Les chevaliers servants

En me promenant, j’ai vu la une, quelque peu agressive, de ce magazine que je ne connais pas.

20160319_173207Je n’avais pas très envie de dépenser mon argent pour ce qui allait être une élégie au médecin de famille. Je m’en tiens au titre. Si un lecteur à la version papier, je suis preneur, juste pour confirmer mes craintes.

Je n’ai jamais voulu faire médecine, jusqu’au milieu de la première année de médecine. Quand j’étais gosse et jusqu’à 18 ans, si on me demandait ce que je voulais faire, je répondais tout, sauf médecine. Sur le petit papier à l’école, j’écrivais pape, le blanc du costume était très joli.

Mes parents étaient médecins. Je ne les ai pas vraiment vu durant mon enfance sauf pendant les vacances. Ils étaient installé dans un quartier plus que populaire. Mon père était généraliste. Contrairement à ce que pense Valeurs Actuelles, en ville, en particulier dans les marges des villes, il y avait des chevaliers servants. Vieille antienne de la droite catholique, du coté corrupteur de la ville, alors que la campagne garde les vraies valeurs de la France Éternelle.

J’ai eu de la chance. J’avais 8 ou 9 ans, mon Lancelot de père a fait son premier infarctus, il avait 34 ans. Il a été obligé d’arrêter son activité, obligé d’arrêter de fumer trois paquets de clopes par jour, obligé de boire moins de café et il s’est occupé de nous. Il est apparu dans ma vie. Il avait du mal à rester en place alors il a rapidement repris des études et il a fait un CES de cardiologie, qu’il avait déjà commencé, je crois. J’ai passé pas mal de mercredi matin à attendre avec ma sœur dans un sous sol pendant qu’il faisait des échographies. Il essayait parfois de me montrer le cœur battant, souvent la clope au bec et oui les mauvaises habitudes reviennent vite.

Quand il était généraliste, c’était un chevalier servant ou un moine combattant de la médecine comme les encense ce fanzine de droite. Mes souvenirs sont les moments où il nous accompagnait à l’école avant d’enchainer sur sa journée de 14 heures, plus les visites la nuit. Une époque où les  patients n’allaient pas au urgences mais où ils appelaient leur médecin qui venait à 2 heures du matin, qui répondait au téléphone le week-end, en vacances, encore heureux il n’y avait pas de portable. Je passe sur les patients à la maison, les visites où on nous trainait, les « j’ai encore un peu de travail », les « allez jouer », les « on verra plus tard ». J’ai était élevé par mes grands parents. Pendant la semaine, je ne voyais mon père que le matin et pas ma mère. J’ai cru que tout les médecins travaillaient plus de 14 heures par jour. J’ai longtemps cru que partir avec des patients en vacances était normal. J’ai longtemps cru, que les horaires normaux de la consultation de psychiatrie étaient de finir à 23 heures, qu’emmener ses enfants dans les cités pour faire des consultations, que les laisser jouer dans le parc d’une clinique psychiatrique était une norme admise par la faculté.

J’ai détesté la médecine qui a happé mes parents.

Heureusement, à l’époque, elle soignait mal les infarctus. J’ai pu connaitre mon père un peu mieux, pendant quelques années collège. Après, il a repris sa vie de dingue, un peu moins vite  et il est mort. J’avais 15 ans, lui la quarantaine. Je ne voulais pas être médecin.

Quand je lis ces titres, ces articles, ce délire sur le médecin parfait, celui qui se dévoue corps et âme à son métier, à ses patients, je replonge dans mon enfance et je les déteste. Ceux qui écrivent ces inepties n’imaginent pas la vie imposée à l’entourage. Ces médecins acceptent ce rythme pour des raisons d’égo, à mon avis plus que malsaines. Ils voient la reconnaissance dans le regard des patients qui deviennent des zélateurs de ce docteur si dévoué, si bien, si gentil juste parce qu’il vient quand on le siffle, le jour, la nuit, juste avant de partir en vacance, dès les valises posées. Cette déification est un miroir aux alouettes. Il valorise juste le moi du médecin. C’est une drogue dure. Une drogue terrible, une fois qu’on y a gouté, il est difficile de décrocher. Tout passe avant pour avoir sa dose de regards énamourés, de « vous êtes formidables ». Il est évident que des sales gosses ne peuvent pas lutter contre ça, surtout quand arrive l’adolescence et que ça commence à frotter. Il est tellement tentant de plonger alors. J’ai toujours résisté à la tentation parfois de façon trop extrémiste. Il n’est pas totalement innocent, mon choix de l’hôpital public. Je travaille un peu, moins que mes parents certainement. Je n’ai pas l’impression d’être un traitre aux patients. J’ai essayé de ne pas être une ombre entourée de fumée de gitanes sans filtre. Ce métier est un métier un petit peu différent des autres, il demande un peu plus d’investissement, fait un plus mal à la tête que d’autre, nous dormons souvent un peu moins bien que d’autres, nous sommes confrontés à la vie, à la mort, j’ai suffisamment écrit la dessus. Je défends un investissement important, car je le crois nécessaire pour être un médecin correct, pas pour voir des étincelles dans le regard des patients ou avoir des remerciements. Cet engagement ne doit pas se faire au détriment de sa santé, de ses enfants, sinon il est assez facile de ne pas en faire.

Ce titre est une imposture, « chevalier », les médecins ne sont en rien des chevaliers et la maladie certainement pas un dragon. Nous sommes des soignants, c’est déjà pas mal et suffisamment difficile. Fantasme sur le médecin de campagne, sur ce praticien omnipotent, omniscient, omniprésent, insupportable, c’était mon père. Nos deux visions de la médecine et du rôle du médecin auraient pu donner naissance à des discussions assez animées autour du gigot dominical. Trente ans après sa mort, je vois encore de temps en temps des patients qui l’ont connu, ils ont encore de l’émotion sur ce médecin si dévoué, si charismatique, alors que que les jeunes de maintenant… Oui, il était tellement dévoué, qu’il en a crevé, vous laissant vous, les patients chéris, orphelins, sauf que vous avez retrouvé un médecin, moi je n’ai jamais retrouvé de père.

Je rappellerai à ce magnifique journal qui m’a l’air attaché au roman national, que la formidable chevalerie française s’est pris une sacrée rouste face à des anglais bouseux armés d’arcs et de flèches, et pas qu’une fois. C’est bien la chevalerie, c’est beau, dans le roman arthurien. Dans la réalité, les agiles ont gagné contre des lourdingues qui croyaient en leurs soit disant valeurs. Pour ceux qui veulent comprendre d’où vient cette passion du martyre sauce chrétienne, car on parle de ça ici, du rêve d’un médecin qui se sacrifie pour son patient, pour la France, et ainsi dépasser l’histoire à deux balles de ce torchon; je conseille l’écoute de la toujours excellente Concordance des Temps de samedi sur les martyrs. Cette passion n’est manifestement pas éteinte. Le sacrifice est inscrit dans notre inconscient culturel, très profondément.

C’est fou ce que la une d’un magazine réac peut réveiller en vous.

Note écrite avec le soutien de cet album qui reste un must de la musique de jazz.

[audio: https://perruchenautomne.eu/wordpress/wp-content/uploads/2016/03/03-Blue-in-Green.mp3]
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10 réponses à Les chevaliers servants

  1. docteurdu16 dit :

    Bonjour,
    Quelques remarques sur ce billet.
    1) Penser que seule la droite fantasme sur les bons vieux temps du médecin généraliste est assez erroné
    2) Mon père qui n’était pas médecin est mort à 42 ans d’un cancer du poumon lié au tabagisme : c’était une autre époque
    3) La médecine de ville était effectivement, elle-aussi, sentimentale. Lire les deux livres de Jean Reverzy, un Lyonnais, Le passage et Place des angoisses.
    4) L’épidémiologie a changé : quand un médecin de campagne allait visiter un enfant malade à domicile il arrivait qu’il mourait ; aujourd’hui la mortalité infantile a disparu (lire les bons auteurs) ; nous sommes dans une médecine générale « chronique »
    5) Les patients, malgré la disparition quasi complète de la pathologie aiguë mortelle, ont une représentation des médecins comme celle de Valeurs Actuelles en oubliant que la majorité des pathologies dont ils souffrent guérissent toutes seules
    6) Quant aux médecins ils n’ont pas compris le tournant épidémiologique de la médecine de ville.
    Il faudrait développer.
    Donc, le billet est intéressant mais se trompe de cible.
    Bonne journée.

  2. CMT dit :

    Bonjour,
    mis à part le fait que je trouve ce retour en arrière assez touchant, je partage, en partie du moins, l’analyse sur les motivations des médecins. Je pense que nous avons tous ces complexes, au sens psychanalytique du terme, que nous sommes tous esclaves de quelque chose (cela peut être l’argent, le travail, mais aussi la recherche de la reconnaissance des autres) et que ce n’est pas par hasard que l’on choisit un métier de service et qu’on prétend se mettre au services des autres (même si les motivations pour choisir d’exercer la médecine ne sont pas toujours celle-là).

    On peut se référer à la classification des typologies au travail, qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui autorise une grille de lecture http://www.psychologies.com/Travail/Vie-professionnelle/Relations-professionnelles/Articles-et-Dossiers/Persecuteur-sauveur-victime-quel-est-votre-role et dire que les médecins se situent plutôt du côté des « sauveurs ».
    Pour moi, ce besoin effréné de reconnaissance, signe moins un ego surdimensionné, au sens où on peut l’entendre, qu’une fragilité narcissique qui demande à être sans cesse étayée et réparée. Je pense qu ce genre de personnalité est à haut risque de burn out en médecine.
    On peut le comparer, de mon point de vue, du besoin qu’à l’artiste de la reconnaissance du public.

    Une petite recherche montre qu’à priori, la surmortalité précoce des médecins, malgré l’impression qu’on peut en avoir, ne serait pas une réalité épidémiologique http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11020591 . Mais il s’agit d’une étude américaine.

    D’autre part, il semble que, soit les personnes qui choisissent de travailler dans le domaine de la santé soient plus fragiles psychologiquement que les autres, soit la confrontation constante à la souffrance des autres ou à leur manque de reconnaissance ou insatisfaction finit par avoir des conséquences, puisque les métiers de la santé ont un taux de suicide plus élevé que dans d’autres secteurs d’activité . « Le secteur de la santé et de l’action sociale présente le taux
    de mortalité par suicide le plus élevé (34,3/100
    000). Viennent ensuite
    les secteurs de l’administration publique (en dehors de la fonction
    publique d’État) (29,8/100
    000), de la construction (27,3/100
    000) et de
    l’immobilier (26,7/100
    000). » http://www.invs.sante.fr/publications/2010/suicide_activite_professionnelle_france/rapport_suicide_activite_professionnelle_france.pdf

    • PUautomne dit :

      Sur la faille narcissique, je partage complétement votre propos. Il y a une fragilité de beaucoup, souvent très bons élèves mais par forcement très « finis » au niveau émotionnel. J’en parle d’autant plus facilement que je me mets dans le tas des « pas finis ». Je suis convaincu de l’importance d’une vraie réflexion sur ce problème majeur. Malheureusement, le discours sur le burn out qui se limite aux conditions du travail sans prendre en compte le terrain empêche toute réflexion de fond sur le sujet. Il y aurait tout un travail psychanalytique combiné aux sciences sociales pour démonter ces processus. J’avais beaucoup aimé « Observations cliniques en psychopathologie du travail » http://www.librarything.fr/work/16443811/book/68685045 de C Dejours avant qu’il ne devienne trop médiatique ou qu’on coupe son discours trop analytique.
      Il y a du boulot.

  3. adèle dit :

    Medecins de père (mère) en fils (fille), quelle signification ?

    NB je m’interroge, car chez moi, à part ma soeur et moi, personne n’est médecin, ascendants ou descendants.

  4. CMT dit :

    On en revient, même pour ce sujet, où ce n’était pas une évidence, à priori, à l’éternelle question de l’inné et de l’acquis, du génétique ou de l’environnemental. Comme dans 99% des cas, la réponse est: les deux, mon général.
    Sinon, je ne connaissais pas ce livre, mais je trouve que Christophe Déjours est plein de finesse dans ses analyses du travail et de ses implications.

  5. Mickey dit :

    Bonjour

    Je pense que critiquer un article non lu n’est pas pertinent….

    Bon, ceci dit, la reconnaissance du patient n’est plus la même qu’avant, devenu exigent par des années de consommation médicale.
    Personnellement, je ne me vois pas me droguer à la reconnaissance des patients. J’espère avoir une vie, mais ce n’est pas le temps qu’il me manque pour les enfants, c’est une copine.

    Bref.

    Nous ne voulons plus de ça, nous la jeune génération.
    Par contre, je vous conseille de lire l’article, pour un journal « reac de droite » il est souvent plus intéressant que les classiques journaux reac de gauche comme Le Monde et Libération

    Bonne journée

  6. Bonjour,
    J’ai écrit la même chose, quasiment, sur mon grand-père chirurgien mort à 30 ans.
    http://www.atoute.org/n/article205.html

  7. philippe dit :

    C’était une autre façon de vivre que travailler jusqu’à en mourir, la souffrance et le deuil pour ceux qui restent et qui doivent réinventer le travail pour survivre.
    Je ne voyais pas encore que le pape portait aussi une blouse blanche, alors que vous aviez déjà cette vision depuis longtemps grâce à votre père.
    Merci pour votre témoignage avec tous mes encouragements.

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