« Hors de moi » de Claire Marin

En rangeant, vous découvrez parfois des livres oubliés dans un coin. En fin de semaine, j’ai retrouvé ce court texte de Claire Marin, de 2008, chez Allia.

Elle raconte dans une écriture tendue, parfois douloureuse, une expérience de la maladie. Le diagnostic semble être celui d’une maladie systémique de présentation initialement rhumatologique ayant pour symptômes essentiels, la douleur et l’asthénie. Le lupus pourrait être la pathologie responsable des affres de l’héroïne.

Elle témoigne du quotidien de la maladie. Le texte est parfois pénible par les répétitions, les contradictions, mais il rend formidablement la vie avec une maladie chronique, douloureuse. Ce qui pourrait paraitre des lourdeurs, des faiblesses font la véracité du texte. Mon expérience avec ces patientes est exactement celle là. Elle est très déstabilisante pour le médecin. Il n’y a qu’insatisfaction, car il ne peut qu’en être ainsi. La douleur, l’absence de guérison ne peuvent que générer de la frustration, de l’angoisse, de l’incompréhension.

Je conseille la lecture de ce texte à tous les jeunes médecins, ou moins jeunes qui ont à prendre en charge des sujets présentant ce type de pathologie. Il vous fera gagner du temps en concentrant ce que ressent une patiente qui a les moyens de l’exprimer par écrit. La majorité des patientes avec un lupus que j’ai eu à prendre en charge ont ce rapport à la maladie et aux soignants.

Ne vous braquez pas quand elle dégomme du médecin, nous le méritons bien. Négligence des symptômes invalidants pour le patient, errance diagnostique, oubli que nous soignons des sujets et non des objets, elle pointe tout avec justesse et sans concession. Vous gagnerez du temps car elle montre où il faut travailler, faire des efforts. Sur l’écoute de la douleur, sur le partage du choix thérapeutique, le patient  doit s’emparer, quand il en a envie du moins, des choix thérapeutiques. Apprendre à accepter les écarts, comprendre comme il est difficile de vivre le passage du jour au lendemain du monde des bien-portants à celui des malades.

C’est un texte très fort. Il vous sera plus utile dans votre quotidien de soignants que bien des traités médicaux.

En la lisant, j’ai retrouvé les demandes, les douleurs, les questions toujours identiques, pour lesquelles je n’ai pas forcément de réponse. Je n’ai juste qu’à offrir ma compétence et avec l’expérience, j’ai appris aussi à donner du temps.

Une des grandes sources de tensions est la temporalité différentes entre soignant et soigné. Le soigné vit un temps long, qui semble à l’hôpital ou quand il souffre, infini. Il attend. Elle touche une fois du doigt le cœur de ce problème, à la page 76:

« Patiente. c’est mon statut et l’ordre auquel je dois obéir. C’est un nom, un adjectif et un verbe à l’impératif. Ce qui me caractérise, c’est d’obéir à cet ordre qui m’est sans cesse implicitement rappelé. Patiente. Attends. Attends que la crise passe, attends que la douleur diminue, attends que le sommeil te délivre. Attends que cela fasse de l’effet. Une heure, trois jours, deux semaines. « 

Les soignants, eux, n’ont jamais le temps, ou ne le prennent pas, un peu des deux probablement. Cette confrontation des perceptions du temps est au centre, à mon avis, de nombreux conflits entre soignants et soignés. Je n’ai pas de solution miracle, si ce n’est donner plus de temps aux patients pour parler, pour dire leur douleur, leur peine et surtout prendre le temps de les entendre.

Sur ce dernier  point, nous devons faire le plus d’effort. Notre formation, nous impose, pour avoir un savoir opérationnel, à mettre les personnes que nous avons en charge dans une case. Cette approche est pratique pour produire des soins standardisés tenant compte des données actuelles de la science. Le problème est que bien souvent nous n’écoutons plus l’individu malade. Nous l’avons mis dans une case, il raconte la même histoire ou pas très loin que celle de son collègue de case. Nous avons une écoute distraite et bien évidemment il s’en aperçoit. Ce n’est pas bon. Il faut donner, dans le temps contraint de la consultation, le maximum d’attention ou du moins l’impression que ce que dit la personne en face de vous est la chose la plus importante que vous n’aillez jamais entendue au moment où elle le dit. Cet exercice est difficile, fatigant, mais indispensable, surtout avec les patients dit difficiles, dans laquelle l’héroïne de Claire Marin a du être rapidement catalogué. Certains ont ce talent, les autres doivent le travailler.

Ce roman (il est vendu comme tel par l’éditeur) soulève une autre problématique qui est celle de l’annonce. Ce moment où la vie bascule, ce terrible moment  où sur un ensemble de symptômes, signes, un nom est mis. Ce nom est celui d’une maladie, il n’est qu’un nom, il ne peut pas recouvrir la subjectivité de l’individu qui va faire l’expérience de la maladie (j’en ai déjà parlé dans les similitudes entre jazz et médecine). Ce nom n’est qu’un outil intellectuel qui va simplifier la prise en charge. Il ne résumera jamais le sujet malade, parfois nous avons tendance à simplifier le patient à sa maladie. Voici une source de malentendus et parfois de conflits qui rendront la collaboration thérapeutique difficile voir impossible.

Le médecin se doit d’être schizophrène, conceptualiser la maladie de l’individu pour avoir des idées claires et autoriser une prise en charge optimale reposant sur les preuves fournies par la science et de l’autre individualiser au maximum la prise en charge pour répondre aux attentes de la personne particulière en face de lui.

Encore un exercice difficile qui demande une concentration importante et une bonne dose de pratique. Il faut trouver l’équilibre entre ces deux tensions, médecine basée uniquement sur les preuves et subjectivité totale.

L’annonce est un moment traumatique. Claire Marin l’illustre très bien dans son texte. Le « Je » se plaint de la brutalité de l’annonce par une interne et dans tout le texte on sent le regret que le diagnostic ne fut pas fait plus tôt, plus vite. Toute l’ambivalence de la relation à ce moment unique qui vous transforme est dans ce texte.

Accepter de ne plus être celui qu’on était. La maladie transforme, nous change, comme toute expérience traumatique. Accepter cette modification parfois profonde du moi, de notre individu, de notre personnalité. Nous devons faire le deuil de celui d’avant et pire des possibles que celui d’avant avait.

La mort d’un proche entraine les mêmes phénomènes. Il faut faire le deuil de l’individu, le deuil de tous les possibles qui ne seront pas et parfois, comme ce fut mon cas, le deuil de celui que j’étais, tant la mort de mon fils a remis en cause mes centres d’intérêts et ma façon de voir la vie.

Je ne crois pas qu’il puisse y avoir de bonne façon d’annoncer une maladie, un décès. L’expérience est traumatisante. Tout peut être reprocher à la Cassandre qui vient vous annoncer la fin brutale de votre ancien moi, elle ne sera jamais que celle qui est venu vous dire plus ou moins maladroitement: « tu ne seras plus comme avant ». Elle n’est pas responsable de grand chose. Dans notre amour de trouver des coupables, des causes, des responsables, le porteur de mauvaises nouvelles est la victime toute trouvée pour notre hargne endeuillée. Refuser la fixation sur ce traumatisme peut être d’une grande aide sur ce long chemin difficile du deuil de ce que nous croyions être notre Moi.

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8 réponses à « Hors de moi » de Claire Marin

  1. nfkb dit :

    Merci pour ce billet si important.

    Il faut se former en communication, il faut former nos plus jeunes à la communication. C’est vraiment pas notre point fort en Médecine.

    J’ai lu ce livre récemment, http://www.amazon.fr/Comprendre-%C3%A9motions-anesth%C3%A9sie-r%C3%A9animation-Jean-Claude-Lleu/dp/2718412062 j’ai beaucoup appris. J’essaye, je trébuche, je recommence.

    A bientôt

    • PUautomne dit :

      Merci, pour le commentaire, je profite de mes vacances pour lire un autre livre de 2008. Qui est passionnant et qui explique bien des choses sur nos tendances dirigistes et peu à l’écoute. Manifestement nos comportements viennent de loin. Je reviendrai là dessus.

  2. mldinnou24 dit :

    Merci pour cette prise de conscience je suis une patiente fibromyalgique et plus d’écoute
    face à ces douleurs chroniques serait une bonne chose !
    Elles sont trop souvent remises en question !!

  3. Chantal dit :

    Belle note, surtout l’extrait me parle. Lors d’une crise d’arthrose, il ne reste que peu de chose à faire: patienter que cela passe, car certaines crises peuvent duerer des jours et on ne peux point se « goinfrer » de médicaments avec plus ou moins de réussite (surtout quand on a une une autre maldie qui est source de contre-indication depas mal de rémedes). Alors, on apprend à gerer la douleur, à modifier son planning du jour, à vivre avec une humeur « enrageante » contre soi-même. J’ai appris sans les conseils ou soutins des médecins, c’est le seul et le plus dur reproche que je fais envers le mileiu médical: l’absence de soutien ou de conseil devant la doueleur. Un haussement d’épaules et la repnse on va recasser l’articulation afun de la re-axer et ainsi cagner du temps devant une prothèse était complètement à coté du motif de ma consultation – la douleur. Pour elle, le médecin disait (j’ai vu plusieurs) peut-être cela va soulager, peut-être pas. J’ai fini à ne plus aller consulter, à m’adapter et trouver une cohabitation avec ces moments de crise. que la médecine, les médecin et les soigants sont parfois, souvent desarmés devant l’état d’un malde, je le comprend et je l’accepte mais pas cette fuite en avant en ignorant la doléance de malade qui a déjà assez à porter avec sa maladie et la patience deviendra une seconde nature.

    J’ai eu la chance que l’année dernière, quand j’arrivais au terme de ne plus pouvoir une marcher, de trouver un médecin à l’écoute qui soigne aussi bien larticulation et la douleur. Actuellement, je suis toujours avec des petites aiguilles dans l’oreilles – effet placebo? Je ne pense pas, car je n’avais jamais cru à l’acupuncture et pourtant elle marche heureusement très bien chez moi.

    Bonne journée

  4. doudou dit :

    belle note encore qui confirme que le lecteur aussi fait le livre;la dichotomie entre vécu de la maladie et objectivation par la « science médicale » est obligatoire; il faut l’expliciter au quotidien aux patients dans la mise en place de la relation écoute/distance complexe dans les maladies chroniques pénibles,encore plus aux jeunes qui ne comprennent pas spontanément par manque d expérience existentielle et défaut d exemple

  5. Doe dit :

    L’écoute a aussi ses limites. Elle permet l’expression, la réflexion, mais ne résoud pas. Elle est même parfois contre-productive quand on prête mal attention à des expressions secondaires, des replis sur soi, qui sont des réflexes normaux de tout animal blessé. Passer trop de temps sur le repli sur soi, c’est empêcher d’aller au delà. C’est bien sûr un temps utile, indispensable, primordial, mais ce ne doit être qu’un temps. Il faut construire, reconstruire et ne pas rester effondré devant le chantier.

  6. Colette THOMAS dit :

    Le pire c’est quand le médecin tente de déposséder le malade de sa maladie. C’est la fin. Le malade à raison de vouloir garder la main sur l’information, la compréhension, la réalité de ses symptômes même intangibles pour le médecin (la fatigue, la douleur). Et même sur le choix des thérapeutiques. La préservation de la dignité du malade. Un médecin qui ne me respecte pas : je le vire. Merci à mon interniste qui m’a conseillé ce livre

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