Des ours, des reins, des hommes et des machins choses

J’aime bien la physiologie comparée, je n’ai malheureusement pas assez de temps pour m’y plonger. Le rein est un organe fascinant, son ontogenèse récapitule sa phylogenèse. Vous ne le savez peut être pas mais vous avez trois reins successifs durant votre vie… Fœtale, le pronéphros, le mésonephros et le métanephros. Ce dernier est le rein définitif des mammifères, le mésonephros celui des poissons. Je m’égare, si la physiologie comparée vous intéresse, je vous conseille ce site qui m’a beaucoup aidé quand je travaillais sur le xénope puis le zebrafish.

Dans le dernier numéro de Kidney International, il y a une très jolie revue sur l’intérêt d’étudier la physiologie des ours.

  1. Stenvinkel, Peter, Alkesh H. Jani, et Richard J. Johnson. « Hibernating Bears (Ursidae): Metabolic Magicians of Definite Interest for the Nephrologist ». Kidney International 83, no 2 (2013): 207‑212. doi:10.1038/ki.2012.396.

Vous pouvez la lire sans problème, elle est en accès libre. L’ours est un animal fascinant pour le médecin. Comment imaginer rester allonger en dormant, pendant 4 à 6 mois, sans manger ni boire et se réveiller avec un appétit d’ogre et être prêt à aller chasser dans les minutes qui suivent. Quand on voit l’impact dramatique de l’alitement prolongé et de la dénutrition sur la peau, les muscles, l’os, le risque thrombotique. Nous avons beaucoup, mais vraiment beaucoup à apprendre de ce splendide mammifère.

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Il reste anurique pendant 5 mois, avec une diminution de 70% de son débit de filtration glomérulaire (augmentation de 130 µmol/l de créatininémie à 260) mais sans augmentation de l’urée sanguine. Si nous pouvions comprendre comment il fait nous pourrions imaginer de nouvelles approches thérapeutiques pour nos patients.

Ce n’est pas un hibernateur hypotherme, il garde une température de 30-34° grâce à des frissons musculaires. Il réduit son métabolisme de base de 40% et sa consommation d’oxygène de 50%. Son cœur ralentit à 8-10 battements et pendant plusieurs mois, il ne boira plus, ne mangera plus, n’urinera plus, ne déféquera plus. Impressionnant, non. Il maintient son hydratation grâce à l’utilisation de ses réserves en graisses. Il est entièrement dépendant de ces dernières. Il n’utilisera plus pour subvenir à ses besoins les carbohydrates et les protéines, expliquant l’absence de fonte musculaire.

Durant l’hibernation, l’ours est capable de recycler son urée. Il en produit relativement peu car son apport énergétique dépend de la lipolyse. Ce qui est produit n’est pas éliminé par le rein mais réutilisé pour produire de nouveaux acides aminées probablement grâce à une métabolisme digestif. Les mécanismes responsables sont mal connus. Ce mécanisme est perdu durant la phase d’éveil estival. Le peu d’urine produite (100 cc/24heures) ne s’accumule pas dans la vessie. Elle réabsorbe l’urine produite par le rein. Ceci rappelle le rôle de la vessie dans le métabolisme de l’eau chez le xénope.

Cette capacité à réutiliser l’urée présenterait un intérêt pour les insuffisants rénaux chroniques. Nous pourrions imaginer des médicaments améliorant la tolérance de l’urémie simplement en diminuant l’accumulation des déchets azotés. Ceci ne réglerait pas tout mais permettrait peut être de retarder la mise en dialyse. Un beau projet de recherche que celui ci… Je ne crois pas que l’industrie se lance dans cette aventure.

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Durant l’hibernation, les ours ne bougent pas. Nous savons bien que l’immobilisation prolongée favorise la survenue de thrombose veineuse. Les ours ne semblent pas développer de phlébites ou d’embolie pulmonaires. Ils ont même des artères totalement indemnes d’athérome alors qu’ils sont franchement hypercholestérolémiques, avec une insulino-résistance et  une réduction drastique de leur fonction rénale. Il semblerait que les ours ont des plaquettes hypoaggrégables, ceci reste à confirmer de façon définitive. Ce phénomène ne suffit pas à expliquer l’absence de thrombose. Je vous le dit ces grosses bébêtes sont fascinantes. Elles ont beaucoup à nous apprendre.

Je ne vous parle pas de leur étonnante capacité à ne pas se présenter d’ostéopénie et de fonte musculaire massive malgré le repos prolongé.

Un animal magique que l’ours et son adaptation aux contraintes de l’hibernation. Malheureusement, il y a plus de questions que de réponses. J’espère que les auteurs de l’article seront entendus et qu’un vrai programme de recherche pour comprendre cet animal sera initié.

Je profite de cette note pour vous faire partager cette magnifique reprise d’un morceau du grand serge par Bachar Khalifé, « Machins choses », j’adore la chanson originale et cette version.

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6 réponses à Des ours, des reins, des hommes et des machins choses

  1. nfkb dit :

    merci pour ce joli billet, des idées, une belle photo et la musique qui va bien 🙂

  2. HD dit :

    Très interessant vu sous cet angle!Merci!

  3. Cossino dit :

    Fantastique

    J’adore ce billet, merci

  4. Anerick dit :

    C’est fascinant, dire qu’on peut faire encore tant de choses mais qu’on ne le sait pas encore. Et merci pour le morceau de musique qui m’aura fait frissonner.

  5. cohen boris dit :

    Article fantastique!!!

    Pouvez vous s’il vous plait develloper un peu plus sur ce passage

    « Cette capacité à réutiliser l’urée présenterait un intérêt pour les insuffisants rénaux chroniques. Nous pourrions imaginer des médicaments améliorant la tolérance de l’urémie simplement en diminuant l’accumulation des déchets azotés. Ceci ne réglerait pas tout mais permettrait peut être de retarder la mise en dialyse. Un beau projet de recherche que celui ci… Je ne crois pas que l’industrie se lance dans cette aventure. »

    Je suis pharmacien et toujours interessé par la pharmacologie…
    Pouvait vous s’il vous plait me dire sur quel type de cible faudrait il travailler pour diminuer l’accumulation de dechet azoté???
    (Je suis a la recherche de nouveaux projets de recherche, ne sait on jamais…)

    Vous remerciant par avance,
    Cordialement,

    Boris Cohen

  6. john doe dit :

    C’est énorme!
    Je pense que les ours sont avant tout de magnifiques procrastinateurs (allez on verra dans 6 mois).
    Bonne soirée.

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