Sept ans ont passé et rien ne change

Il y a sept ans sur ce blog je postais ma première note. Elle racontait une histoire que j’espérais ne plus revivre. Les années ont passés en Zamonie et nous avons revu malheureusement des aventures identiques à celle de la princesse. Aujourd’hui, 7 ans après, jour pour jour, je vois un patient que le grandiose doyennus de mon université zamonienne m’a envoyé. Il a été contacté par un de ses amis pour un jeune comte de sa connaissance. Lors d’un voyage, une prise de sang a été faite devant une fatigue. Il a été alors retrouvé une créatininemie à 70. Le praticien vu dans ce lointain pays a conseillé au comte de rapidement consulter un rognonologue. Il est d’abord aller voir son diafoirus personnel, qui a vérifié la prise de sang. Le résultat ne l’a pas poussé à aller plus loin. Le comte contacta alors cette relation qui le conduisit une semaine plus tard à me rencontrer.

Le comte a une petite quarantaine d’année. Il est fatigué. L’interrogatoire retrouve rapidement des antécédents intéressants. Un père décédé en dialyse, une tante dialysée, une sœur avec une maladie rénale. Son père avait une polyboulite rénale autosomique dominante. Lui même présente une élévation de la tension artérielle depuis plusieurs années, traitée seulement depuis un an, des phlébites, et l’année dernière l’exploration d’un trouble conceptionnel. Il a eu des bilans, on a toujours dit que tout était normal.

A l’examen clinique, je palpe des gros rognons plein de boules. Aucune autre anomalie, une échographie a été faite durant son voyage qui retrouve des grosses boules pleines d’eau avec des rognons dépassant les 20 cm.

Le bilan biologique retrouve une créatininémie à 720 µmol/l (le 70 était en mg).

Je cherche désespéramment d’anciens bilans. Il a été mis sous AOD pour une phlébite aucun bilan de fait, un IEC a été introduit pour son HTA aucun bilan de fait. Il présente une insuffisance rognonale chronique très sévère. Il ne pouvait pas avoir il y a un an ou trois ans une fonction rénale normale. C’est impossible, au vu de son volume rénal et de son débit de filtration glomérulaire actuel autour de 10 ml/mn.

Je suis triste, première consultation et on parle de bilan pré-greffe, de choix de technique de dialyse, de la nécessité de réaliser les choses vites. J’annonce le diagnostic de la maladie génétique, de la maladie rénale chronique grave dès la première rencontre. Je n’aime pas ça. Je ne peux pas lui proposer de traitement ralentissant la dégradation de la fonction rénale. Il rencontre dans la foulée nos infirmières pour la dialyse péritonéale, je prescris le bilan prégreffe. Je prévois de le revoir dans 15 jours. Je n’aime pas ça.

Pourquoi en 2017, dans ce pays, des patients à haut risque de maladie rénale chronique (fils d’une personne présentant une polykystose rénale autosomique dominante), pourquoi n’a t il pas vu un néphrologue avant? Pourquoi? Nous avions des choses à proposer, le contrôle stricte de la tension artérielle,  essayer de transplanter en préemptif, le tolvaptan. Pourquoi ce patient n’a t il pas eu des bilans réguliers, pourquoi? Pourquoi devant des bilans avec probablement des anomalies ne pas avoir expliqué la nécessité de voir un rognonologue? Pourquoi devant un examen clinique anormal, deux énormes reins, ne pas avoir fait une échographie? Tant d’opportunités ratés de parler de la maladie rénale…

Je suis désespéré. Qu’avons nous raté, comme enseignant de néphrologie, pour encore rencontrer ces histoires?

Devant une hypertension artérielle, d’autant plus si la personne a des antécédents familiaux de maladie rénale chronique, on dose la créatinine et la protéinurie. Devant une créatininemie élevée, on fait une imagerie rénale. Devant une créatininémie élevée chez un homme de 35 ans on demande un avis néphrologique. C’est compliqué ça? Je vous rappelle ma boite à outils devant la créatininémie augmentée.

La perte de chance est monumentale pour cet homme. Plutôt que de faire la chasse au néphrologue, une association bien connue devrait plutôt faire de la pédagogie pour que justement nous n’ayons pas à mettre les gens en dialyse. Ce n’est pas les néphrologues qui peuvent aller prescrire les bilans pour identifier les patients précocement, mais les médecins de premier recours. Si nous voulons améliorer le pronostic de la MRC, il faut absolument que nous voyons les patients tôt pour tenter de ralentir la progression et pour pouvoir faire une prise en charge moderne avec de la transplantation préemptive.

Comme c’est encore la saison des vœux, s’il vous plait, penser à doser la créatininémie et si elle est augmentée, pensez à votre patient, donnez lui accès à un spécialiste des maladies du rognon. Nous pouvons parfois être utile et pas juste à initier la technique de suppléance.

Je rappelle qu’avant de débuter un traitement par anticoagulant oraux direct, il est de bon ton de doser aussi la créatinine avant.

J’espère que mes étudiants retiennent que la polykystose rénale autosomique dominante n’est pas une maladie rare et que nous pouvons faire quelques choses pour la prise en charge de ses patients en tentant de ralentir la croissance des kystes.

Pensez à mesurer la fonction rénale de vos patients, c’est simple comme écrire créatinine sanguine sur une ordonnance.

 

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9 réponses à Sept ans ont passé et rien ne change

  1. marcgourmelon dit :

    Bonsoir

    Je comprends votre indignation et la partage.

    Par contre, aujourd’hui où nos autorités n’ont que le mot prévention à la bouche, où tous les dépistages sont promus même s’ils ne servent à rien, même s’ils sont délétères; où le bilan de santé annuel est lui aussi promu par bon nombre de professionnels de santé; où dans nos cabinet nous voyons des patients non malade, sans antécédent particulier et qui viennent réclamer un bilan sanguin annuel pour « savoir s’ils ne sont pas malades ».
    Comment un tel cas peut encore se produire?

    Comment par ailleurs, ce patient, avec de tels antécédents familiaux, n’ait pas lui aussi cédé aux sirènes de la peur, sirènes déclenchées à tout bout de champ par les autorités?
    Comment lui non plus n’a-t-il pas évoqué avec son médecin la nécessité d’un bilan rénal de surveillance?

    J’avoue avoir du mal à comprendre.

    • PUautomne dit :

      moi aussi, après le silence lui convenait bien. J’essaye de comprendre en récupérant les bilans faits pour en discuter avec le médecin traitant.

  2. HM dit :

    Bonjour,
    J’ai été sensibilisée pendant mes études au dosage de la creat… j’ai expliqué à mes “vieux” collègues son intérêt notamment pour nos diabétiques, nos vieux… j’essaie de faire attention aux médicaments néphrotoxiques…
    Mais quand je demande un avis au néphrologue j’ai souvent l’impression de ne pas être entendu, l’impression qu’ils ne veulent voir les patients qu’au stade de la dialyse… Parfois en me répondant que je suis capable de gérer… Ben non si je leur adresse c’est bien que non…
    Donc oui je continuerai à doser la créat, mais le spécialiste des rognons n’est pas toujours accessible…
    Et je continuerai à vous lire parce que ça fait du bien !
    Bonne journée

    • dsl dit :

      Bien d’accord.
      On voit le plus souvent des creat à 100-150, Clairance entre 30 et 60, ou des kaliémie entre 4.5 et 5.5, ou encore des urée à 10, ou des hématuries microscopiques, toute chose qui ne passionne pas nos correspondants spécialistes…

      • John Doe néphrologue de campagne dit :

        Bonjour. Je suis néphrologue et partage bien volontiers le dépit et la colère ressentis face à ce genre d’histoires qui arrivent encore oui et pas qu’en Zamonie. J’admets aussi comme vous le dites ne pas faire preuve d’un activisme forcené face aux patients que vous décrivez avec une MRC précoce et peu évolutive, notamment les diabétiques âgés, même si je les reçois bien entendu. En fait les ressources économiques et humaines en néphrologie sont accaparées par la faible proportion des patients les plus lourds en terme de pathologies ou de soins comme dans cette histoire -ils sont quand même nombreux- et nous pouvons manquer de disponibilité pour de la prévention digne de ce nom à des stades plus précoces. C’est aussi de que ce point de vue il faut de la disponibilité médicale et pas que, des IDE, des psychologues, des diététicien(ne)s etc. Et une volonté des patients face à un risque perçu et identifié de maladie plus sévère avec dialyse greffe etc entre autres nombreuses complications, le risque CV étant de loin le plus important. La difficulté est celle de l’évaluation de ce risque : quand la MRC est là mais paraît stable avec des facteurs de progression plutôt absents, celle nous pousse souvent à l’attentisme pour se concentrer sur le situations plus chaudes ou moins tièdes dirons-nous. Au passage signalons l’inéquité presque structurelle de la prise en charge où à pathologie équivalente les patients les plus volontaires et les mieux suivis déjà (notamment par leur généraliste consciencieux) bénéficieront éventuellement des programmes de prise en charge censés être les meilleurs (type ETP) mais dont le coût et la lourdeur empêchent qu’ils soient appliquées au-delà d’une petite minorité des personnes concernées… Quant au cas de ce « comte » qui aurait pu avoir droit à ce qu’il fallait bien plus tôt disons que le déni fait partie des comportements humains les plus habituels. Nous le voyons tous les jours. Bon je m’étends et dois retourner en salle de dialyse…Bonne journée.

      • PUautomne dit :

        Nous avons à mieux communiquer, même si ça ne nous passionne pas nous devons donner une conduite claire.

        • dsl dit :

          Ce n’est pas forcément le rôle des spécialistes, ici, c’est typiquement le « job » d’un médecin généraliste recueillir patiemment les antécédents familiaux et personnels, le mode de vie, la consommation de sel…de façon à apprécier le risque individuel et programmer la surveillance adaptée et non un bilan aveugle comme le souhaite souvent les patients.
          Savoir comment gérer les anomalies biologiques qui ne relèvent pas forcément d’un avis, ni d’une hospitalisation, là encore, c’est tout à fait le rôle du MG.
          Malheureusement, l’enseignement est plutôt centré sur le 1% de choses graves et urgentes, et pas sur les 99%. Pourtant, s’occuper des 99% peut parfois éviter le 1%.
          La médecine générale est une vraie spécialité à ce titre, même si elle n’a pas encore trouvé sa place à l’université.

  3. FLAB dit :

    Sans compter qu’il faudrait bannir les mg/l, source de confusions (déjà vues) grotesques.

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