Ubu à l’hôpital de jour

Ou pourquoi vouloir tuer les hôpitaux de jour de médecine? Je n’ai pas la réponse à cette question. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi il me semble qu’il s’agit d’une erreur et comme il est difficile, actuellement, pour les médecins hospitaliers en particulier publics de comprendre ce qui est attendu de nous en dehors d’être les fossoyeurs des structures dans lesquelles nous exerçons. Je déclare un énorme conflit d’intérêt, j’ai la responsabilité de l’hôpital de jour (HdJ) du service de néphrologie où je travaille et un autre, j’ai choisi de rester dans l’hôpital public et de ne pas avoir d’activité privée.

Notre hôpital de jour a 4 lits et 3 fauteuils et entre une à deux salles de consultations. Nous avons une activité mixte d’hôpital de jour de néphrologie, le suivi des transplantés récents, le traitement des maladies rénales en particuliers des glomérulopathies, les perfusions de fer, et l’accueil des urgences des nombreux patients suivis dans le service et enfin une activité particulièrement chronophage qui est l’avis néphrologique. L’activité augmente en gros de quelques pourcents par an avec plus ou moins 2200 séjours en hôpital de jour stricto sensu, plus de 1200 consultations et autour de 3000 bilans biologiques, et 500 perfusions divers et variées. Nous avons une activité assez soutenue. Nous av(i)ons d’autres projets. Nous rendons service aux patients en raccourcissant les durées d’hospitalisations classiques, en assurant le suivi des patients qui sortent un peu limite et avec un numéro unique de téléphone pour leurs répondre. Je crois en l’ambulatoire, je crois qu’on peut faire du soin de qualité sans hospitaliser les patients, mais contrairement à ce que pense nos tutelles ce ne sera pas un moyen de faire des économies du moins pas dans un premier temps. Pourquoi? Il faut que les mentalités changent, qu’on accepte de faire de plus en plus de choses en ambulatoires, de transférer plein d’activités faites en hospitalisation vers l’HdJ. Le problème, c’est que pour faire en une demie journée ce qui nécessitait trois jours d’hospitalisation, il faut de l’organisation, du personnel soignant en plus grand nombre et une structure réactive derrière. J’ai la chance d’avoir une super équipe de soignants, tout se passe le plus souvent bien. En médecine, les individus sont importants, dans le soin ambulatoire, encore plus car pour faire accepter l’attente, les petits retard, géré les urgences qui s’accumulent, arriver à perfuser ou prélever  à peut prêt tout le monde, il faut les nerfs solides, une technicité certaine et une bonne dose d’humanité. Ceci ne se construit pas en un jour, ceci nécessite que les personnels soient bien, en nombre suffisant, et avec de l’envie. Il faut investir pour faire un soin moderne et investir avant tout dans de l’humain, dans du personnel, dans du fonctionnaire (pour le public). J’ai commencé au niveau médical seul dans ce système et puis des internes sont venus, je crois qu’ils apprennent pas mal de chose dans ce lieu de l’autonomie encadré, l’arrivée depuis quelques années d’un PH assurant le suivi des transplantés récents montrent l’évolution ascendante de notre activité. Pour pouvoir transplanter des patients de plus en plus âgés avec de plus en plus de pathologies associées sans les garder hospitalisés pendant 3 mois, il faut une structure adapté et seul un HdJ de néphrologie, avec des infirmières et des aides soignantes expérimentées, peut répondre à cette activité.

Nous avons joué le jeu de l’ambulatoire en développant notre activité. Notre projet médical de service pousse vers ce dit « virage ambulatoire ». J’ai eu pas mal de contrôles de la sécurité sociale, au moins trois, j’aime bien ça. J’ai toujours su défendre les indications et en règle générale je m’en suis toujours plutôt bien sorti malgré une circulaire frontière qui comme un tout texte sacré, sujet à interprétation. Récemment, des textes sont sortis dont le but est de tuer les hôpitaux de jour de médecine. Je le dit sans ambages, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase déjà bien plein des injonctions paradoxales de nos gouvernants, faites de l’ambulatoire, fermé des lits mais accueillez toutes les grippes, les personnes âgés qui ne vont pas bien, et maintenant faites de l’ambulatoire mais que ça ne coute rien, faites de l’hôpital de jour comme si vous faisiez de la consultations simples, humanisez les hôpitaux mais avec moins de personnel, soyez à la pointe, mais sans le hors AMM et sans molécule innovante. Au moment où l’ambulatoire rentre dans les têtes où les structures commencent à s’étoffer pour répondre à cette activité, l’arrêté, la circulaire et la fiche technique remettent tout en cause, sauf à ne rien changer mais en acceptant le déficit. Les conditions d’hôpitaux de jour sont en pratique quasi impossible à remplir. La seule conditions qui fera que nous allons maintenir notre activité est celle sur la fragilité particulière des patients. Comme la majorité de nos HdJ se font pour des transplantés et d’autre catégories immunodéprimés, nous utiliserons ça sans vergogne pour justifier les HdJ, lors du contrôle sécurité sociale dans deux ans, nous nous battrons pour expliquer que l’immunodépression induit une fragilité particulière qui nécessite la prise en charge en HdJ, c’est très simple. Nous rajouterons une ligne à l’observation, « ce patient immunodéprimé du fait d’une transplantation/ou du traitement de glomérulopathie nécessite des mesures particulières de protection justifiant son suivi en hôpital de jour ». Un peu de lourdeur en plus, encore jouer avec les limites du système pour continuer à produire un soin humain et de qualité à des patients aux histoires souvent compliqués. Je commence à être fatigué de ce petit jeu, il y a tellement de choses plus intéressantes à faire dans la vie que de toujours se battre pour essayer de faire correctement son métier.

Je pourrais vous citer plein d’exemple de l’absurdité de la future circulaire frontière. L’exemple le plus emblématique de la douce folie du système est le cas des perfusions de fer. Actuellement nous réalisons les perfusions de fer en hôpital de jour avec un code spécifique et un remboursement adéquat, permettant d’utiliser un fer à fortes doses évitant de faire revenir de nombreuses fois le patient. Le projet est de transformer cet acte en AP2 pour reprendre la future nomenclature soit un remboursement de 25 euros avec ont ne sait pas trop quoi dans ces 25 euros, inutile de dire que si il inclut le prix du médicament, ce sera ingérable.

Les perfusions de fer sont faites en hôpital de jour, non pas car nous l’avons décidé, mais en raison d’une obligation légale. Une circulaire est tombée un beau jour nous disant le fer IV en ville c’est fini. Nous n’avions pas été ravis de réaliser ce traitement en hospitalier, nos patients non plus, mais nous nous sommes pliés à l’injonction légale. Les événements indésirables sont exceptionnels, depuis 3 ans que nous faisons tout à l’hôpital, aucun incident et encore moins d’accident. Il faut réaliser l’injection en milieu hospitalier et pas n’importe lequel:

  • sous une surveillance médicale attentive pendant et jusqu’à 30 minutes après chaque administration,
  • avec la disponibilité immédiate du personnel formé pour évaluer et prendre en charge les réactions anaphylactiques,
  • dans un environnement disposant des moyens nécessaires pour assurer une réanimation.

Je ne vois pas comment avec 25 euros, le tarif proposé, nous pouvons avoir une surveillance médicale attentive pendant près d’une heure, la disponibilité d’un personnel formé et dans un environnement avec une réanimation. Si on ne reconnait pas le cout d’une structure par le tarif, on méprise notre travail et notre utilité, c’est insupportable. Il faudra que les génies des tarifs lisent ce que les génies du réglementaire du  médicament pondent et inversement. Nous aimerions tellement ne plus être, nous soignants, la variable d’ajustement de l’absence de réflexion et de discernement politique.

Le fer n’est qu’un exemple, il est emblématique du « non-sense » du système actuel, obligation de réaliser des injections avec un risque plus que limitées en hospitalisation et quand on se rend compte que ça coute trop cher car les gens respectent la loi, on réduit le remboursement sans prendre en compte l’impact sur les structures et in fine les patients. J’espère que le fer va sortir de la réserve hospitalière sinon nous aurons vraiment des difficultés. Si ces textes ne sont pas modifiés, le virage ambulatoire restera un vœux pieux.

J’aime l’hôpital public, j’aime mon métier, j’aime soigner, mais il y a des jours où je me demande si j’ai fait le bon choix quand on m’avait proposé de poursuivre une autre carrière ailleurs.

#sauvonslesHDJ

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8 réponses à Ubu à l’hôpital de jour

  1. Cet exemple démontre, s’il en était besoin, que la gouvernance actuelle de l’hôpital ne vise pas à dispenser les meilleurs soins au meilleur coût (efficience), mais à masquer sa panique avec des outils de gestion absurdes.

  2. kangourou55 dit :

    Votre philippique contre la nouvelle règlementation tueuse d’hôpitaux de jour est claire, juste, argumentée, illustrée. Me permettriez-vous de la faire suivre aux 95 néphrologues de l’association des Néphrologues de l’Est ?
    Etienne Robin, néphrologue, Dijon

  3. GéluleMD dit :

    De ce que je vois, les patient.e.s apprécient +++ l’HDJ, justement parce que c’est ambulatoire. Moi qui me destinais à l’ambulatoire pur, j’aimais bien quand j’étais interne, il y avait cette dimension « les patients rentrent chez eux après », même si effectivement ça nécessitait une organisation sans faille. Je découvre l’absurdité des nouveaux textes en lisant ta note, ta liste d’injonctions paradoxales est tellement parlante…. Je vais partager, que ce soit lu.

  4. Marie dit :

    Merci merci merci pour ce billet, je me sens moins seule! Je suis responsable d’une HDJ pédiatrique dans mon petit CH. Je suis un peu désespérée de ce qu’on nous demande… Ces injonctions paradoxales sont épuisantes, on a l’impression de faire du mauvais boulot alors qu’on y met une énergie folle. Pour l’instant ce sont les soignants qui trinquent, mais bientôt les patients malheureusement.

    • PUautomne dit :

      Oui, c’est bien le problème, nous avons finalement pris l’habitude de ça. Après je trouve ça génial les mesures de prévention de risques psycho-sociaux mis en place par notre ministère bien aimé pour répondre aux situations qu’il génère par ses décisions absurdes et contradictoires.
      Il se soucie du stress et du burn out qui sont induites par les réductions de postes, par la pression mises sur les soignants par un système de facturation totalement absurde et une non reconnaissance du travail accomplie, le message étant en permanence vous coutez cher.

  5. docml dit :

    Est ce que ce sera pareil pour les rares cliniques privées qui offrent ce service d’hôpital de jour, comme celle ou je travaille ?

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