’impression que deux facteurs sont venus mettre un terme à cela : le temps et l’argent. Le temps que ce soit dans la formation initiale avec l’augmentation du numerus clausus alors que le nombre d’enseignant restait stable voire baissait. Les étudiants refont de la sémio en amphithéâtre loin du malade, externes passent de moins en moins de temps dans le service pour différentes raisons qu’il serait trop long à lister. Les encadrants se retrouvent fassent à des groupes bien trop nombreux pour pouvoir faire facilement de la clinique.
    L’argent : parce que les budgets des établissements universitaires sont de plus en plus contraints : de moins en moins de praticiens dans certains services pour toujours plus de charges (notamment administratives). De ma promotion, seul un seul interne toute spécialité confondue a pu rester au CHU qui ne créait plus de poste pérenne (au bout de 4 de PHU, certains en ont marre…). Et puis pourquoi former à la clinique puisqu’en ville, à 23€ la consultation (soit le même prix qu’en Thaïlande ou au Mexique et moins que la coupe homme chez mon coiffeur), vous disposez de 10 minutes pour une consultation qui va laisser peu de temps à l’interrogatoire et encore moins à l’examen clinique… Et pourtant, le temps de consultation est le plus rentable qui soit pour la prise en charge du patient et faire des économies pour le système de santé : plus d’écoute pour les gens pas (trop) malade ou dans la détresse psychologique qui évite la prescription de certains anti-dépresseurs ou psychotropes, plus de temps pour examiner le patient, aller voir sur internet ou dans un bouquin pour guider ses prescriptions d’examens complémentaires moins nombreux et plus pertinents, plus de temps pour revoir un patient au lieu de l’adresser directement au spécialiste car pas de temps pour faire de la pédagogie.

    Il faudra également néanmoins que dans de nombreuses spécialités les universitaires se remettent en question. J’ai le souvenir du responsable national des cours de ma spécialité qui disait devant tous les internes de la spécialité que s’occuper de patients étaient à la portée de toute le monde et que nous serions départagés uniquement sur nos publications… Il est pourtant très exigeant dans son service et ne prendrait jamais un mauvais clinicien ensuite.
    Peut-être manque-t-il comme dans certains pays des chairs dédiés à la clinique.

  4. Bonjour PUautomne

    Mon tweet lapidaire a en effet eu un intérêt majeur, celui de te faire écrire ce billet 😉 Je suis quasiment d’accord avec tout ce que tu écris, et notamment la stupide évaluation des étudiants sur des mots clés au sein de phrases qui ne sont même plus lues. Avec un tel système de valorisation, comment s’attendre à ce que les étudiants s’intéressent à la clinique et à la l’humanité de leur métier ?

    On a les étudiants qu’on fabrique. Ils ne sont pas fautifs, ils s’adaptent. S’ils ont choisi de négliger la clinique, c’est parce que l’ECN n’en tient pas compte.

    Tu as réalisé toi-même que le student-bashing était inapproprié https://perruchenautomne.eu/wordpress/?p=1602

    Donc, quand je lis que les professeurs d’Université s’émeuvent du niveau des étudiants, cela me conduit à leur renvoyer la poutre qu’ils ont dans l’oeil. Et je ne parle pas que du système qu’ils ont mis en place. Combien de PU sont d’une incroyable incompétence en méthodologie scientifique et en statistique ?

    Reste le problème lié à l’Europe qui permet à des étudiants étrangers de se présenter à l’ECN avec un niveau parfois inférieur à celui des étudiants français. Or, contrairement à ce que tu écris, et à ce que veut nous faire croire l’Université, l’ECN n’est pas un examen classant mais un concours sans exclus. Un examen suppose une note minimale pour le valider. Ce n’est pas le cas pour l’ECN, en tout cas à ma connaissance.

    Il y a 35 ans, représentant étudiant, je me suis battu contre un projet d’examen final, qui aurait pu conduire à exclure de la profession des étudiants après 6 ans d’études, étudiants qui avaient pourtant validé leur cursus. Ce projet a été abandonné. Mais la question de l’évaluation du niveau des étudiants étrangers reste entière, de même que celle des conditions de nomination de certains PU et de leur contrôle après nomination.

  5. Ping : De la clinique à l’exome, quels ob...

  6. Julien dit :

    Bonjour Perruche en automne,

    J’ai un grand respect pour vous, et j’aime votre blog que je suis depuis très longtemps avec beaucoup d’attention. Je suis interne en néphrologie, et je me permets juste de réagir sur une petite partie de votre message qui m’a un peu gêné.

    Je suis tout à fait d’accord sur votre constat très juste sur la perte d’importance de la clinique aux yeux des étudiants.
    Je suis également persuadé que les étudiants seraient très content d’avoir une vraie évaluation basée sur clinique. Si, avec les années, nous rechignons à aller en stage et préférons bosser à la maison des cas clinique, c’est justement a cause du système des ECN qui n’évaluent pas la clinique.
    Assesment drives learing. La clinique n’est pas ringard en soi, mais le système la rend ringarde.

    Cependant: quand j’ai débuté médecine, on entendait déjà des grand discours de PH sur a quel point nous étions mauvais en clinique, que c’etait mieux avant, au lit du malade… etc. Mais depuis, rien n’est fait à part de longues complaintes. C’est là ou je rejoins Dr Dupagne:
    Si je ne me trompe, le « système » pour l’instant, ce sont les PH qui sont en capacité de le changer, pas les étudiants. Pourquoi n’y a t-il pas des actes de la part des universitaires plutôt que des discours?

    Des systèmes d’OSCE sont en place au Cambodge où je suis actuellement, et se développent dans plusieurs pays d’Asie, mais aussi d’Afrique. Pourquoi le système est-il si sclérosé en France? N’y avait-il pas une chance d’insister sur cela lors de la réforme des ECN?

    Un espoir cependant : les nouveaux objectifs ECN sont axés sur des compétences… mais jusqu’a présent, pas d’évaluation de celles ci…

    Merci pour votre blog,
    Julien

    • PUautomne dit :

      Merci pour votre commentaire, la conférence des doyens a il y a quelques années sous l’impulsion d’un jeune doyen que je connais un peu voulu remettre de l’évaluation clinique. Pour ça il fallait décentraliser l’ECN, les résistances sont venues des associations d’étudiants qui ne voulaient surtout pas entendre d’une évaluation des compétences cliniques au nom de la sacro-sainte équité qui selon eux serait remise en cause par la subjectivité de l’évaluateur. Comme si les patients n’étaient pas subjectifs dans l’impression que nous leur donnons. SI vous voulez vous amuser aller dire à l’association des étudiants en médecine que ce serait bien pour classer les étudiants de tenir compte de leur compétence clinique.
      Les PU-PH contrairement à ce beaucoup croient n’ont pas un vrai pouvoir décisionnaire. Un ministre n’est pas près à voir descendre dans la rue les étudiants en médecine, le pouvoir est du coté des étudiants par le biais des syndicats, pas du coté des fantasmés mandarins. Il suffit que nous disions quoi que ce soit sur la formation pour être immédiatement la cible de l’ire de tous ce que compte le paysage syndico-médiatique de l’étudiant en médecine. Nous n’avons pas vraiment de pouvoir.
      Lors de la grosse conférence de santé, les syndicats étudiants vont encore montrer leur vision particulièrement brillante de la médecine. ON nous demandera de former des spécialistes dès la 4é année de médecine comme si le problème de la médecine actuelle était l’absence de spécialisation. Le refus de l’approche holistique du patient m’afflige, mais ça doit être le sens de l’histoire, en mcdonaldisant la médecine nous ne rendons service à personne.
      Enfin sur les nouveaux objectifs de l’ECN centrés sur les compétences, la tablette et le QCM comme alpha et oméga de l’évaluation des compétences me ferait doucement rire si je n’avais pas envie de pleurer devant cette vaste fumisterie.
      Ce n’est pas très grave, tout le monde trouve ça très bien, c’est que je dois juste être un vieux con un peu aigri et has been en m’accrochant à la relation à l’autre.

  7. Julien dit :

    M.Perruche en Automne,

    Merci d’avoir pris le temps de me répondre.

    Je n’étais effectivement pas au courant de l’opposition des syndicats étudiants à cette évaluation: je suis surpris car encore une fois, la plupart des étudiants et internes autour de moi s’accordent sur l’importance d’évaluer la clinique (certes, ce n’est pas un échantillon représentatif).

    Pensez vous qu’il soit possible que cela vienne d’une incompréhension et méconnaissances des méthodes d’évaluation standrdisées disponibles?
    En tant qu’étudiants, nous ne connaissons pour l’instant que le CSCT, où l’évaluation est plus qu’obscure et subjective: pour vous donner mon expérience, j’ai passé mon CSCT en psychiatrie, sans voir jamais pu m’exercer à cette évaluation, sans connaitre sur quoi se basait l’évaluateur pour la notation, et en ayant exactement la même note que tous mes camarades.
    J’ai bien peur que ce CSCT, très peu pédagogique et non standardisé, pousse les étudiants -à juste titre- à refuser que cette évaluation soit intégrée encore plus dans notre formation.

    Et votre dernière phrase me parait plein de résignation, alors qu’au contraire, nous avons besoin de vous et des autres leaders motivés pour empêcher cette « mcDonaldisation » de la médecine, pour reprendre vos termes.

    « PH de toutes universités, unissez-vous! », comme dirait l’autre.

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