Comme une envie de biomarqueurs

Il y a des patient(e)s qui nous font regretter de ne pas avoir à notre disposition certains outils pour améliorer leur prise en charge. Je vais vous raconter une petite histoire récente.

Une de mes collègues est partie faire sa mobilité outre atlantique. Elle m’a laissé en surveillance certains de ces patients, pas les plus faciles. Il y a trois mois j’ai vu une charmante dame d’une cinquantaine d’années assez malade. Elle présente une drépanocytose homozygote et un diabète. Elle est suivie dans le service depuis deux ans pour une insuffisance rénale légère associée avec une protéinurie. Elle n’a pas été biopsiée car il était probable que ce fut une atteinte de la dréapanocytose au vu des multiples complications de cette maladie qu’elle avait déjà fait.

Les atteintes glomérulaires de la drépanocytose sont la hyalinose segmentaire et focale (39%), une GN membrano proliférative (28%), la microangiopathie thrombotique (17%) et enfin une glomérulopathie spécifique de la drépanocytose (17%). Leur fréquence a été étudiée récemment par une équipe française.

Maigne, Gwenola, Sophie Ferlicot, Frederic Galacteros, Xavier Belenfant, Tim Ulinski, Patrick Niaudet, Pierre Ronco, et al. « Glomerular lesions in patients with sickle cell disease ». Medicine 89, no. 1 (janvier 2010): 18–27.

Il n’y a pas de traitement en dehors d’une néphroprotection classique. L’atteinte glomérulaire est fréquente chez les patients présentant des atteintes pulmonaires. Une angoisse est de passer à coté d’un autre diagnostic. Pour cette raison, nous biopsions toujours des drépanocytaires. Elle n’avait pas été biopsiée car sa protéinurie était stable, sa fonction rénale aussi, et point important la patiente n’avait pas envie.

Quand je la vois, elle est hypertendue, sa protéinurie a un peu augmentée et elle a des oedèmes. Sa fonction rénale est identique à celle d’il y a 6 mois. J’intensifie son traitement par bloqueurs du SRAA et j’introduis des diurétiques. Un mois plus tard, l’interne du service de médecine interne m’appelle car la patiente à une augmentation de sa créatininémie de 50 point (200 µmol/l contre 150). Elle n’a plus d’œdèmes et sa tension est parfaite. Sa protéinurie a diminué Je réponds que ce n’est pas inquiétant, voir attendue, car sa créatininémie était probablement sous estimée du fait des œdèmes. Je demande à ce que l’on ne change rien et je conseille de contrôler sa créatininémie dans un mois.

Le mois suivant, la PH du service me rappelle. Elle est hospitalisée pour des arthralgies migratrices et depuis une semaine sa créatininémie augmente franchement (300µmol/l) et continue à augmenter  malgré l’arrêt des diurétiques et des IEC. Sa protéinurie est à quatre grammes par 24 heures. Manifestement, il se passe quelques choses. Quand je ne comprends pas. Je ne réfléchis pas. Je mets une aiguille dans le rein comme tout néphrologue de base, que je suis. Je découvrirai à postériori, que le tableau clinique est un peu plus complexe qu’annoncé, elle a une ethmoidite qui traine depuis deux mois et  un scanner thoracique quelques peu pathologiques. Je la vois le mercredi. Je la biopsie le jeudi. L’ensemble du tableau est mis sur le compte de sa drépanocytose et nous attendons le résultat de la biopsie.
Pendant le week end, elle poursuit la dégradation de sa fonction rénale. La patiente est fragile, drépanocytose multicompliquée, diabète aussi compliquée, découverte récente d’une tumeur mammaire très suspecte et un état général moyen. Pas le genre de patiente chez qui on a envie de balancer la corticothérapie sans certitude. Lundi après midi, mon anatomo-pathologiste favori nous annonce, il y a des croissants et pas de dépôts. Nous récupérons les ANCA. Ils sont très, très positifs, de spécificité PR3.

Voici quelques clichés de scanner.

De très jolis nodules pulmonaires par ma foi, qui avec la glomérulonéphrite extra-capillaire pauci-immune responsable d’une insuffisance rénale rapidement progressive et la présence des anticorps anti-PR3 nous font porter le diagnostic de maladie de Wegener ou comme on doit dire maintenant granulomatose avec polyangéite. Elle n’a pas vraiment de chance cette très gentille dame. Trois maladies graves chez une même personne ce n’est pas banal (en attendant la quatrième, le sein vient d’être biopsié); Nous avons sorti le grand jeu, corticoïdes à fortes dose, cyclophosphamide, échanges plasmatiques et hémodialyse. J’espère qu’elle va récupérer, un peu, au moins pour la sortir de dialyse.

Cette histoire exceptionnelle (je n’ai pas trouvé dans la littérature d’association drépanocytose homozygote et vascularite à ANCA) nous rappelle qu’il faut être vigilant. Avoir la peste et le choléra, c’est possible. Je me demanderai toujours si il y a deux mois, quand j’avais mis l’augmentation de sa créatinine sur le compte du fonctionnel, je n’ai pas raté un diagnostic plus précoce. J’aimerai avoir un outil me permettant de dire: « Attention, là, il faut suspecter une extra-capillaire et  biopsier vite ». Je rêve d’un biomarqueur qui augmenterai quand les cellules épithéliales rénales prolifèrent pour former des croissants dans les glomérules.

La prise en charge d’une GNEC est une des rares urgences néphrologiques. Plus nous débutons tôt le traitement, meilleur sont les chances de récupération. Prélever un peu d’urine et pouvoir dire ce patient à 90% de chances d’avoir des croissants expliquant son insuffisance rénale serait une véritable avancée. Et bien cet outil est peut être à la porte de la clinique.

Une équipe japonaise vient de publier dans le JASN un article très excitant.

Iwano, Masayuki, Yukinari Yamaguchi, Takaaki Iwamoto, Kimihiko Nakatani, Masaru Matsui, Atsushi Kubo, Yasuhiro Akai, Toshio Mori, et Yoshihiko Saito. « Urinary FSP1 Is a Biomarker of Crescentic GN ». Journal of the American Society of Nephrology 23, no. 2 (février 1, 2012): 209–214.

Ils ont identifié un potentiel biomarqueur de la présence des croissants dans le glomérule. La protéine est le fibroblast-specific protein-1 ou FSP1. Les auteurs ont mesuré FSP1 en ELISA dans les urines de 147 patients avec des glomérulopathies. Ils ont montré que cette protéine est augmentée de façon significative dans les urines des patients avec une GNEC.

La figure la plus intéressante est la 1B. Il y a un chevauchement des valeurs, mais la quantité de FSP1 est significativement plus importante dans les urines des patients avec au moins 20% de croissants quelque en soit l’origine (vascularite à ANCA, lupus, ou néphropathie à dépôts mésangiaux d’IgA). Plus intéressant les auteurs ont rechercher un seuil pour évoquer le diagnostic de GNEC. Avec une valeur de 1,75 µg/g de créatinine, la sensibilité est de 90.2% et la spécificité de 91.7% soit une VPP de 64.7% et une VPN de 98.2%. Quand, le seuil augmente à 5, la sensibilité décroit fortement (43.3%) mais la spécificité et la valeur prédictive positive sont alors de 98.3% et 86.7%. Ces résultats sont impressionnants. J’aimerai bien pouvoir tester ce biomarqueur urinaire d’autant plus que chez les quelques patients avec GNEC suivis,  le taux de fsp1 urinaire est corrélé à l’activité de la maladie rénale. Cette protéine est produite par les cellules glomérulaires et sa concentration est corrélé avec le caractère cellulaire ou fibreux des croissants. Les patients en rémission clinique voit une diminution de la concentration urinaire de FSP1.

Un article ne fait pas le printemps de la glomérulopathie, mais il est très encourageant pour l’avenir. Je suis preneur pour participer à un essai testant ce nouveau biomarqueur. En plus avec un elisa on peut avoir le résultat vite. Attendons la suite, mais peut être que FSP1 va devenir la troponine du glomérule. J’aimerai bien savoir qu’elle était la concentration de FSP1 de ma pauvre patiente, il y a deux  mois…

 

 

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3 réponses à Comme une envie de biomarqueurs

  1. doudou dit :

    la troponine du glomèrule je vois poindre les ennuis.

    • PUautomne dit :

      Oui et non, nous sommes confrontés depuis longtemps aux problèmes que rencontrent les cardiologues depuis l’arrivée de la troponine avec simplement la créatinine. je n’ai donc pas très peur de l’arrivée de biomarqueurs glomérulaires. Je suis vraiment preneur. Après il faut tester sa validité en pratique clinique. Je ne suis pas inquiet.

  2. doudou dit :

    on peut raisonnablement penser qu’un tel marqueur serait « géré »majoritairement par des néphrologues seniors,ce n’est pas le cas de la tropo qui l’est d abord par des urgentistes voire des mg en ville dans une ambiance supposée de gravité immédiate
    la méconnaissance pratique de la théorie paraclinique: je ne me pose pas au quotidien les questions de sensibilité,spécificité,analyse bayésienne ..s’est télescopé avec la confusion historique entre classification de l’angor instable et concept de sca st-; la méconnaissance relative de l’angor spastique,de la myocardite, des troubles ecg et biologiques des grandes urgences digestives etc pour aboutir à de grands désordres de prise en charge
    la situation était en train de s’améliorer et boum le passage à la tropo us sans réflexion ni formation remet tout à plat

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