La médecine P4 de Leroy Hood

Hier, j’ai assisté à une conférence très excitante et angoissante.

Excitation, l’orateur est probablement une des rares personnes avec une vision de ce que sera ou devrait être la bio-médecine dans les 10 à 20 ans. Excitation, la rencontre de la biologie de système et de la médecine présentait par Lee Hood est un rêve. Il s’agit d’un programme complet pour espérer comprendre les rapports individuels et intimes (intimes au sens moléculaire, biochimique, métabolique, organique) du patient avec sa maladie.

Angoisse, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Angoisse, j’ai du mal à adhérer à cette biologisation voir digitalisation de la vie humaine. Nous allons tout savoir, tout comprendre. Nous pourrons tout prévoir, tous prévenir. Angoisse quand j’entends les mots, comprendre le bien être (wellness). Il y a une forte tentation de normaliser la vie humaine. Le but initial est de proposer une médecine personnalisée. L’homme ne résiste pas, il veut toujours définir des normes, même dans les endroits où il ne faut surtout pas qu’il y en ait ou alors très, très lâches. Qui est capable de dire ce qu’est le bien être pour son voisin? L’éthique médicale nous a au moins appris ça.

Lee Hood est un des scientifiques les plus important de la fin du 20é siècle et du début du 21é siècle. Il a reçu un prix Lasker, il a inventé plein de machines dont le séquenceur automatique et il est le pape de la biologie de système. Il a créé et dirige l’institute for systems biology. Il a publié plus de 700 articles. Un point lourd, un vrai, il est toujours intéressant d’entendre des leaders d’opinion pour mieux comprendre le message « mainstream » qui se développe dans la communauté.

Sa conférence est une introduction à la biologie de système, à ses outils, ses enjeux, ses buts et ses applications médicales. Si vous voulez en savoir plus, c’est ici.

La biologie de système repose, pour lui, sur cinq piliers conceptuels:

  1. La bio-médecine est une science informationnelle. Le phénotype ( ce que nous sommes) est le produit d’une interaction entre le génome (capital génétique hérité) et l’environnement. L’information est hiérarchisée et l’interaction se fait à de multiples échelles, de la molécule voir de l’atome à l’organisme entier voir la société, en passant par les acides nucléiques, les protéines, le métabolisme, les cellules, les organes. L’information est complexe et il y a une inflation de données. L’immense problème est celui, éternel en science, du rapport entre signal et bruit, en d’autres termes comment transformer les millions de points que nous allons généré pour un individu au cours de sa vie en connaissance intelligible et exploitable ?
  2. Culture trans-disciplinaire. La biologie de système nécessite la création d’infrastructures dédiées où cohabitent des biologistes, des informaticiens et des ingénieurs. Il faut donner à tous ces participants une culture commune, ou du moins un langage commun, pour que chacun s’approprie les données et les utilise au mieux. Le bon exemple est l’ISB, bien sur.
  3. Approche holistique. Il faut une approche globale en opposition à la vision atomiste et réductionniste que nous avons longtemps eu. Cette approche holistique doit être guidée par une hypothèse qui va nourrir un modèle qui nourrira en données l’hypothèse qui s’affinera pour nourrir le modèle. Un cercle vertueux est créé (hypothesis driven biology). Il faut choisir la bonne échelle de résolution pour un problème donné. Il n’est pas toujours utile de tout faire et tout explorer. Le modèle de pensée doit être global, intégratif, dynamique reposant sur la modélisation prédictive. Le grand ennemi dans la biologie de système est le bruit. Il est difficile chez l’homme d’avoir une analyse dynamique surtout dans les étapes présymptomatiques. Les modèles animaux sont indispensables et indépassables, pour l’instant. Lee Hood a donné l’exemple de ses travaux sur le prion chez la souris.
  4. La technologie. C’est manifestement un passionné de technologie. Il a créé ou participé à la création de 14 biotechs dont deux success stories (Amgen et Applied biosystems).  Pour faire de la biologie de système, il  faut des nouveaux outils pour explorer les différentes couches qui forment le vivant. Il donne de nombreux exemples, en génomique, protéomique et biologie cellulaire. Pour la génomique, il s’appuie sur ce remarquable article. Quatre membres d’une famille ont vu leur génome entièrement séquencé pour identifier les gènes responsables des maladies des deux enfants. Pour la protéomique, il a présenté une approche utilisant des microfluidic protein chips. Pour savoir ce que c’est, ici. Il a pour but de développer des puces, je présume de ce genre, pour analyser des protéines spécifiques d’organes dans le sang. Toutes ses approches ont pour but de transformer le monde analogique de la protéomique en monde digital, proche de la génomique. Enfin, en biologie cellulaire, les deux outils pour lui qui vont aider à l’émergence de la P4 medicine sont les analyses sur cellule unique et les induced pluripotent stem cells (iPS)
  5. Les outils d’analyse. Pour étudier ce monceau unique de données qui est ou sera produit par tous les nouveaux jouets, il faut de nouveaux outils d’analyses. Essentiellement des outils bio informatiques, mais aussi et même si il ne l’aborde pas vraiment des outils conceptuels.

A coté des cinq piliers de la médecine de système, M. Hood nous a exposé un concept très intéressant celui d’actionable gene. Il ne sert à rien d’aller identifier des gènes sur lesquels nous n’aurions aucun moyen d’action. Il faut pouvoir jouer dessus soit par des mesures hygieno-diététiques, soit par des médicaments. On estime à 200 le nombre de gènes mutés pour lequel existe une molécule ou une intervention corrigeant l’impact de la mutation. C’est un concept qu’il n’a fait qu’effleurer malheureusement.

Il a présenté une de ses nouvelles créations: integrated diagnosis. Une société de biotechnologie dont un objectif est d’identifier des protéines spécifiques d’organes, entre une cinquantaine et une centaine pour chacun et de les doser facilement dans le sang. Le but est de dépister tôt les maladies. Il a fini son talk en expliquant vouloir utiliser ces marqueurs, en complément des siRNA circulants, pour définir ou effacer la frontière entre wellness (santé, bien être) et maladie. Ce serait l’objectif final de la médecine P4, P4 pour médecine prédictive, préventive, personnalisée et participative, nous knockifier encore un peu plus?

Sa présentation est très séduisante. Comment ne pas être charmé par ce programme de recherche et de prise en charge globale de la santé. Il est évident que cette approche explorant chaque couche de complexité et les relations entre les couches est la seule qui nous permettra d’approcher la réalité de l’homme malade dans toutes ses dimensions. Il a raison et c’est une voie à suivre.

Je suis beaucoup moins convaincu par l’idée de définir une normalité biologique à coup de protéomique ou de génomique. L’histoire récente illustre comme il est difficile de mettre au point une stratégie de diagnostic précoce améliorant la survie des malades,  exemple: le PSA et le cancer de la prostate. L’utilisation de multiples biomarqueurs comme proposé devrait améliorer le rendement, mais faut il  encore le démontrer.

Il y a un niveau qu’il aborde peu ou du moins du bout des lèvres, c’est l’individu dans son ensemble. Dans son programme c’est le dernier P celui de la participation, il fait le pari que la puissance de l’approche systémique permettra de donner aux individus des réponses simples et que le partage par la mise en réseau des différentes personnes porteuses réglera tout les problèmes de la maladie. C’est un peu court et naïf. Il n’avait peut être pas le temps d’élaborer plus avant cet aspect. Je crois que c’est essentiel de mettre l’individu malade au centre pas uniquement dans sa dimension biologique mais aussi social, émotionnel, sentimental.

J’utilise quotidiennement des biomarqueurs, créatininémie, natrémie etc. J’ai découvert avec le temps qu’il ne prenaient un sens que confronté à la clinique et pour le choix final, c’est le patient qui est le mieux à même de savoir si ce que je lui propose est une bonne idée à cet instant. Je suis là, juste, pour de temps en temps, tirer la sonnettes d’alarme, donner des conseils, des informations, aider à identifier les symptômes qui diront il est temps de faire quelques choses et aider à choisir le traitement.

Un bon exemple est la mise en dialyse. Nous avons cru que les chiffres de créatininémie ou de DFG pouvaient nous guider sans regarder les patients, ce fut une erreur. Mettre un patient trop tôt ce n’est pas bon pour lui et pour les finances publiques, le mettre trop tard, c’est pareil. Le DFG nous aide pour éviter de faire des grosses bêtises, ce qui compte, la tolérance clinique et biologique. Il faut un peu d’habitude et connaitre son patient, pour dire là maintenant c’est le moment. L’étude IDEAL nous a montré de façon spectaculaire, que la clinique doit rester le gold standard dans nos choix thérapeutiques.

La technologie aussi belle soit elle, la science aussi excitante soit elle, ne doit pas nous faire perdre de vue que nous devons soigner. Le soin n’est pas que technique, c’est une rencontre avant tout physique entre individus. Il ne faut le perdre. La médecine P4 ne sera qu’une nouvelle corde à mon arc de soignant, elle ne sera pas une fin en soi.

Ce qui me gêne, c’est la tentation de transformer le vivant en 0 et 1. Ce qui me gêne, c’est d’aller vers une obligation du bien être. Ce qui me gêne, c’est une dictature de la norme, ne laissant pas le temps aux gens de s’épanouir, de se découvrir, de surmonter leurs angoisses, de se construire. Ne normalisons pas à tout prix l’être humain sinon je crains que nous nous ennuyons fort dans ce monde lisse et parfait.

En dehors de ces réserves, je suis convaincu que les approches systémiques vont transformer notre manière de soigner. Il faudra apprivoiser ces nouveaux outils, les intégrer avec ce que nous avons fait de mieux pour l’instant et toujours garder son esprit critique.

 

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2 réponses à La médecine P4 de Leroy Hood

  1. Superbe ! Epouse-moi comme dirait Jaddo 😉

    Ton article serait parfait sur Someplexe http://www.someplexe.org/2009/06/claude-bernard-et-la-complexite/

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