Un article qui pose quelques questions.

JASN est le journal numéro 1 dans la spécialité, même si son IF n’est pas forcement très élevé (7,8). En tant que journal leader, il a des responsabilités dans la qualité des études publiées. La majorité des articles sont de très bonnes qualités voir excellents. Parfois, ce n’est pas le cas et c’est d’autant plus choquant.

Un article vient de sortir dans JASN express.

  1. Adriana M. Hung et al., “IL-1β Receptor Antagonist Reduces Inflammation in Hemodialysis Patients,” Journal of the American Society of Nephrology (sans date), http://jasn.asnjournals.org/content/early/2011/02/18/ASN.2010070760.abstract.  

Je n’ose pas en conseiller la lecture. En fait, oui, il faut le lire, c’est un bel exercice.

Je suis un garçon bête et discipliné.

En LCA, la première question a se poser est: Est ce que la question posée par l’étude est relevante?

Le but est de montrer qu’un antagoniste du recepteur de l’Il-1 recombinant (Il1-ra) va diminuer la CRP chez des hémodialysés chroniques.

Est il utile de faire diminuer la CRP, pour par exemple diminuer la mortalité d’origine cardio-vasculaire? Voilà une bonne question, la réponse est non si on croit les multiples études concordantes de randomisation mendélienne.

  1. C Reactive Protein Coronary Heart Disease Genetics Collaboration (CCGC), “Association between C reactive protein and coronary heart disease: mendelian randomisation analysis based on individual participant data,” BMJ 342, n°. 15 (2, 2011): d548-d548. 

Aucune n’est en faveur d’un rôle initiateur de la CRP dans la genèse de la maladie athéromateuse. La CRP n’est qu’un marqueur passif dans l’histoire.

  1. B. Keavney, “C reactive protein and the risk of cardiovascular disease,” BMJ 342, n°. 15 (2, 2011): d144-d144. 

Il n’y a pas de raison de penser que diminuer la CRP soit utile. Le critère principal annoncé de l’étude est ainsi sans intérêt. Il en aurait différemment si le but des auteurs eut été de diminuer le syndrome inflammatoire des patients. L’idée dominante, actuellement, est que l’inflammation n’entraine pas de maladie athéromateuse par elle même, mais qu’elle est un facteur précipitant et accélérateur chez des patients à risque cardio-vasculaire (cf une très bonne session sur le sujet à l’ERA-EDTA 2010). J’aurai pu m’arrêter de lire et ne pas perdre mon temps. Je suis masochiste.

En LCA, on conseille de lire les méthodes pour s’assurer que les résultats fournis seront de qualité.

C’est un essai randomisé en double aveugle utilisant l’Anakinra contre un placebo en sous cutané pendant quatre semaines. Il y a un calcul d’effectif qui prévoyait d’inclure 30 patients seulement 22 seront randomisés et 14, 7 dans chaque bras, finiront l’étude. C’est un problème. Ils s’en sortent, bien évidement, en annonçant qu’une analyse intermédiaire était prévue et que le comité de surveillance a donné son accord pour l’arrêt de l’étude. On peut se demander qui a pu dire qu’il fallait une analyse intermédiaire quand on prévoit d’inclure 30 patients avec des critères d’inclusion finalement peu restrictifs. Il y a un gros biais, le nombre de patients à inclure n’est pas atteints.

On va finir avec l’inclusion, il leur a fallu plus de deux ans et demi pour 22 patients (4 perdus en cours de route sur 4 semaines de traitement au total). Les auteurs auront screené 239 patients, ils n’en ont pas inclus  10%. La population sélectionnée n’est probablement pas un bon reflet de la population générale des dialysés. Encore une limite au travail. Enfin, sur 11 patients inclus dans chaque bras, en perdre un tiers sur une période de 4 semaines, n’est pas loin d’une performance unique.

Je suis ensuite aller regarder, sur Clinicaltrials (NCT00420290) le synopsis de l’étude. Et là, oh surprise, chose extraordinaire, sublime, les critères principaux et secondaires déclarés dans le papier et sur Clinicaltrials sont différents. Les études ancillaires tous le monde en fait, ce n’est pas un reproche, mais au moins on cite dans le papier que ce n’est pas le sujet principal du travail. Ici, la situation est totalement différente.

Sur Clinicaltrials:

Primary Outcome Measures:

  • A decrease in muscle protein breakdown [ Time Frame: 1 month ] [ Designated as safety issue: No ]

Secondary Outcome Measures:

  • A change in C-reactive protein (CRP) and serum amyloid A levels [ Time Frame: 1 month ] [ Designated as safety issue: No ]
  • whole-body protein turnover rate [ Time Frame: 1 month ] [ Designated as safety issue: No ]

Dans le papier:

The primary endpoint was the percent change in serum hsCRP from baseline to 4 weeks. Secondary outcomes were the percent changes in IL-6, serum prealbumin, serum albumin, and LBM from baseline to 4 weeks.

J’ai fait copier coller pour éviter toute accusation de mauvaise interprétation.

Je finis avec mes ctrl-C ou V

Sur Clinicaltrials

Study Start Date: July 2007

Study Completion Date: June 2010

Dans le papier:

This study was conducted at the Vanderbilt University Medical Center and Nashville Veterans Affairs Outpatient Dialysis units between January 2008 and May 2010.

Comme vous pouvez le constater, il y a des différences assez importantes entre les objectifs annoncés au dépôt du projet et dans les résultats. J’ai du mal à imaginer que le calcul d’effectif n’a pas été réalisé pour l’objectif primaire déposé dans Clinicaltrials. Il est rare de faire un calcul d’effectif sur un critère secondaire comme ils l’annoncent dans leur article. Je ne suis pas un grand méthodologiste, mais je trouve ça bizarre.

Il transforme un critère secondaire en critère principal, ce qui est assez fort. Personne ne voit rien ou n’est allé vérifié. Je trouve ça extraordinaire et montre bien les qualités limites du peer reviewing et du travail de l’éditeur. Ça ne prend pas beaucoup de temps d’aller jeter un coup d’œil sur internet, surtout quand c’est son métier.

Montrer une diminution de la destruction des protéines musculaire ou une diminution de la CRP par une intervention thérapeutique, ce n’est pas exactement la même chose. Je passe sur le fait que dans le critère secondaire annoncé on parle de la SAA. Elle disparait dans le papier pour laisser la place à l’Il-6. Un dosage à mon sens inutile. L’Il-6 est la cytokine majeure augmentant la production hépatique de CRP. Deux façons de dire la même chose en tentant de faire du scientifique.

Je ne vois vraiment pas l’intérêt de déposer des études dans des dépôts si personne n’utilise ces infos pour vérifier les dires des auteurs.

Cet article est un beau symptôme du malaise dans la recherche bio-médicale et l’industrie de l’édition. Retraction watch et Embargo watch fournissent tous les jours d’autres signes.

Je ne m’étendrai pas sur les résultats de l’article, qui montre que la CRP baisse quand on injecte trois fois par semaine un Il-1ra fourni par la société Amgen à des hémodialysés. Une grande découverte qui va bouleverser la prise en charge des insuffisants rénaux chroniques (point d’ironie).

Je ne dirai pas que les groupes n’étaient pas identiques, plus de diabétiques dans le groupe placebo (une vraie performance avec 7 patients), que la CRP médiane est deux fois plus importante que dans le placebo que dans les sujets traités (différence non significative, 7 patients contre 7). L’analyse a été faite en per protocol (on le dit pas) et non en intention de traiter, éliminant quatre patients dans chaque groupe. Ceci eut été important d’avoir les données en particulier dans le groupe traitement car 2 patients arrêtent à cause d’un effet secondaire direct du médicament (douleur à l’injection), un patient du fait d’une possible complication du traitement (infection du site d’accès). C’est pas mal quand sur 11 patients, 3 arrêtent du fait d’effets secondaires. Il était d’autant plus justifié de faire une analyse en intention de traiter.

Pour ceux que cela intéresse, une étude Cochrane vient d’être publiée qui tente d’évaluer les risques des biothérapies (il y a plus d’effets secondaires).

  1. Jasvinder A Singh et al., “Adverse effects of biologics: a network meta-analysis and Cochrane overview,” Cochrane Database of Systematic Reviews (Online) 2 (2011): CD008794.  

Pour la pratique, il n’y a aucune raison d’injecter un Il1-ra recombinant chez un hémodialysé chronique et surtout pas ce papier. J’espère vous avoir montrer que la LCA présente un intérêt. Je suis choqué qu’un tel papier ait pu passer dans un bon journal. Je ne vois pas comment l’éditeur de JASN pourra refuser un article pour des questions de méthodologie après cette petite merveille.

Une petite anecdote, l’éditeur du petit frère de JASN, cJASN, n’a pas envoyé un article soumis aux reviewers. J’ai demandé pourquoi, d’autant que dans le mail, il parlait de « methodologic concerns ». C’est toujours inquiétant. La réponse, votre étude est monocentrique, c’est le principal problème. Dommage que cet article ne soit pas sorti avant.

J’aimerai avoir l’opinion des spécialistes en méthodologie (Jean-Marie comme tu suis des enseignements dans le domaine) sur les points qui me choquent. Juste pour savoir si j’ai enfin compris quelque chose dans ce domaine.

Ce contenu a été publié dans Médecine humeur, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Un article qui pose quelques questions.

  1. pr mangemanche dit :

    Il faut absolument envoyer ce billet au JASN ! ( point d’affirmation, et non pas point d’ironie…)
    J’applaudis le travail (c’est est un) qui consiste à vérifier la pertinence de l’étude, sa qualité méthodologique, la conformité au projet déposé initialement.
    Comment relativiser la présentation d’une étude, ou transformer l’enthousiasme en scepticisme : c’est aussi intéressant pour tous les cliniciens.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.