La science pour lutter contre notre fainéantise intellectuelle et iodée

Identifier une cause d’insuffisance rénale aigüe n’est pas chose facile, la boite à outil pour y arriver est là. J’en profite pour rappeler que la première cause est fonctionnelle, le patient présente une hypovolémie ou prend des médicaments modifiant l’hémodynamique intrarénale. Pour ceux qui veulent une définition de l’insuffisance rénale aigüe, c’est là.

Je rappelle ma démarche pour le diagnostic d’une augmentation de la créatinine ou presque toute la néphrologie en un arbre décisionnel. Qui osera dire que cette spécialité est difficile.

Quand nous avons un appel pour une poussée d’insuffisance rénale aigue (IRA), une des premières questions pour un patient hospitalisé est « est ce qu’il a reçu une injection de produits de contraste iodés (PCI)? » Il a été suggéré que l’iode était la troisième cause d’IRA. Quand il y a eu soit un scanner, soit une coronarographie, et une tableau urinaire compatible nous nous contentons souvent de ce diagnostic de néphropathie aux PCI. Depuis deux papiers importants, ma conviction dans l’existence de cette entité a été fortement ébranlée. La paresse dominant mon cerveau, je sers encore ce diagnostic régulièrement. Deux nouveaux articles viennent conforter mes doutes dans l’existence de cette pathologie.

Le premier a été publié dans JASN 653.full. Il s’agit de l’analyse de plus de 8 millions de patients hospitalisés comparant les patients ayant reçu une injection de produits de contraste iodés à ceux n’en ayant pas reçu et leur risque respectif de développer une insuffisance rénale aigüe. Le résultat principal est présenté dans ce tableau.

L’injection de PCI ne semble pas être associée à une augmentation du risque d’insuffisance rénale aigüe sur l’ensemble de la cohorte, après en fonction des comorbidités, il est observé des différences. Ces données sont intéressantes. Je retiens surtout qu’injecter un PCI à une pancréatite est  associé à une franche augmentation du risque d’IRA (un doublement), pour sourire regardez le syndrome coronarien aigu, ici l’iode protège, amusant non. Pour le reste les différences vont dans tous les sens et sont relativement peu importantes en terme d’augmentation du risque. Le risque d’insuffisance rénale aigue après injection de produits de contraste iodés est ainsi très modeste pour ne pas dire inexistant. Ces données confortent les résultats précédemment observés par des radiologues.

La figure qui m’a le plus intéressé dans l’article est celle ci, elle reprend juste visuellement les données de la table 2, donc de peu d’intérêt, mais si parlante.

Cet article nous montre qu’avant de nous contenter du diagnostic de néphropathie aux PCI nous devons absolument envisager les autres diagnostics en particulier l’hypovolémie qu’elle soit réelle ou efficace.

Le deuxième article a été publié dans le Lancet 1-s2.0-S0140673617300570-main. Il est accompagné d’un éditorial d’une rare mauvaise foi 1-s2.0-S0140673617305408-main. Cet article veut répondre à la question: « est il utile de préparer (en leur perfusant du sérum physiologique) les patients avec un débit de filtration glomérulaire entre 30 et 60 ml/mn/1,73m2 et des facteurs de risque de développer une IRA (en particulier prise de diurétique, près de 50% des patients) qui vont recevoir un produits de contraste iodé? » Les auteurs ont  réalisé un essai clinique randomisé monocentrique de non infériorité en ouvert comparant hydratation et pas d’hydratation. 660 patients ont été inclus, 603 sont analysables. La définition de l’insuffisance rénale est une augmentation de 44 µmol/l entre J2 et J6. Le résultat est sans appel. La même fréquence d’IRA est observée entre les deux groupes, le risque est faible 2,6-2,7%.

Formellement, ne pas perfuser avec du sérum physiologique un patient avec un DFG entre 30 et 60 n’est pas inférieur en terme de risque de survenue d’une IRA à le perfuser. En terme économique, l’attitude ne pas perfuser du sérum physiologique est rentable. Il faut noter qu’il y a aussi bien des injections intraveineuses qu’artérielles de produits de contraste iodés.

A plus long terme, l’hydratation ne montre plus d’intérêt mais elle est associée à plus d’effets secondaires.

Cet article est important pour le responsable d’hôpital de jour que je suis. Il sous entend que nous pouvons sans trop d’angoisse éviter de perfuser du sérum physiologique ou des bicarbonate à nos patients avec un DFG entre 30 et 60 ml/mn/1,73m2. Je le trouve très bien fait comme souvent ces papiers néerlandais. Il va faire hurler et couler beaucoup d’encre. Un article seul ne doit pas faire changer nos pratiques, associé aux données épidémiologiques, il montre que notre propension à porter par excès des diagnostics de néphropathie aux PCI doit être un peu réfréné, surtout quand le patient dégrade de façon très importante et a besoin de dialyse.

Pour ma part, pour ces patients entre 30 et 60 ml/mn/1,73m2 de DFG, je continuerai à leur conseiller d’arrêter les diurétiques avant l’injection de produits de contraste iodés, à manger salé et éventuellement boire du vichy. J’aurai tendance à ne plus les préparer, du moins pour les patients vus par moi. En terme d’avis téléphonique, je continuerai à conseiller le remplissage avec du sérum physiologique simplement car je ne fais grande confiance à l’évaluation de l’état d’hydratation par d’autres que moi.

Pour les patients à moins de 30 ml/mn/1,73m2 de DFG, il faut continuer à préparer comme recommander. Mais il ne faut pas craindre l’injection de PCI si elle est nécessaire.

Nous avons besoin de travaux complémentaires pour déterminer si l’injection de produits de contraste iodés est associée ou non au risque d’insuffisance rénale aigüe. La seule façon de répondre serait un essai randomisé comparant scanner injecté contre non injecté chez des patients ayant besoin d’une imagerie. Le design n’est pas forcément facile. Ce serait un très beau travail à mener. Nous avons toutes les données pour faire un calcul d’effectif. L’ensemble de la communauté médicale bénéficierait de la réalisation d’un tel travail.

L’exemple de la néphropathie aux produits de contraste iodés et des questions que nous nous posons à son sujet est symbolique de la puissance de la science. Elle permet de remettre en cause des idées profondément ancrées dans nos têtes, voir qui sont devenus des dogmes. Qui aurait dit il y a 20 ans qu’on se poserait la question « Est ce qu’une injection de PCI est néphrotoxique? » Faire de la recherche en générant des hypothèses, produire des données et les analyser de façon pertinente permet de faire avancer la connaissance. Les implications sont importantes, comprendre un phénomène permet de mieux prendre en charge les patients. Ce que j’aime est qu’il s’agit d’un processus permanent de remise en question, de doute. Nous ne pouvons, nous ne devons jamais nous reposer et toujours aller plus loin dans la compréhension du monde. Seule la démarche scientifique permet cette compréhension. Les résultats obtenus doivent toujours être interprétés avec humilité, car demain un nouveau chercheur pourra d’un revers d’expériences tout remettre en cause. Les évidences d’aujourd’hui seront peut être fausses demain, mais je n’y prêterais attention que si c’est le fruit d’une démarche scientifique rigoureuse et honnête.

La science est belle, elle nous force à utiliser notre cerveau, ce qui reste la plus belle de toutes les activités humaines. Il faut toujours chercher à comprendre contrairement à ce qu’à pu dire un premier ministre français. Rejetons les dogmes, le prêt à penser, ne cédons pas à la facilité des arguments fallacieux de l’anti-science qui reviennent si fort actuellement. Réfléchir, penser, partager, voici un beau triptyque qui pourrait être le cœur d’un projet de société.

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6 réponses à La science pour lutter contre notre fainéantise intellectuelle et iodée

  1. mehdi maanaoui dit :

    Bel article 🙂

  2. Bryan dit :

    https://media.giphy.com/media/1Z02vuppxP1Pa/giphy.gif

    C’est effectivement la perception que j’ai sur l’insuffisance renale induite par le produit de contraste.

    Je m’étais fait la bibliographie sur le sujet y’a un an en essayant de comprendre la physiopathologie et en reprenant l’historique, je me suis rendu compte que :

    0. La physiopathologie n’est pas clair du tout.
    1. Les premiers cas historiques rapporté étaient sur des injections de produit de contraste dans un contexte de myélome (où la physiopathologie est extrêmement clair).
    2. L’IRA liée au produit de contraste a été globablement démontré en disant que sur une certaine partie de la population, la créatinémie montait après la réalisation d’un examen impliquant du produit de contraste, et ce, sans faire de groupe controle pour voir si la créatinine augmentait aussi sur une partie de la population sans injection de produit de contraste (spoiler : elle le fait).
    3. Les dernières études de bonne qualité des 10 dernières années avec groupe de controle ne trouvait pas de différence entre les deux groupes.
    4. Les papiers de la mayo clinic sur 12000 patients qui ne retrouvent pas de différences peu importe le niveau d’IRC.
    5. Et effectivement, ces deux derniers papiers qui me confortent dans cette idée.

    Bref.

    Effectivement, je trouve ça très intéressant qu’il ait fallu des décennies et des centaines d’études à chercher à comprendre la physiopathologie d’un entité finalement n’existe sans doute pas.

    Et surtout, il faut toujours remettre en question les dogmes.

  3. Merci beaucoup pour ce billet. Pendant des années, j’ai exécuté les ordres de mes chefs qui me demandaient de perfuser du G5% chez des patients diabétiques avant leur scanner injecté parce que « ça hydrate davantage ». Oui je sais… Et je ne parle pas de la metformine.
    Ca serai intéressant aussi de regarder le temps d’attente au scanner, genre après combien d’heures de jeune les patients ont eu leur scanner. Je pense que certains ont largement le temps de se déshydrater.

  4. John Doe néphrologue de campagne dit :

    Bonjour. Merci du rappel de ces études, j’avais aussi repéré la néerlandaise bien faite. Ce problème pratique ne se résume cependant pas à celui de scanners faits à froid chez des patients plutôt stables, avec des volumes raisonnables. Il y a de manière empirique d’évidentes aggravations de la fonction rénale pour des procédures d’injection beaucoup plus à risque (abord artériel, plus de volume, situations médicales plus sévères). Pour finir d’enfoncer des portes ouvertes, comme d’habitude bien sûr en iatrogénie hospitalière le risque est proportionnel à la gravité des malades et donc à la probabilité de mettre en œuvre des procédures diagnostiques ou thérapeutiques à risque. Ok.
    Il me semble cependant prétentieux dans certains éditos de gloser sur l’absence de risque spécifique en mettant de côté ces situations quotidiennes. Même si les preuves cliniques et expérimentales font défaut aujourd’hui.
    Je n’ai jamais vu vraiment non plus d’études sur l’impact rénal vs témoins de la répétition des procédures avec injection, ce qui se voit de plus en plus avec des patients cancéreux mis en rémission ou contrôlés et suivis de près depuis des années, ou des patients coronariens et/ou artéritiques qui ont pu avoir plus de 5 à 10 procédures artériographiques en quelques années. Là aussi les biais et facteurs de confusion sont multiples mais ce sont aussi des patients qui viennent à la consultation avec la question « pourquoi » et en restant mesuré on peut au moins essayer de confronter l’historique de ces injections avec celui de leur fonction rénale.

  5. guzian dit :

    Quand vous avez montré l’arbre décisionnel ce soir, je savais bien que je l’avais déjà vu quelque part 😉 J’ai gagné le droit de relire l’article !

    La rhumato

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