Un peu de Karl Kraus et d’Amos Gitaï

Deux petits conseils pour occuper les premiers jours d’Aout. Le premier d’écoute, Amos Gitaï a mis en scène à Avignon, une adaptation théâtrale du dernier jour de Itzhak Rabin. Vous pouvez l’écouter sur France Culture. L’assassinat de Rabin est raconté par sa femme avec la voix de deux récitantes, d’une pianiste et d’une violoncelliste. Le travail est remarquable. Cette écoute est totalement d’actualité. Elle montre comment pour des raisons bassement politiques, en dénonçant violemment un homme, en le transformant en monstre, en lui retirant son humanité, la porte s’ouvre au meurtre. Si nous ne prenons garde à respecter l’autre comme être humain, si nous entretenons la peur, la haine, nous faisons le lit de la mort. Il y aura toujours un malheureux pour croire les mots de haine et assassiner. Ce spectacle est remarquable dans sa forme, il démonte la mécanique implacable qui conduit au meurtre. Les mots ont un sens, les mots ont un poids, surtout quand ils sont répétés ad nauseum. A coté de cette dimension très actuelle, il existe au cœur du texte, une description de la sidération qui accompagne la mort de l’aimé d’une justesse incroyable. Je conseille à tous les médecins, étudiants, soignants et futurs soignants de bien écouter les mots de Léa Rabin sur son expérience du deuil. C’est exactement ça, vide, épuisement, absence. Si le théâtre ou la littérature ont une utilité, c’est celle ci, nous transmettre une expérience que nous n’avons pas vécu pour être plus empathique avec l’autre. Je ne sais pas pourquoi je suis si optimiste.

Mon deuxième conseil est « Monologues du Râleur et de l’Optimiste » de Karl Kraus. En ces temps tourmentés, lire ces textes écrits pendant et au sortir de la Grande Guerre est une œuvre d’hygiène mentale. Vous serez surpris par l’actualité des analyses de Kraus. Il dénonce la guerre, ceux qui la conduise sans risque, les profiteurs, le bourrage de crane par les médias. Il a des mots durs mais d’une véracité, d’une acuité cent ans plus tard qui font de ces monologues dialogués des classiques. Il décrit avec acuité cette guerre où la machine devient l’outil essentiel et l’homme juste une victime de la machine. Il décrit le complexe militaro-industriel et au delà la capacité destructrice du capitalisme qui nie l’humain d’une façon brillante. Karl Kraus a le sens de la formule. C’est ce qui rend cette lecture déprimante si attrayante. Une leçon pour résister au prêt à penser, à l’absence de recul, une façon de lutter contre la peur qui obscurcit tout. Une ode à l’utilisation de sa substance grise et à l’esprit critique que ces cent mille signes publiés chez Agone.

« C’est à l’ombre de l’idéal que le mal prospère le mieux. »

« La guerre métamorphose la vie en une chambre d’enfant où c’est toujours l’autre qui a commencé, où toujours l’un se vante des crimes qu’il reproche à l’autre d’avoir commis, et où la bagarre prend l’aspect de jeux guerriers. »

« Nous serions les commis-voyageurs des usines d’armement, censés témoigner , non pas avec leur bouche des performances de leur entreprise, mais avec leur corps de l’infériorité de la concurrence? »

« L’homme est incapable de bénéficier d’un progrès sans en tirer vengeance. Il retourne immédiatement contre la vie ce qui était censé l’aider à se relever. Il se rend la vie difficile avec ce qui était censé la faciliter. »

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Une réponse à Un peu de Karl Kraus et d’Amos Gitaï

  1. Didion dit :

    Merci pour ces précieuses pistes.
    Et bonnes vacances … s’il en reste !

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