Génétique et risque de développer une insuffisance rénale chronique, pas d’évidence

La médecine personnalisée reposant sur l’analyse des facteurs de risque génétiques (SNP en particulier) est un grand espoir de l’industrie biomédicale. De multiples acteurs sont sur les rangs. Big pharma qui veux vendre des packages complets, identification de mutations et la drogue ciblant l’anomalie. Des pures players comme 23andMe, decode et consorts qui aimeraient capter le marché de la prédiction tout venant. Ils proposent déjà ces services sans aucun rationnel. Il y a quelques années, j’avais posté sur le sujet. La situation n’a pas changé et plus nos connaissances avancent moins nous sommes capables de prédire quoi que ce soit en lisant des SNPs.

Je vais prendre l’exemple d’un excellent article qui vient d’être publié dans AJKD.

  1. Conall M. O’Seaghdha et al., « Performance of a Genetic Risk Score for CKD Stage 3 in the General Population », American Journal of Kidney Diseases 59, no. 1 (janvier 2012): 19-24.

Les auteurs ont tenté de savoir si l’ajout de l’étude de SNPs, connus pour être associés au risque de développer une insuffisance rénale chronique stade 3, à un score clinique améliore la prédiction du risque d’être insuffisant rénal. Ils ont utilisé la cohorte de framingham (2489 personnes d’origine européenne) avec un suivi de plus de 10 ans. 10% de la cohorte aura développé une maladie rénale chronique stade 3 à la dernière visite. Le score clinique (age, sexe,  eGFR, hypertension, diabète, et protéinurie) permet de tracer une courbe ROC correcte, l’ajout des 16 SNP n’apporte rien.

Ce travail est fondamental. Il montre que pour l’instant les marqueurs génomiques dont nous nous gargarisons n’apportent strictement rien en pratique clinique. Si tant est qu’il soit utile de déterminer le risque d’être insuffisant rénal chronique stade 3 à 10 ans. C’est un autre sujet.

Il ne faut pas renoncer à identifier des facteurs de risque génétiques mais il faut rester d’une grande humilité et savoir si en terme économique, ils améliorent le rendement des marqueurs cliniques simples. Une fois que nous posséderons ces marqueurs génomiques qui amélioreront l’évaluation du risque, il faudra déterminer si leur utilisation permet d’améliorer la prise en charge des patients et si il dégage un bénéfice autre que de constater qu’on à plus de chance de mourir dans les dix ans quand on a 80 ans que 25 ans.

Je ne peux que vous conseiller la lecture de l’éditorial qui accompagne l’article.

  1. Jeffrey B. Kopp et Cheryl A. Winkler, « Genetic Risk Prediction for CKD: A Journey of a Thousand Miles », American Journal of Kidney Diseases 59, no. 1 (janvier 2012): 4-8.

Il fait un point remarquable sur le sujet de l’apport de la génomique dans la prédiction du risque dans des maladies fréquentes. Le résultat est peu glorieux. Comme le disent les auteurs, la route est encore longue et nous ne sommes qu’au début du chemin.

Dans la même livraison d’AJKD, un article s’intéresse à l’impact des antécédents familiaux d’insuffisance rénale chronique terminale sur le risque de développer une IRCT.

  1. William M. McClellan et al., « Association of Family History of ESRD, Prevalent Albuminuria, and Reduced GFR With Incident ESRD », American Journal of Kidney Diseases 59, no. 1 (janvier 2012): 25-31.

Ce facteur de risque quand on l’intègre dans des modèles multivariés en particulier avec un eGFR ou la protéinurie, n’est plus un facteur de risque.

Le terrain génétique est important mais il ne peut pas seul, déterminer ce que nous deviendrons du moins au niveau rénal. C’est rassurant. Nous possédons encore une part de libre arbitre vis à vis de nos gènes. Le domaine de la génomique prédictive n’est qu’à ses débuts et ce n’est pas demain que nous pourrons prédire le risque d’un individu à sa naissance de devenir insuffisant rénal (hors maladie mongénique de transmission mendélienne et encore).

Quand je vois ces résultats, je suis dubitatif sur les promesses des sociétés sus citées. Elles font un travail intéressant. En accumulant des données, elles vont faire progresser la recherche, si les données sont mises en commun. Nous verrons bien. Nous rentrons dans l’ère du big data en médecine.

Je finirai en vous faisant remarquer que l’article qui a identifié les SNP a été publié dans nature genetics (gros impact factor) alors que cet article qui est l’utilisation et la démonstration que ça ne sert pas à grand chose en pratique clinique ne se retrouve que dans AJKD. C’est attristant. Pour la pratique du médecin de base que je suis, l’article dans la revue avec IF à 4 est bien plus important que l’autre. Il sera moins cité, il marquera moins les esprits sauf des spécialistes alors que l’autre par son impact plus généralistes et le prestige de la revue sera ressorti à tout bout de champs. Je trouve ça énervant.

Il y a 10 ans, le génome humain était complétement séquencé, dix ans plus tard, nous ne savons toujours pas utiliser ces données. Un outil hautement technologique ne fait pas mieux qu’une pauvre bandelette urinaire. La revanche du simple sur le complexe. J’aime bien.

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4 réponses à Génétique et risque de développer une insuffisance rénale chronique, pas d’évidence

  1. En fait, la génomique méconnaît une propriété fondamentale du vivant : le refus de fixer ou même préparer l’avenir dans les gènes. Quand je dis refus, je parais donner une volonté d’agir au vivant, ce qui est impossible. Il faut lire « Le vivant qui a survécu est celui qui a fixé le moins possible d’options dans ses gènes ». Cela concerne aussi la suite de mon commentaire.

    La ligne Maginot, le plan contre la grippe H1N1, sont des constructions humaines destinées à préparer l’avenir. On connaît leur destin. Le vivant survivant a su éviter au maximum la planification pour être le plus adapatable possible.

    La grande surprise du décodage de notre génome a été sa vacuité : il contient bien peu de choses et nous sommes le fruit d’un peu d’information génétique, d’un peu plus d’épigénétique (information transmise hors ADN) et d’influence du milieu ou nous naissons.

    Le génome contient des options, des possibilités, peu de plans fixes et immuables.

    Il y a donc une escroquerie à faire croire que le génome contient des informations fiables pour nos maladies futures, en dehors de quelques rares affections avec un fort déterminisme génétique, comme le cancer du sein particulier lié au gène BRCA-1.

    Tout au plus peut on déduire des probabilités augmentées ou diminuées, ce qui est peu pertinent, source de grandes angoisses personnelles et infondées, et bientôt de tensions préconjugales…

    Cet article en est une preuve parmi d’autres.

    • PUautomne dit :

      Concernant la flexibilité du génome je suis tout à fait d’accord. Il est indispensable que nous soyons flexible pour nous adapter.
      Le génome n’est pas vide, nous n’avons découvert que peu de séquences codantes auxquelles nous sommes capable de donner du sens, ce qui nous parait vide est en fait vide du fait de notre incapacité à comprendre.
      Nous sommes en train de comprendre comment ce junk DNA peut être utile, organisation de la chromatine, contrôle de promoteur, localisation dans l’espace nucleaire, etc. L’objectif est de transformer ce vide en plein et je suis convaincu que nous y arriverons avec du temps. Un exemple de comment on transforme un désert http://www.nature.com/nature/journal/v470/n7333/full/nature09753.html
      La génomique avec l’arrivée du séquençage va apporter des réponses à des questions mais en terme de prédiction je suis plus dubitatif. Je me suis longtemps intéressé à une maladie monogénique qui m’a appris l’humilité quand à notre capacité à prédire ce qui va se passer, alors en multi génique.
      Mais je ne désespère pas que nous arrivions par des modèles mathématiques, par l’accumulation de données et des approches computationnelles à améliorer le rendement.
      Ensuit il faut juste savoir à quoi ça sert? Et là il faut se coltiner l’environnement et les interactions génome environnement et ça rajoute une couche de complexité. C’est tout l’intérêt de la biologie de système de prendre en compte les différentes couches de complexité. Mais je suis convaincu que parfois il suffira d’avoir les yeux ouverts sur le phénotype pour faire mieux que des trucs très compliqués.
      En tout cas nous vivons une époque excitante très excitante en biomédecine et j’aimerai que tout le monde en soit conscient et découvre le bonheur et la joie que la compréhension du vivant peut apporter.

  2. Comme je l’ai écrit sur Atoute, lorsque la revue Pour la Science a fêté son trentième anniversaire en novembre 2007 avec un numéro titré « 30 ans d’aventure scientifique », elle a publié un article de Pierre Tambourin (directeur de recherche à l’Inserm et directeur général de Genopole à Evry) consacré à « l’aventure du génome ». Il y écrivait :

    « On sait désormais que la croyance selon laquelle la connaissance complète du génome de l’homme (et des autres espèces) serait une clef décisive dans la compréhension du fonctionnement du vivant et de ses dérèglements pathologiques n’est qu’une illusion face à un monde infiniment plus complexe qu’on ne l’imaginait encore récemment. Cette connaissance restera sans doute une étape historiquement importante, mais d’une importance scientifique plus relative. »
    […]
    « Il y a 50 ans, les résultats semblaient simples à interpréter et vrais « chez la bactérie et l’éléphant ». L’ADN était un livre d’instructions que des mécanismes de lecture (transcription et traduction) transformaient en structures cellulaires et en molécules fonctionnelles, assurant la multiplication des cellules, contrôlant leur avenir et leurs activités. L’embryogénèse ou des maladies comme le cancer devaient se comprendre à la lumière de ces concepts généraux.
    Force est de constater que malgré les progrès considérables accomplis au cours de la seconde moitié du XXe siècle, ces questions fondamentales n’ont pas trouvé de réponses satisfaisantes. Les quelques résultats évoqués sur les divers niveaux de régulation, dont la complexité paraît bien supérieure à ce que l’on pressentait, laissent percevoir pourquoi de telles questions demeurent ouvertes.
    Une nouvelle vision du vivant
    Ce niveau de complexité exige le développement de méthodes nouvelles telles que celles proposées par la biologie intégrative ou systémique, qui vise, en s’appuyant sur la modélisation et la simulation, à une compréhension plus globale du fonctionnement du vivant, tant au niveau cellulaire, que de l’organe, de l’organisme ou des écosystèmes. Il s’agit aussi, grâce au volume considérable de données accumulées au cours de ces dernières années, en particulier par l’utilisation des techniques de la biologie à grande échelle (séquençage, transcriptome, protéome, etc.), de déplacer les questions vers l’étude des fonctions biologiques complexes et de les comprendre à la lumière des mécanismes génétiques et génomiques sous-jacents.
    Ces travaux ne rejettent pas la vision réductionniste de la période précédente, mais en sont le prolongement. Grâce à elle, ils se développent sur des acquis solides et pourront donner du vivant une image proche de la réalité. Le cancer, les pathologies humaines ou animales multifactorielles, où facteurs génétiques de prédisposition et facteurs environnementaux au sens large sont intriqués, ainsi que les préoccupations écologiques devraient trouver dans ces méthodes des réponses pertinentes, et donc plus efficaces. »

    Ma conclusion personnelle, c’est que la modernité est plutôt de « dézoomer », c’est à dire de prendre en compte l’individu dans la société que de « zoomer », c’est à dire de plonger dans le corps, dans les cellules, dans les gênes… et que la médecine moderne se construira sur la capacité de prendre en compte tous ces niveaux d’interactions complexes.

    • PUautomne dit :

      Comme je l’ai écrit dans l’article sur Lee Hood et la médecine P4, et comme le dit tambourin, nous comprendrons mieux la biologie du vivant en changeant d’échelle, mais aussi en ne perdant pas le fil réductionniste. Les deux ne sont pas antinomiques, il doivent vivre ensemble et se compléter. La connaissance du génome reste une étape clé des avancées en biologie dans le futur, il fournit juste l’alphabet mais sans alphabet pas de grammaire. Avec un alphabet seul on ne fait pas une langue si on ne met pas de l’ordre, c’est le rôle des différents niveaux de régulation de l’expression des gènes, par une information génétique ou environnementale.
      Il ne faut pas jeter la génomique comme certains sont tentés de le faire au profit de l’épigénétique, les deux cohabitent. il suffit de regarder le vivant. Nous sommes un flux d’informations codées en nous discutant avec un flux d’informations codées par notre environnement. Le flux d’informations est en plus bidirectionnelles. C’est compliqué et au lieu de dépenser du temps et de l’argent à faire des bombes ou à trouver une solution pour vendre un peu plus de trucs inutiles à des gens gavés, nous devrions nous concentrer collectivement sur la compréhension de ce truc formidable qu’est la lutte infinie contre l’entropie qu’est le vivant.

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