Choisir avec discernement

Aux états-unis d’Amérique, un tiers des dépenses de santé seraient utilisées à faire des examens ou des traitements inutiles. Une société savante américaine (ABIMF) avec une association (consumer reports) ont décidé de lancer une campagne appelé « Choosing Wisely ». Ils ont demandé à 9 sociétés savantes de proposer une liste de cinq « Don’t Do » (ne faites pas). L’American Society of Nephrology en faisait partie. L’argumentaire vient d’être publié dans le cJASN.

  1. Williams, Amy W., Amy C. Dwyer, Allison A. Eddy, Jeffrey C. Fink, Bertrand L. Jaber, Stuart L. Linas, Beckie Michael, et al. « Critical and Honest Conversations: The Evidence Behind the “Choosing Wisely” Campaign Recommendations by the American Society of Nephrology ». Clinical Journal of the American Society of Nephrology (septembre 13, 2012). http://cjasn.asnjournals.org/content/early/2012/09/13/CJN.04970512.

Les versions courtes des 9 premiers partenaires sont là.

Voici les cinq choses à ne pas faire pour l’ASN:

  1. Ne réalisez pas le dépistage d’un cancer pour un patient dialysé avec une espérance de vie limitée sans signes ou symptômes évocateurs.
  2. Ne pas administrer d’agents stimulants l’érythropoïèse à des patients insuffisants rénaux chroniques si l’hémoglobine est supérieure à 10 g/dl et si il n’y a pas de symptômes d’anémie.
  3. Évitez les anti-inflammatoires non stéroïdiens chez les patients avec une hypertension artérielle, une insuffisance cardiaque ou une maladie rénale chronique quelque en soit la cause.
  4. Ne pas mettre en place un cathéter central inséré par voie périphérique (PiccLine) chez des patients avec une insuffisance rénale sans l’avis d’un néphrologue.
  5. Ne pas commencer un programme de dialyse chronique sans avoir initier une stratégie de décision partagée entre le patient, sa famille et son ou ses médecins.

Toutes ces recommandations sont argumentées avec références à l’appui dans l’article. Pour ceux intéressés, je ne peux que conseiller la lecture de ce papier remarquable. Pour ceux non intéressés par l’insuffisance rénale chronique, je conseille fortement la lecture des autres recommandations de « Choosing Wisely ».

Pour le dépistage du cancer, l’argumentaire est excellent. Une étude avait montré que le gain net d’espérance de vie obtenue par des dépistages était de 5 jours chez le dialysé. Les risques de faux positifs, le risque des procédures de dépistage sont à prendre en compte dans cette population fragile. Si le patient veux, il faut discuter et tenter de le convaincre, parfois c’est votre confrère qui sera le plus difficile à convaincre.

C’est un message essentiel à retenir pour l’ensemble de ces pratiques diagnostiques ou thérapeutiques qui sont devenues des évidences. Parler, expliquer tranquillement, pourquoi il faut éviter de faire ça, même si le monsieur à la télé a dit qu’il fallait faire.

Pour les AINS, il ne s’agit pas de dire:  » non, c’est comme ça », mais expliquer les risques avec ces médicaments vendus « over the counter », augmentation de la TA, diminution de l’effet des médicaments antihypertenseurs,  dégradation de la fonction rénale et rétention hydro-sodée. Il faut discuter et parfois accepter une cure courte, mais attention au delà de trois, quatre jours chez des patients fragiles vous allez au devant de problèmes.

Pour le Piccline, je crains d’avoir moult coups de téléphone. En pratique, il faut surtout se poser la question quand le DFG est inférieur à 30 ml/mn ou que la fonction rénale se dégrade rapidement. Le risque de ces tuyaux, si pratique quand le patient devient imperfusable, est la perte des veines qui sont vitales pour l’insuffisant rénal chronique terminal. Le Picc se complique dans 30 à 40 % des cas de thrombose et beaucoup plus embêtant de sténose veineuse. On redécouvre les problèmes de l’abord sous clavier, 20 ans plus tard. La médecine est un éternel recommencement. Ici la discussion avec le néphrologue a pour but d’expliquer l’intérêt de protéger les veines chez des patients qui en auront besoin. La veine ligne de vie de l’insuffisant rénal chronique…

L’argumentaire pour le point 5 est une belle introduction à la décision partagée.

La task force de l’ASN en charge du programme a identifié deux autres recommandations à leur sens importante et je partage totalement leur point de vue.

  1. Si la bandelette urinaire est positive (une croix) il est inutile de doser la microalbuminurie.
  2. Le dosage de érythropoïétine pour explorer une anémie chez un patient avec une maladie rénale chronique est totalement inutile.

J’avais raté la publication initiale des 45 recommandations (avril 2012). Heureusement que le cJASN a publié l’argumentaire et fait écho à ces recommandations de bon sens étayées par la littérature.

Ce serait bien si les sociétés savantes françaises s’emparaient de l’idée… Ce serait pas mal si certains de mes petits camarades blogueurs s’attaquaient aux autres « Don’t Do List »

Note écrite avec l’aide de l’Oscar Peterson Trio

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7 réponses à Choisir avec discernement

  1. doudou dit :

    les recommandations cardio sont moins fines:
    -4 sur l’inutilité de réaliser/répéter des examens de surveillance ou de dépistage sur des terrains à faible risque
    -la dernière une ligne blanche dangereuse: revascularisation pluritronculaire en phase aigue d infarctus
    la SFC a édité des recommandations de pratique: le texte a été peu lu donnant beaucoup l’impression d’avoir été rédigé pour permettre le controle par des médecins conseils ne connaissant strictement rien à la cardio

    • PUautomne dit :

      Je ne crois pas qu’elles soient moins fines, les reco en néphro ne sont pas forcément pour un néphrologue d’une grand subtilité. Elle s’adresse à une population générale de médecins et de patients. En cardio, je pense que répéter qu’il ne faut pas faire du dépistage ou de la surveillance chez des patients sans risque me parait excessivement important pour l’ensemble du système de santé…

  2. nfkb dit :

    Hello,

    l’idée est séduisante mais comment faire accepter une telle démarche en France ? Je ne sais pas si nous avons la même notion du groupe et/ou la même vision épidémiologique des soins que nos cousins anglo-saxons.

    J’étais trop petit mais je ne me souviens pas d’un grand succès pour les RMO (j’veux bien une explication tiens) et en anesthésie on a des recommandations claires pour arrêter de faire des bilans à tort et à travers mais tout à chacun continue de faire ce qu’il veut…

    En anesthésie, en France : http://www.sfar.org/alertes/41/examens-pre-interventionnels-systematiques-rfe-2012

    Une des grandes difficultés est de ce mettre d’accord en équipe. Il y a plein de fois où je prescris un bilan juste pour rassurer les autres docteurs…

    bye

    P.S. même si je suis plutôt le genre à restreindre les examens et la biologie, j’ai été étonné par leur jusqu’au boutisme en obstétrique dans ces recos…

    • PUautomne dit :

      Je ne pense pas que les choses soient mieux aux USA, où la pression judiciaire est plus forte qu’en France avec une grande tendance à la médecine défensive. L’intérêt ici de la démarche est de mettre ensemble des associations professionnelles et une grosse association de consommateurs. Le but est de toucher les médecins mais aussi les patients directement, la stratégie est de données aux patients les clefs pour refuser des examens inutiles. La démarche est très différente des RMO qui se voulaient quasi universel. Ici, 5 points clefs pour chaque spécialité, après on peut critiquer les don’t do listés, mais pour être efficace, il fallait être limité.
      Je pense que ceci peux marchez si on est très limité sur le nombre de points où dire non, si on est pas prescripteur, mais conseilleur (éviter, discuter etc) et si on touche en même temps la population générale en impliquant non pas forcément des associations de patients mais plutôt des associations de consommateurs.

      • nfkb dit :

        d’accord mais pour l’exemple qui me regarde ce sont 14 sociétés savantes qui se sont mis d’accord… il manque peut-être/probablement des associations de patients. Mais l’empowerment semble encore très limité ici, probablement aux pathologies rares et/ou chroniques où les patients cherchent à construire leurs connaissances aussi entre eux comme sur les forums Atoute.org

        Ici je vois plutot des patients qui s’étonnent si on ne demande pas d’examens avant une AG. J’ai vu récemment une manip radio qui s’était fait faire une radio de thorax (parfaitement inutile) pour l’anesthésiste, elle avait même pousser le jeu à se faire prescrire un scan cérébral parce qu’on lui connaissait une sténose non sig sur une carotide.

  3. nfkb dit :

    j’oubliais : le patient américain va très probablement refuser son examen pour des raisons de coût. Ici on a plus souvent le couplet « je suis à 100% j’y ai droit docteur »

  4. Renaloo dit :

    Voici un échange tout récent sur un forum de patients dialysés et transplantés.
    Ils sont bien entendu à 100%, ce qui ne les empêche pas de se poser les bonnes questions.

    SB : (…)
    En parlant d’économie pour la sécu, je suis tombée sur des doc qui me font scanner écho prise de sang et irm pour confirmer une même chose ! Ce n’est pas normal, non !!??… Envie d’annuler l’irm…

    ER Il me semble que l’on ne vois pas la même chose sur une écho, un scanner et une IRM… S’ils ont besoin d’avoir des renseignements précis et de différentes natures sur ton problème, il peut paraître logique d’avoir prescrit les trois examens (en plus de la prise de sang). Tu devrais peut-être leur demander des explications sur l’utilité des trois examens avant d’annuler l’IRM. EN plus c’est long à avoir comme rdv, ça serait bête de l’annuler et de devoir en reprendre un plus tard…

    SB Oui c’est vrai, on ne voit pas la même chose mais ils ont déjà trouvé ce que j’avais à l’écho. Je les soupçonne juste de prescrire ces examens en plus pour rien (clinique privée). Surtout qu’ils me demandent une créat en plus, à quatre jours d’une précédente. Bon je verrai bien. Comme tu dis ce sera fait. Merci pour ta réponse. (…)

    SM je ne sais pas ce qui est recherché, mais bien souvent, scanner et IRM font double emploi. En principe, on voit bcp plus de choses sur l’IRM, alors si’l y en a un à supprimer, c’est plutôt le scanner qui délivre bcp de rayons X…

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