Nourrissons le troll.

Quand je dis que le poids est un sujet sensible, je n’ai manifestement pas tort. Il suffit de voir les commentaires sous ma note. Je connais quelques personnes qui ont réussi de façon durable à perdre du poids de façon durable plus de 10 ans, avec une approche consistant à changer leur comportement alimentaire et leurs habitudes. Ceci ne veut pas dire grand chose. Comme asséner, dans mon expérience, je n’ai jamais vu un patient maigrir durablement. Il y a peut être un biais. Que ce ne soit pas facile, aucun doute, je vais répéter ce que j’ai dit l’obésité est un problème à la fois individuel et un problème sociétal. Si nous n’interdisons pas la publicité pour la boustifaille, si nous ne faisons pas des étiquetages simples à lire et clairs, si nous ne faisons pas d’éducation nutritionnelle dès le plus jeune age, nous n’y arriverons pas. C’est sur. Il s’agit de la dimension politique de la lutte contre l’obésité. Il y a une dimension individuelle impliquant le comportement alimentaire et l’activité physique. Il n’y a pas de solutions miracles, aucune. C’est bien cette absence de magie qui rend malheureux tout le monde.

Je ne suis qu’un simple néphrologue de base. Je n’ai aucune formation en diététique, nutrition, juste un intérêt pour ça. Je sors de ma boite comme souvent. On me le reproche régulièrement. Je n’ai pas la prétention d’avoir la vérité. Je suis juste un passeur d’informations et de mes opinions. Ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est les reproches venant de personnes qui sont autant expert que moi de l’obésité et qui parlent souvent de choses qu’elles ne connaissent pas très bien. Je ferai remarquer aussi, que personne n’est venu m’attaquer avec de la littérature sur le sujet. Ça s’est limité à de la réaction épidermique ou du « c’est un prétentieux de PU-PH ».

Nous n’avons rien de très original à proposer. L’épidémie d’obésité est assez facile à expliquer. Nous avons derrière nous quelques millions d’années de pression de sélection, la famine. Nous possédons des gènes qui ont tendance à tout faire pour « profiter » au maximum des calories quand il y en a. L’obésité monogénique est rare moins de 2% des cas. Dans la majorité des cas, nous avons des associations de multiples variants qui favorisent globalement la production de gras pour les périodes de disette. Nous avions des activités physiques importantes qui consommaient beaucoup de calories. Depuis une cinquantaine d’années, nous avons une activité physique qui a énormément diminuée, voiture, écrans, ascenseur, etc. Parallèlement, nous n’avons jamais eu autant accès à de la nourriture calorique, riche en sucre, en graisse. Il est fort probable que nous avons une appétence particulière pour ces aliments caloriques du fait de la pression de sélection sus cité. Partant de ces constatations simples, la démarche pour limiter la prise de poids ne peut être que réduire l’apport en calories (la chirurgie bariatrique ne fait que ça, avec un peu de modification du microbiote) et augmenter l’activité physique. Que nous ne puissions pas proposer à tout un chacun la même modification de comportement alimentaire, c’est certain, il faut individualiser, identifier les erreurs les plus évidentes et aider la personne à se connaitre et la soutenir dans ses modifications alimentaires, en essayant de les rendre pérennes. La restriction calorique adaptée à la personne est la base. Il n’y a rien de plus difficile que de changer les comportements alimentaires. Pour l’activité physique, il faut aider les personnes à trouver une activité qui leur permettra de prendre du plaisir.

Il faut y aller doucement pour perdre du poids (viser entre 5 et 10% du poids de départ), savoir utiliser des moments de vie qui sont des fenêtres de tirs. Ce n’est pas simple, je ne l’ai pas dit et je ne le dirais jamais, mais ce n’est pas impossible. Les comportements alimentaires renvoient à des histoires, parfois douloureuses. Si nous n’identifions pas avec le patient, le sens de ce « besoin » d’être gros, il est difficile d’y arriver. La prise en charge est multidisciplinaire, c’est évident. Le psychologue ou le psychiatre peuvent être pour certains la personne clé. L’alimentation a une dimension si complexe. C’est à chacun de trouver sa voix pour une perte de poids pérenne.

Je reste convaincu que ne pas parler du problème n’est pas une bonne stratégie. Il y a une façon d’en parler, sans stigmatisation, sans culpabilisation, en utilisant les symptômes comme un levier. Orienter aussi vers les bonnes structures est un élément important, dans chaque région il y a au moins un centre expert. Enfin, si une chose a été bien faite en France, c’est le PNNS. Je ne peux que conseiller d’aller y jeter un coup d’œil. Je suis humble dans cette histoire de poids, je suis très conscient de la fragilité de la perte de poids, de la difficulté à la maintenir. Partir perdant, permet rarement de gagner, partir en étant conscient de la difficulté, des pièges peut permettre d’y arriver.

J’espère avoir bien nourri le troll et l’avoir fait un peu grossir. J’adore qu’on m’attaque sur mon titre que je mets rarement en avant, je suis professeur des universités, manifestement pour cette personne, une forme d’incarnation du mal absolu. Je n’en tire pas une gloire, je n’en ai pas honte.  J’adore quand on veux à tout prix me faire rentrer dans une boite. Soit néphrologue et pour le reste laisse parler ceux qui savent, du  moins qui s’autoproclament expert de tout et n’importe quoi. Le début de la note est un espèce de mélange de flagornerie hypocrite et de détestation assez amusant à lire.Le plus drôle est que sous la note obésité et rein, les donneurs de leçon ne sont pas venus commenter.

Dans ces histoires de poids, nous parlons tous avec notre vécu personnel ou de gens proches que nous aimons qui ont ou ont eu ce genre de problème. Être conscient de ses conflits d’intérêt cognitifs permet, à mon avis d’expert de rien, non seulement d’éviter de trop projeter nos propres angoisses sur les autres et plus important de mieux soigner.

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13 réponses à Nourrissons le troll.

  1. docteurdu16 dit :

    Bonjour,
    Quelle affaire ! Le sur poids est un problème complexe et je m’étonne que vous en fassiez une affaire personnelle.
    J’ai 64 ans, je mesure 180 cm et je pèse 76 kilos. A 17 ans (bac), je pesais 72 kilos. je ne suis pas professeur des universités.
    Le sur poids est sans aucun doute un problème de civilisation. On peut le considérer d’un point de vue anthropologique (voir la peinture française et la représentation de la femme aux 17, 18 et 19° siècle ou les cinémas indien et égyptien d’aujourd’hui valorisant les « gros ») ou d’un point de vue sociologique (dans les sociétés du G20 le sur poids est un marqueur social). Mais il est aussi possible de considérer le point de vue freudien (le plaisir, l’oralité), le point de vue des neurosciences (nul doute que des chercheurs ont déjà localisé le siège encéphalique de l’obésité, son gène, et cetera), celui de la théorie mimétique girardienne (le couple anorexie/sur poids), et cetera.
    La controverse volonté/non motivation est un classique de la pensée « moderne » : selon les sociologues bourdieuiens il existe un déterminisme social et ce déterminisme implique ceci : il ne faut pas stigmatiser le sur poids car le déterminisme social est plus fort que l’individu (thèse qui ressemble au darwinisme social des libéraux) ; selon la gauche de la gauche (c’est à dire les néo libéraux culturels) il ne faut pas stigmatiser les minorités (bientôt les « obèses » seront plus nombreux que les autres, il faudra donc, soit changer les critères de l’obésité, soit changer de minorité) ; selon les libéraux classiques tout individu rationnel a entre les neurones toutes les armes pour choisir et il a donc le « droit » le plus strict d’être en sur poids…
    Mais derrière tout cela, bien évidemment, il y a la société de consommation, la société de l’hédonisme, le capitalisme, les fonds de pension qui défendent Coca cola et Mc Do et Big Pharma qui vend des anti obésités ou des anti diabétiques (notons ici que certains prétendent que la sur consommation de sucre n’a aucune influence sur l’augmentation du nombre de diabétiques de type 2), les politiques qui craignent que la fermeture des mc do puissent augmenter le chômage et diminuer le financement des campagnes électorales.
    Voici quelques pistes.
    Sans oublier les médecins qui médicalisent l’obésité, les médecins anti hygiénistes pour la société et qui pratiquent le paternalisme dans leurs cabinets (éducation thérapeutique, entretiens motivationnels).
    A bientôt.

    • B. dit :

      Je ne suis pas d’accord avec toi, JC. Une pratique de l’entretien motivationnel selon une approche Rogerienne (qui en est finalement la source) en fait justement une pratique non paternaliste, et se defend alors du déterminisme social.
      Après, il n’y a pas que du mauvais dans le déterminisme, Spinoza en parle mieux que moi… ?
      Et je rejoins tout à fait Perruche. Le principe de précaution me laisse supposer qu’il vaut mieux un peu d’intervention brève que pas d’intervention du tout.

      Bises

      B.

      • docteurdu16 dit :

        Bon, le problème c’est qu’on est d’accord : combien de médecins font de l’entretien motivationnel rogerien ? Un ou deux ? ; la critique de Spinoza n’est pas inutile non plus et d’autant moins qu’on sait ce qu’en ont fait Bourdieu ou Lordon ; quant aux interventions brèves, tout le monde les fait, ce sont d’ailleurs les patients qui s’en plaignent le plus car ils se sentent essentialisés en tant qu’obèses, ce sont des sortes de mantras d’un paternalisme achevé : pourquoi parler de quelque chose pour laquelle on ne peut apporter de solution ? C’est comme cocher la petite case, cela ne sert à rien, ça donne bonne conscience et cela permet de mieux dormir le soir.
        Je le répète, l’obésité est un problème de civilisation et cela permet aux capitalistes guidés par la main invisible de ne pas parler de science ou de morale : je vends de la junk food, je fais des pubs pour vanter les maigres, je vends des produits contre l’obésité (mediator…), je vends des journaux qui ne parlent que de cela, et cetera, et cetera.
        Bonne soirée.

    • Lolie dit :

      Perso j’ai été assez surprise de cette polémique puisque l’article en question me paraissait plutôt plein de bon sens et pas paternaliste. Apparemment même certains soignants ont baissé les bras sur ce sujet et c’est dommage !
      Ancienne anorexique, intéressée par la nutrition, je constate cependant qu’il est difficile de parler alimentation avec les patients. Même avec les compositions de repas, des quantités précises, ils sont tous convaincus de bien manger et pas du tout motivés à changer. Assez incompréhensible pour moi que les diabètiques supportent les contraintes du ttt et les examens de suivi, alors que la perte de qqs kilos pourrait régler le problème. Et dire que l’on demande aux cancéreux de se battre contre une maladie pour laquelle ils ne peuvent rien; personne ne demande rien aux diabètiques alors qu’eux peuvent changer le cours de leur maladie.
      Enfin je suis d’accord, il faudrait des cours de nutrition des l’enfance. Je suis tjs étonnée de voir des adultes ne pas connaître les huiles utiles pour la santé.

  2. dsl dit :

    Interdire la pub, Coca, Mc Do…on ne peut pas sortir de ces clichés et de ses analyses simplistes ?
    La liberté, la responsabilité des individus, l’autonomie, ça vous dit quelque chose ?
    On ne vit pas dans un parc humain où on pourrait agir sur des curseurs pour améliorer la santé du troupeau.

    • PUautomne dit :

      La responsabilité individuelle est le cœur de la politique de lutte contre l’obésité aux USA avec des succès nuls. La politique française pas très agressive de santé publique a permis une stagnation de la progression. Penser que la publicité, la mise à disposition de nourriture riche n’ont aucun impact sur la nutrition est effectivement très simpliste. Ce n’est pas pour rien que les lobbys agroalimentaires se battent comme des fous pour bloquer toute tentative au nom de la pseudo sacro sainte responsabilité individuelle. Contrôler les messages publicitaires, améliorer l’étiquetage sont des mesures efficaces.
      Sinon j’ai une question la repsonsabilité individuelle commence à quel age, quand on met des kilos de pub autour de programmes pour enfants pour une nourriture peu saine, vous croyez que c’est bien?
      Je pense qu’il faut une régulation, la main aveugle du marché est dangereuse pour la santé humaine.

      • dsl dit :

        Le marché est vieux comme le monde, depuis les caravanes des arabes aux hautes sphères de la finance, le marché c’est la rencontre entre un acheteur et un vendeur, entre un besoin et sa satisfaction.
        Dire que le marché est dangereux pour la santé humaine, cela n’a aucun sens. C’est la négation des siècles de commerce entre les peuples et les individus, mais aussi de la croissance économique des 100 dernières années. Le marché c’est ce qui permet de nourrir la population (pas comme en URSS) ou de fournir les médicaments.
        Ce n’est pas à la télé, ou à la publicité d’éduquer les enfants, ce n’est pas non plus le rôle de l’Etat, c’est le rôle des parents. Ce n’est pas le rôle de l’Etat de faire la morale, et de transmettre des valeurs, là encore, c’est le rôle des parents.

        • docteurdu16 dit :

          Bon. Vous dites des sottises. Comparer les caravanes au capitalisme mondialisé !
          Oui, le marché est contre la santé, oui le marché détruit la planète, oui le marché pollue nos assiettes, oui la course au profit conduit à des catastrophes irréversibles et l’espérance de vie en bonne santé est en train de fléchir.
          Oui le marché détruit les relations individuelles, la décence commune et hétéronomise les comportements.
          je ne vous convaincrai pas et je m’en moque.
          Bonne soirée.

  3. christian d'auzac dit :

    Pour rester en néphro, j’aime les écrits de PU automne, dont les plaques me font découvrir et son nom et qu’il est PU et PH. Et alors pourquoi pas? On a juste, en néphro, un métier hyper clinique, avec des patients cumulés qu’on voit obligatoirement jusqu’à leur décès, avec même le reproche qu’on pique le malade dès qu’il devient IRC. On a bien sûr besoin de maîtriser au mieux des outils qui évoluent sans cesse: pas de lecture ni confrontation 2-3 mois, et il faut 6 mois pour se rattraper. Pour revenir à l’obésité, nommée comme le veut, j’ai cherché à convaincre les élèves que s’ils voulaient être néphro, il leur fallait devenir nutritionnistes aussi, et encore plus depuis que la consult diététique n’est plus remboursée, scandale en soit. Avec ça, ça signifie la fréquence mensuelle des consults avant les grandes manoeuvres de la prison métabolique(stade3 ? stade 4?),dialyse, transplantation et les suites. En consult, travailler à deux avec l’intéressé, comme un vieux couple. C’est vrai, c’est plus simple en dialyse, on se voit 3 fois par semaine ou une fois par mois: on vole un peu moins de temps à l’intéressé prisonnier du néphrologue (et je, néphro, je me débrouille avec ce cumul et de patients et du « never stop learning » de ce cher NEJM, plus les élèves à enseigner, apprendre à piquer quand l’IDE a loupé etc. et faire sa visite ou sa consult avec une table des aliments. Il y a tant à faire, à continuer d’apprendre. Exemple: que faire avec le rosisseur de la belle viande bien rouge (bourrée de phosphore inorganique 2 fois plus absorbé que l’organique) : je ne vais pas proposer un plat tout préparé, c’est pire. Faut que je revoie avec mon patient comment éloigner ce phosphore tueur lent. Surpoids: oui multiples chapitres, donc du temps à passer avec le patient. Réussir à exister malgré cette p… d’IRC, j’ose prétendre qu’on peut, bien épaulé: avec ou sans obésité, ça change juste les recherches de solutions efficaces, toujours à deux. C’est pourquoi je vote pour ce qu’a écrit PU automne.

  4. J’aime mieux ce 2◎billet.Alors oui il faut parler de l’obésité (je crois qu’ on le fait) Oui il y a des études (nous en avons lu certaines) Oui certains maigrissent.(en partie seulement grâce à nous)

    La politique de santé publique à un rôle évidemment

    mais dans la vraie vie des médecins généralistes (on attend ces travaux de la médecine de proximité) il y a tellement de patients en surpoids chronique qui s’entendent dire par le rhumatologie le cardio etc… » il faut maigrir » comme une fin de non recevoir en fait.
    Je vous soignerai quand vous serez moins gros……Des patients qui essaient de maigrir justement depuis des années.( le pire que j’aie entendu : personne n’est revenu obèse d’Auschwitz )
    C’est déjà tellement difficile d’être obèse…..Ils reprennent une humiliation à chaque fois.

    Aujourd’hui 2017 il est encore très difficile d’aider à maigrir beaucoup de gros.
    Reconnaître (juste ça) les limites des méthodes actuelles serait bien.

  5. Doume dit :

    Merci à Perruche de garder le cap à l’heure où la pensée dominante des individus est celle de l’illusion de la toute puissance infantile. Le médecin qui ose ramener à la réalité est donc bien méchant.

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