Petit conseil du dimanche, toujours vérifier ses sources et les analyser.

Renaloo, il y a quelques semaines, a présenté un joli graphique montrant que de tous les malades, les patients en hémodialyse chronique avait la qualité de vie la plus altérée. Il s’étonnait que personne n’avait osé la comparaison avant. Ce graphe est effectivement très impressionnant. Pour voir des patients avec des drépanocytoses et des insuffisants rénaux chronique j’étais un peu étonné des résultats. Je mets l’original.

L’association nous assène un argument d’autorité qui est la revue:  » la prestigieuse revue Nature ». Ce qui est dommage c’est que ce n’est pas Nature, l’hebdomadaire, mais une spin off de l’éditeur qui s’appelle Nature Review Disease Primers (impact factor: 6,3). Un très intéressant journal qui ne produit que des articles de revues, comme son nom l’indique. On est loin de Nature. Le graphique est issu d’un article de synthèse sur la drépanocytose. nrdp201810

Je trouve dommage que le traducteur de Renaloo n’est pas fait le travail pour la légende. Car nous aurions appris qu’il ne s’agissait pas d’une évaluation globale de la qualité de vie par le SF36 mais un choix de certains critères de cette échelle. Il est présenté ici, uniquement la partie activité physique du SF36 (vous pouvez tester ce questionnaire en cliquant sur le lien précédent). C’est le choix des auteurs, intéressant mais ne représentant pas l’ensemble de l’échelle donc de la qualité de vie. Ces données venaient d’un article, la référence 237.

L‘année de publication, 2005, les données présentées ici ont donc 13 ans. Ce n’est pas très vieux mais ce n’est pas des plus récents. J’imaginais que les auteurs avaient conduit une étude qui comparait des patients avec une drépanocytose, à ceux en hémodialyse, ou avec une mucoviscidose, un asthme ou encore un cancer en cours de traitement. Ma  curiosité m’a poussé à la consultation de l’article qui est en accès libre.

Il s’agit d’une cohorte de 300 patients nord-américains avec une drépanocytose recrutés entre 2002 et 2004. Je découvre alors que les auteurs ont utilisé pour comparer la qualité de vie de leur cohorte non pas une cohorte créée de novo de patients hémodialysés mais des données publiées. Il s’agit de la référence 19.

L’article a été publié en 1997, il sera donc comparé des données de 2002-2004 avec au mieux des datas de 1997. Nous reverrons ce point plus tard. J’ai cherché l’équivalent de la jolie figure de nrpd. Je n’ai trouvé qu’un tableau qui compare les quatre cohortes. Je vous l’offre.

Comme vous pouvez le constater, dans leur revue, les auteurs n’ont utilisé que la première ligne du tableau. Si vous regardez les autres lignes, vous découvrez que les patients en hémodialyse chronique on une meilleure santé (general health) que les patients avec une drépanocytose et une mucoviscidose. Ils ont aussi moins de douleurs et une meilleure vitalité. Les données sont ainsi un petit peu différentes que celles présentées par Renaloo. En fonction du critère pris, les patients hémodialysés ne sont pas ceux avec la moins bonne qualité de vie.

Je me suis ensuite intéressé à une autre donnée, est ce que les cohortes étaient comparables pour une chose aussi simple que l’age? Je pense que vous serez d’accord avec moi, en général, on se sent moins en forme à 60 ans qu’à 30 ans. L’age moyen de la cohorte drépanocytose est de 33 ans. Pour la cohorte hémodialyse, l’age moyen est de 58 ans.deoreo1997

J’en ai profité pour regarder quand les données ont été recueillies pour les patients hémodialysés, 1994-1995. Il est ainsi comparé une cohorte de 25 ans plus âgée en moyenne et explorée il y a 23 ans. Il me semble qu’il est difficile de comparer des patients avec un age aussi différent. Est ce que présenter des données de patients en hémodialyse il y a plus de 20 ans reflète la réalité de 2018? Je vous laisse juge.

Les patients avec une maladie rénale chronique ont une qualité de vie très nettement altérée par rapport à la population générale, aucun doute. L’amélioration de la qualité de vie doit être un objectif majeur pour la recherche en néphrologie. Il n’y a pas de discussion sur ce point. Je ne sais pas si faire le concours de celui qui souffre le plus est très utile pour faire avancer ce message. Je suis par contre certain que présenter des données partielles, difficiles à comparer et anciennes, risque de brouiller l’intelligibilité du message et son sérieux. Ce que j’ai fait chacun peut le faire. Améliorer la qualité de vie des patients est un objectif de soin majeur en néphrologie. La maladie rénale chronique est probablement une des maladies les plus terribles qui existe. Nous avons besoin de données fiables de qualité avec les bons comparateurs et surtout une analyse pertinente pour comprendre où nous pouvons mieux faire pour faire que les patients hémodialysés se sentent mieux.

Il faut toujours vérifier ses sources, toujours les regarder avec un œil critique, même et surtout si elles vont dans le sens qui nous arrangent. Ma note n’a pas d’autres buts que ce message.

 

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4 réponses à Petit conseil du dimanche, toujours vérifier ses sources et les analyser.

  1. docteurdu16 dit :

    Merci beaucoup pour ces salutaires explications.
    La vérification des sources est indispensable, même en dehors de la science dure : voir un film après en avoir lu les critiques, lire un roman, un essai, voir une oeuvre d’art est souvent une surprise. Quant à parler d’un livre que l’on n’a pas lu, d’un film que l’on n’a pas vu, c’est le quotidien des critiques flemmards et des salonnards ou des tweetards ignorants.
    Bon dimanche.

  2. Bredin dit :

    Beau travail de votre part. C’est toujours une immense bouffe d’oxygène de vous lire.

  3. christa dit :

    merci pour cette magnifique analyse!

  4. GWH dit :

    Belle analyse. Effectivement, l’important est toujours de faire la part des choses. Même si la finalité du message est louable, cela ne peut en aucun cas soustraire les auteurs à un minimum de rigueur. Cela peut avoir l’effet inverse et dénaturer l’argumentaire.

    « Je ne sais pas si faire le concours de celui qui souffre le plus est très utile pour faire avancer ce message »===> Sur ce point je ne peux malheureusement pas vous rejoindre. Je ne pense pas que cela soit le sujet. Le métier ce statisticien est aussi un métier de communicant. Il s’agit concernant la représentation graphique de certaines données de mettre en valeur un message que l’on veut passer.
    Le message n’est pas « nous souffrons plus que les asthmatiques », cet article est destiné à un public de lecteurs avisés et spécialisés. Peu de chances que ce que l’on en retienne soit « que l’asthmatique arrête de se plaindre, il y a pire que lui ». Il s’agit de mettre en évidence un fait. Le retentissement fonctionnel de l’hémodialyse chronique est un problème de santé publique majeur, la recherche doit et a raison de s’y intéresser. Je pense que le message est là; il arrive que l’on fonctionne mieux avec des images même si certains peuvent ressentir le côté aguicheur de ce genre de représentation graphique comme rédhibitoire.
    En anesthésie par exemple, certains internes ont vu passer une échelle représentant la douleur de la contraction utérine de la femme en travail par rapport à d’autres douleurs (pancréatite, amputation de doigt etc); je peux vous assurer qu’ils appréhendent mieux l’idée de cette douleur qu’ils n’ont dans la grande majorité pas (ou pas encore) ressenti. Mieux qu’une EVA.

    Bravo pour le blog, toujours un plaisir de vous lire

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