Médicaments et rein, une histoire complexe.

Le néphrologue est obsédé par le risque de néphrotoxicité et d’accumulation des molécules normalement éliminées par le rein. Cette obsession est pleinement justifiée, tant le rein joue un rôle important dans l’élimination de nombreux médicaments. Je vous rappelle que pour l’adaptation des médicaments dans le contexte de maladie rénale chronique le GPR est là pour vous aider. L’adaptation des médicaments ne se fait que sur la fonction rénale évaluée par le débit de filtration glomérulaire (DFG). En utilisant uniquement une des fonctions du rein, nous oublions que nombre de médicaments sont éliminés par le tubule proximal, je vous conseille cet article sur son rôle. Ceci explique pourquoi, à l’échelon individuel, nous avons parfois des surprises en terme d’effets secondaires. Améliorer la mesure de la fonction rénale en ajoutant un marqueur de fonction tubulaire proximale est une recherche importante. Malheureusement, nous n’avons pas encore identifié le bon traceur. Je vous rappelle que 10 à 20% de la créatinine est sécrétée par le tubule proximal, les molécules inhibant l’expression ou la fonction des OAT augmentent la créatininémie interprétée comme une baisse du DFG, alors qu’il ne change pas. Le probénécide ou les fibrates ont cet effet au niveau rénal.

L’histoire rein et médicament pourrait être simple et se limiter au fait que seules les molécules à métabolisme rénal voient leur pharmacocinétique et dynamie modifiées par l’insuffisance rénale ou la dysfonction tubulaire. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Nous savons depuis longtemps que l’insuffisance rénale modifie le métabolisme de médicaments sans élimination rénale. L’essentiel des travaux ont montre une modification de l’expression des CYP sans réelle explication physiopathologique. La meilleure revue sur le sujet est celle ci.

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L’insuffisance rénale s’accompagne d’accumulation de toxines, les toxines urémiques. Il y a une petite centaine de molécules dont vous pouvez trouver le catalogue, ici. Ces toxines ont des effets biologiques et cliniques délétères. Mon groupe de recherche travaille sur un groupe de solutés, les solutés indoliques. Il s’agit de petites molécules fortement liées aux protéines, l’indoxyl-sulfate et l’indol acetique acide. Elles dérivent toutes les deux du métabolisme du tryptophane. Pour l’indoxyl-sulfate (IS), le tryptophane alimentaire est digéré par les bactéries (tryptophanase) qui donnent de l’indol, il est absorbé et au niveau hépatique subit des modifications enzymatiques qui donneront naissance à l’indoxyl sulfate. L’IS est éliminé par le rein au niveau du tubule proximal.

Nous avons identifié le récepteur à l’IS, aryl hydrocarbon receptor (AHR) dans les cellules endothéliales et montré son rôle dans la production d’un facteur procoagulant important le facteur tissulaire. AHR est activé par les indoles. Ce facteur de transcription est aussi le récepteur à la dioxine. Il joue de nombreux rôles dans le système immunitaire, en toxicologie, dans le développement et dans le système cardiovasculaire.

A ce stade de nos travaux, nous nous sommes demandés comment l’indoxyl sulfate rentré dans la cellule endothéliale. Nous avons d’abord étudié l’expression de nombreux transporteurs au niveau de cette cellule par PCR arrays. Vous allez voir comment la recherche est une question de choix et parfois de hasard. Le PCR array se présente sous forme de kits avec la possibilité de tester un certain nombre de conditions. Il nous restait une série complète de réactions, nous ne savions pas quoi faire. Pour pas gâcher, nous avons décidé de tester l’effet de l’indoxyl sulfate sur l’expression des transporteurs dans ces cellules. Nous avons identifié quelques gènes surexprimés par l’IS. Notre but était de poursuivre sur le rôle de ces protéines dans les cellules endothéliales, malheureusement leur niveau d’expression faible dans les cellules en culture rendait la réalisation de tests fonctionnels difficiles pour ne pas dire impossibles.L’ensemble de ce travail avait déjà pris une bonne année.

Ce travail était le sujet d’une étudiante en thèse d’université, la durée pour réaliser sa thèse en France est de trois ans. Au terme de la première année, nous devions décidé si nous oubliions toutes les manip ou si nous nous adaptions. Nous avons choisi l’adaptation en partant sur un autre type cellulaire, la cellule hépatique, d’autant plus qu’il trainait une lignée dans le labo. Le niveau d’expression du transporteur qui nous intéressé, la P-Glycoprotéine était forte dans ces cellules.

Dans ces cellules en culture, l’indoxyl-sulfate augmente l’expression et l’activité de ce transporteur. Cet effet passe par l’activation d’AHR (ceci tient en une phrase mais c’est plus de 6 mois de travail, car éteindre l’expression d’AHR dans cette lignée cellulaire s’est révélé très difficile). Nous avions de jolis résultats in vitro avec beaucoup de contrôles positifs et négatifs. Nous étions bien loin de notre point de départ, comment l’IS rentre dans la cellule endothéliale, pour être à comment l’indoxyl sulfate augmente l’efflux des médicaments dans les hépatocytes. Pour espérer publier dans un bon journal, il nous fallait de l’in vivo.

Dans deux modèles d’insuffisance rénale chronique chez l’animal, les gènes codant pour P-gp chez la souris ont une expression augmentée au niveau hépatique. Nous avions de l’in vitro, du murin, ils nous manquaient un peu d’humain. Il y quelques années, nous avions dosé ces toxines chez des transplantés rénaux et cardiaques. Nous n’avions jamais utilisé ces données. P-gp joue un rôle important dans le métabolisme de la ciclosporine A, un immunosuppresseur. L’avantage est que nous avions les concentrations d’IS, de ciclosporine et la posologie prise par les patients, plus pas mal d’autres données cliniques et biologiques. Nous avons pu alors montré que la concentration plasmatique d’IS est associée au dosage de ciclosporine pour obtenir le taux cible. Cette association est indépendante de la fonction rénale évaluée par le débit de filtration glomérulaire. En pratique, plus la concentration d’IS est haute, plus la posologie de CsA à administrer est élevée pour atteindre le taux cible. L’étudiante brésilienne finissait ses années de thèse, il fallait nous arrêter et de publier nos résultats. Nous avons tenté le meilleur journal de la spécialité, JASN. Nous avons eu raison, l’article racontant notre histoire a été publié hier dans ce journal. Je vous passe les 6  mois de manip supplémentaires pour répondre aux reviewers et le stress en attendant les réponses.  Bien évidement, dans l’article, nous passons tout le travail fait dans la cellule endothéliale. Le story telling est important en science pour publier dans un bon journal. J’aime cette idée qu’un bon article nait juste d’un bon vieux sens de grand mère, faut pas gâcher.

Ce travail est important. Il explique en partie la complexité du métabolisme des médicaments au cours de l’insuffisance rénale. La concentration plasmatique d’indoxyl sulfate joue un rôle sur le métabolisme hépatique mais certainement aussi sur l’absorption des molécules transporté par P-gp car cette protéine est exprimée au niveau du tube digestif. Nous ne pouvons pas nous contenter de mesurer le DFG pour évaluer l’adaptation des médicaments chez les patients avec une insuffisance rénale chronique. Le problème est d’autant plus complexe que les concentrations d’IS ne sont pas forcément stable. La production de l’IS dépend de l’alimentation, de la nature du microbiote et de l’activité d’enzymes hépatiques. Notre travail va au delà de l’insuffisance rénale, en montrant que l’activité de P-gp est dépendante du facteur de transcription AHR, tous les agonistes d’AHR peuvent modifier le métabolisme des médicaments qui sont dépendants de P-gp. Les agonistes d’AHR sont multiples, allant de la dioxine, aux particules fines en passant par la fumée du tabac.

AHR est un facteur de transcription fascinant qui régule de nombreuses fonctions biologiques, il fait partie des rares gènes qui nous différencie de notre proche cousin Neandertal. Je reviendrai bientôt sur ce facteur de transcription et son activation dans l’insuffisance rénale chronique…

Je tiens à féliciter mon équipe de recherche qui a fait un boulot remarquable, en particulier Tacy Santana Machado, qui est une excellente scientifique et en plus très sympathique, Claire Cérini qui a bien méritée sa place de co-dernière auteur, stéphane Poitevin pour les modèles murins et tous les autres sans qui cet article n’aurait pas vu le jour. Notre équipe de recherche est soutenue par AMU, l’INSERM et par la société française de néphrologie dialyse et transplantation. La recherche est un sport de combat collectif comme le rugby, c’est probablement pour ça que j’aime bien.

 

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