La bandelette urinaire, une uroscopie moderne?

Il y a deux ans, une administration française m’a demandé de faire une formation pour leurs médecins de prévention. Deux ans pour arriver à cette présentation, elle fut pour moi très enrichissantes avec des médecins de terrain.

Le but était de définir la place des examens urinaires, en pratique la bandelette urinaire, en médecine de prévention. La préparation de ce diaporama m’a forcer à plonger dans la chimie et l’utilité de la bandelette urinaire. Comme toujours quand je prépare un cours, j’ai appris plein de choses.

Pendant la préparation de ce travail, j’ai découvert, grâce à la toujours excellente émission les lundis de l’histoire, la place majeure de l’uroscopie dans la médecine du moyen age. Amusant de constater comme l’homme a toujours essayé de deviner son avenir dans ce liquide doré, conduisant à la mise en place d’une sémiologie particulièrement complexe. J’ai l’impression qu’avec nos bouts de plastiques nous ne sommes pas loin de cette époque, fantasme compris.

Je vais suivre le plan suivant.

Il y a eu un avant la bandelette, nous avons tendance à l’oublier. C’est la place de l’uroscopie. Ici vous pouvez voir un nuancier qui permettait d’aider le médecin au diagnostic. J’ai trouvé cette image dans ce très bon article.

Ce petit détour historique, pour vous rappeler qu’avant de tremper notre petit bout de plastique concentré de technologie chimique, il est important de regarder les urines. La modification de la couleur peut vous évoquer un diagnostic.  Dans les diapositives suivantes je vous donnerai quelques exemples. Pour une référence plus complète, c’est ici.

La chylurie doit être évoqué devant toute urine blanche. Si vous ne regardez pas les urines et que le patient ne vous en parle pas spontanément, la chylurie peut être prise pour une protéinurie abondante. Il est toujours important de poser la question, qu’elle couleur ont vos urines?

Les urines ont aussi une odeur.

Et un gout…

Après ce rappel sur l’importance de l’inspection des urines, hommage à l’uroscopie, passons aux bandelettes urinaires (BU). Il existe plusieurs type de bandelettes, les plus utilisées exploren dix variables.

La bandelette urinaire est essentiellement un outil de dépistage, rarement un outil diagnostic. Il l’est dans deux situations, la cétonurie et l’infection urinaire associée à des signes cliniques. La BU est un très bon outil de dépistage, peu cher, facile à réaliser et bien accepté par le patient.

Sa réalisation est simple, un flacon à usage unique où sont recueillies après une toilette locale à l’eau, les urines du milieu de jet, jamais le premier jet. Elles doivent être analysées fraiches après homogénéisation, la bandelette est trempée brièvement.

Après la trempette, on égoutte et on tient la BU à l’horizontale. C’est très important pour éviter que les différents réactifs se mélangent. La lecture se fera soit de façon manuelle ou mieux automatique.

Il faut maintenant analyser les résultats obtenus…

La glycosurie indique que la concentration de glucose dans le sang dépasse le Tm de réabsorption du glucose soit 11 mmol/l. Soit il y a un défaut de réabsorption par le tubule proximal, isolé dans le cas des mutations de SGLT2 ou plus général comme dans un syndrome de Fanconi. La première chose à faire: doser la glycémie. La présence de corps cétoniques traduit une carence en insuline, soit dans le contexte du jeun, soit dans celui d’une décompensation acido-cétosique d’un diabète. La première chose à faire: doser la glycémie.

Passons rapidement sur les deux que personne ne regarde jamais.

La densité urinaire est un reflet médiocre de l’osmolalité urinaire. Sa principale utilité est de vous donnez un reflet, bien qu’imparfait de la concentration des urines ce qui peut être utile pour interpréter les traces ou les une croix de protéinurie ou de sang.

Le pH surtout utile dans le suivi de l’alcalinisation des urines.

Identification d’une leucocyturie, le seuil de détection est celui d’une leucocyturie significative (10/mm3). Il existe des faux négatifs qu’il faut avoir en tête, surtout si votre patiente vient avec une symptomatologie de cystite. La présence d’une leucocyturie sera à interpréter en fonction du contexte clinique.

La présence de nitrites est le reflet d’une activité nitrate réductase dans les urines dont l’origine est bactérienne. Un point essentiel à garder en tête et la possibilité de faux négatif si les urines n’ont pas assez stagné dans la vessie (2-4 heures).

L’hématurie, la bandelette urinaire detecte la présence d’hémoglobine ou de myoglobine dans les urines. L’origine de la présence d’hémoglobine peut être une hémolyse intravasculaire, une hématurie faite d’hématies intactes se lysant sur la bandelette (aspect punctiforme de la coloration verte), une hématurie faite de globules rouges lysés dans les urines après leurs passages dans le néphron, enfin la présence de myoglobine sera détectée. La BU ne permettra pas de faire la différence. Il faudra systématiquement faire un ECBU pour confirmer la présence de globules rouges dans les urines. L’idéal est de pouvoir réaliser un examen au microscope à double contraste de phase. Le contexte clinique peut aussi vous aider.

Je vous propose ce très bon arbre diagnostic que nous avez indiquez le toujours pertinent NephroHUG.

La bandelette urinaire est utile pour dépister la protéinurie. Il faut bien connaitre la corrélation entre le nombre de croix et la concentration en protéine. La présence de deux croix traduira toujours une protéinurie significative qui devra être systématiquement confirmée par un dosage au laboratoire.

On m’avait demandé d’intervenir en médecine de prévention. Je me suis posé la question de l’intérêt du dépistage à la bandelette urinaire en population générale. Je parlerai ici d’un dépistage organisé, s’adressant à toute la population et non d’un dépistage individuel ou dans des populations à risque.

La question est « Faut il faire une bandelette à toute la population française? »

Faut il dépister les infections urinaires? La réponse est clairement non sauf chez les femmes enceintes. La présence de bactéries dans les urines sans symptôme est banale chez les femmes. Les leuco et les nitrites sur la BU ne doivent être regardés qu’en cas de symptômes.

Le dépistage du diabète de type 2?

Par la bandelette urinaire, je n’ai trouvé aucune étude. Il est possible que ceci puisse présenter un intérêt car ne serait dépister que des diabètes avec des glycémies importantes. C’est un travail à faire, qui ne sera probablement jamais fait.

Je n’ai pas pu résister au plaisir de présenter le papier du Lancet qui conclut à l’absence d’intérêt du dépistage du diabète de type 2 en terme de mortalité ou de morbidité.

Dépistage des cancers de l’appareil urinaire?

En population générale: aucun intérêt.

Faut il dépister les maladies rénales chroniques en population générale?

La réponse m’est fournie par l’USPSTF. Pas de recommandation par l’absence de données. J’aurai tendance à dire: « dans le doute, abstiens-toi ».

Est ce que la BU pourrait être un bon outil de dépistage? Un examen de dépistage doit répondre à 7 critères:

  1. Est ce que la maladie est fréquente?
  2. Est ce que la maladie est responsable de complications graves?
  3. Est ce que l’examen de dépistage a peu de risques de complications?
  4. Est ce que l’examen de dépistage est acceptable par le patient?
  5. Est ce que l’examen de dépistage est précis?
  6. Est ce que nous avons les moyens d’influer sur le cours de la maladie dépistée?
  7. Est ce que la stratégie de dépistage est économiquement utile?

Comme vous allez le voir l’utilisation de la bandelette comme outil de dépistage en population générale ne remplit pas tous ces critères. Ce n’est pas un examen, pour l’instant, à proposer à toute la population.

Si nous devions faire une étude pour démontrer l’intérêt du dépistage des maladies rénales chroniques, que ce soit en population générale ou dans des populations ciblées, comme ceci est actuellement conseillé, sans preuve réelle. Il faudrait, à mon humble avis, prévoir d’analyser les effets secondaires du dépistage, en terme de perte de temps, d’angoisse, de cout pour l’individu, etc. Malheureusement, cet aspect « effets secondaires » du dépistage est rarement évalué, pour ne pas dire jamais.

La bandelette urinaire ne devrait pas être faite de façon systématique mais dans des conditions cliniques bien précises, chez un patient qui pourra bénéficier de l’identification d’une anomalie. J’aime poser des situations idéales, que moi même j’ai du mal à toujours suivre. Si nous ne visons pas un idéal, nous ne l’atteindrons jamais.

Si malgré mes remarques, vous restez un fervent dépisteur, comment allez vous interpréter votre découverte?

Pour l’hématurie microscopique, je vous renvoie à une note précédente.

Pour la protéinurie, elle a un impact majeur aussi bien en terme de mortalité totale que cardio-vasculaire. Vous venez de stresser votre, maintenant devenu, patient. J’espère qu’une cause accessible à une prise en charge thérapeutique sera identifiée.

Emporté par mon élan et mes lectures, je n’ai pas résisté à la présentation de la récente étude du groupe Cochrane sur l’absence totale d’intérêt, sauf pour les médecins, 20% de malades en plus quand même, du traditionnel Check-up. Je sortais du cadre, la chair est faible.

Et c’est fini avec ma dernière plaque…

Je venais de pourfendre l’intérêt de réaliser une bandelette urinaire en population générale, cet examen que tout les médecins du travail, pardon de prévention, font et ils m’ont applaudi. Moi qui croyais me faire huer. Les réactions sont toujours imprévisibles.

Après cette présentation, j’ai trouvé que nous n’avions pas beaucoup évolué par rapport aux mireurs d’urine. Nous aimons toujours la pensée magique…

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17 réponses à La bandelette urinaire, une uroscopie moderne?

  1. JohnO2Snow dit :

    Depuis le temps que tu parlais de faire ce billet…
    Super. Bravo. Et encore merci!

  2. Bonjour

    Cette publication est remarquable, fort utile pour les médecins, les patients.
    Un travaiĺ scientifique et historique.
    Merci

    Dr F Dussauze

  3. Zibeline dit :

    Merci pour la présentation !
    Petite question, pourquoi il ne faut pas utiliser d’antiseptique lors de la toilette ?
    ps : « que nous avait indiqué le toujours pertinent » dsl

  4. cohen boris dit :

    Bravo!!!
    Vous ne voulez pas venir donner des cours en fac de pharma? (C’est la premiere fois que je vois quelque chose d’aussi claire, il me reste de l’enseignement cordonnée de nephrologie un vague souvenir brumeux et compliqué…)

    Joyeuses fetes,

    boris
    ps: Y a t’l une possibilités’il vous plait derecuperer une versin pdf de la presentation?

  5. dom dit :

    Vraiment bien mais attention aux fautes …(billet+présentation)
    Un médecin de santé au travail toujours perplexe quant à l’intérêt de la bandelette (magique) systématique

  6. Fourrure dit :

    Super intéressant, à la fois très proche et très éloigné de mes enjeux quotidiens.
    J’hésite souvent à dépister systématiquement les chiens âgés, l’IRC étant la cause majeure de mortalité du chien (et du chat, mais faire uriner un chat, merci bien). Je ne regarde même plus la plage protéine de mes bandelette, lui préférant l’antique mais semi-quantitative, plus spécifique et moins sensible réaction de Heller.
    Je ne sais toujours pas s’il faut que j’appuie ce dépistage ou pas.
    Tout ça me donne envie de creuser la question…

  7. BT dit :

    Merci pour cet excellent travail!
    A propos de l’hématurie microscopique isolée persistante, pourquoi ne pas réfléchir sur un trouble de l’hémostase pouvant entraîner un saignement occulte avec recherche à l’interrogatoire de symptômes en faveur de saignements faciles?
    Et je me demandais aussi si des études avaient été réalisées sur la corrélation entre hématurie isolée et thrombophilie?

  8. docles2A dit :

    bravo pour ce travail qui a dû demander un travail préparatoire colossal . Etant MG en ambulatoire , je m’étais mis à faire des BU en cas de symptomes uro mais il n’y avait pas assez d’utilisation. En effet la date de péremption de la boite était arrivée alors qu’il en restait encore bcp ds le flacon, hors ces bandelettes étaient relativement onéreuses (33 euros pour 50 BU) , donc j’ai arreté l’expérience ds mon cabinet de MG ambulatoire.

  9. john doe dit :

    Bravo pour votre travail et les références fournies.

    Je suis allé sur votre billet car échaudé par le sujet : j’ai un patient non fumeur, non exposé aux solvants ou autres cochonneries, connu pour une hématurie microscopique isolée depuis l’âge de vingt ans. En bon deuxième néphrologue consulté pour un problème non modifié, à l’âge de 52 ans pour ce monsieur, je dis : tout va bien, on surveille. 6 mois après, hématurie macroscopique et pollakiurie, uroscan puis cystoscopie : polype de 18 mm de la paroi vésicale probalement cancéreux…..Les urologues prennent la main. On n’a jamais fini d’être étonné.

    Une petite remarque cependant : la conclusion allant vers un usage raisonné et critique d’un outil de dépistage, pose de nouveau les questions de l’utilisation du dépistage en général, ce que vous faites aussi avec des exemples plus connus. Mais cela ne remet pas en cause la prévention. Ce qui est à revoir est plutôt l’assimilation du dépistage à de la prévention comme termes naturellement synonymes ou connectés.

    Dépister un état prémorbide peut éventuellement servir de base à la prévention de l’apparition de la morbidité, mais ce sont deux processus différents. Les exemples sont multiples en médecine ou ailleurs. La confusion paraît cependant largement répandue.

    Deuxième remarque : la microscopie à contraste de phase pour le bilan de l’hématurie, est-ce que ça existe vraiment ou est-ce de la science-fiction suisse? Les italiens qui éditent la partie « educational » sur NDT semblent user des mêmes techniques. Qui en France a rééllement accès en pratique à cette technique?

    Bonnes fêtes.

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  13. eudes dit :

    super mis à part la fautes d’orthographe…

  14. Popi dit :

    Je vous remercie pour votre article, très complet.
    Je suis médecin du travail, et je cherche à convaincre mes collègues du manque d’intérêt du dépistage massif par bandelette urinaire.
    Cependant les idées sont bien ancrées sous prétexte qu’une fois en 1980, ils ont découvert un diabète…
    J’ai avancé les arguments de votre blog, et leur envoyant le lien, à voir…

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