Les NOAC, un levier de croissance, en attendant les NNOAC

Les nouveaux anticoagulants oraux (NACO en français, NOAC en anglais) font débat. Récemment, le monde s’est emparé du sujet. Le dossier est bien fait. Il relève les principales objections à leur utilisation, prix, efficacité, sécurité. Je vois ce débat d’assez loin, avec un certain intérêt, car les patients insuffisants rénaux chroniques sont à risque thrombotique. Il est tentant de leur proposer de meilleur molécule anticoagulante.

Les NOAC sont un inhibiteur de la thrombine (le Dabigatran commercialisé sous le nom de Pradaxa) et deux inhibiteurs du facteur Xa (le Rivaroxaban (Xarelto) et l’Apixaban (Eliquis). Les avantages mis en avant sont plus efficace, ne nécessitant, pas comme les antivitamines K, des ajustements de doses et surtout pas de surveillance. Les limites, leur cout (un surcout évalué en France à 150 millions d’euros), leur efficacité (seul l’apixaban diminue la mortalité), la sécurité (absence d’antidote, risque hémorragique (seul l’apixaban fait moins saigner que les AVK), et pour l’inhibiteur de la thrombine, un possible risque de survenue d’infarctus du myocarde). Les services communication des laboratoires ont bien fait leur boulot car la prescription augmente.

Pour les patients insuffisant rénaux, malheureusement ou heureusement, je ne sais pas, il est difficile de les prescrire et je pense qu’il faut s’en passer, tant que nous n’avons pas plus de données dans cette population spécifique et particulièrement fragile en ce qui concerne l’hémostase. Je vous recommande cette mise a jour d’ICAR sur le sujet. Et contrairement à ce qui est avancé par les laboratoires, les risques d’interactions médicamenteuses ne sont pas négligeables. L’insuffisant rénal chronique est à risque de développer une insuffisance rénale aiguë qui entrainera une accumulation de toutes ses molécules et augmentera le risque hémorragique, pour cette raison je persiste à déconseiller leur utilisation. Je crois peu à l’utilité des inhibiteurs de la thrombine, par contre j’aimerai bien tester des inhibiteurs du Xa chez les patients insuffisants rénaux chroniques. J’ai le sentiment que ceux sont des molécules qui pourraient rendre de grand service.

Après cette longue introduction vous devez vous demander, le sens de mon titre. Je pense que les NOAC sont un levier de croissance. Pourquoi?

Leur prix prohibitif va permettre aux laboratoires de gagner de l’argent, qu’ils vont pouvoir, car ceux sont des entreprise citoyennes, investir dans la recherche de nouveaux médicaments qui permettront ainsi d’améliorer la santé de la population et donc les capacités productives. L’augmentation de leur revenus augmentera leurs bénéfices, et mécaniquement les rentrées fiscales. Nous aurons donc de la croissance.

Leur effets bénéfiques ne s’arrêtent pas là. L’argument tueur pour leur utilisation était l’absence de nécessité de surveillance biologique. Il est apparu que c’est aussi un problème car pas de possibilité d’évaluer le risque hémorragique en cas de surdosage. Des laboratoires se lancent dans le développement de nouvelles techniques permettant de mieux suivre le niveau d’anticoagulation généré par ces molécules. Je vous conseille cette revue récente pour en savoir plus. Ces nouveaux tests qui ne vont pas manquer d’être commercialisés permettront de savoir si le patient est trop anticoagulé, mais aussi pas assez…

Une fois qu’un test fiable sera disponible, il sera très tentant pour des chercheurs de définir des cibles et de tester l’efficience de ces cibles. Il y aura alors des recommandations de cible en fonction du risque hémorragique, du risque thrombotique, de l’indication, etc. Ça vous rappelle peut être quelque chose, et oui, l’INR avec les AVK. Ne riez pas, ne haussez pas les épaules, ça va se passer comme ça. Car comment résister à une, que dis je, des multitudes de publication pas trop difficiles, si les outils sont disponibles. Ces nouveaux tests couteront plus chers que l’INR, les laboratoires auront plus de revenus, donc plus de possibilité d’investir, plus d’impôt, etc. Je vous le dis un vrai levier de croissance.

Et pour finir en beauté, le problème des antidotes, donner un anticoagulant augmente le risque de saigner, c’est le problème avec ces molécules. L’attitude pour neutraliser ces molécules en cas d’hémorragie est loin de faire consensus. Je vous conseille encore cette très bonne revue. Il est très tentant de développer des antidotes spécifiques, c’est ce que des petits malins ont compris et font. Ces antidotes, je vous l’assure, couteront plus cher que la vitamine K. Encore une fois le cercle vertueux de la croissance est bouclé.

J’espère vous avoir convaincu de l’intérêt de ces NOAC pour l’économie mondiale. Nous avions une molécule qui coutait peu cher (la warfarine) avec son test peu onéreux (l’INR) et ses antidotes. De nombreux travaux avaient permis de définir ses règles d’utilisation. Des cliniques des AVK s’étaient crées, des automesures étaient possibles, les pharmaciens pouvaient adapter les doses. Nous commencions à avoir les moyens de bien utiliser cette classe thérapeutique, les AVK. Et bien, nous allons refaire exactement la même chose mais pour beaucoup plus cher avec les NOAC, nous allons utiliser des nouveaux tests, définir les cibles, créer des cliniques de NOAC, inventer des antidotes etc… Dans 10 ans nous aurons heureusement des nouveaux nouveaux anticoagulants oraux (NNOAC ou NNACO) pour perpétuer le magnifique cycle de la vie économique.

Ces molécules sont une formidable chance pour l’économie mondiale, probablement moins pour les systèmes de santé vu les couts qu’ils vont générer, mais ce n’est pas grave. L’essentiel est que le grand barnum économique fonctionne en créant les besoins et les réponses à ces besoins.

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15 réponses à Les NOAC, un levier de croissance, en attendant les NNOAC

  1. ami89 dit :

    Et ce mythe des « pharmaciens [qui] pouvaient adapter les doses » qui persiste toujours. 😉
    Pour les études, c’est dommage d’avoir comparé à la Coumadine… Des comparaisons par rapport au Previscan, et voilà les NACO propulsés en tête des innovations…

    • PUautomne dit :

      La situation pour le rôle des pharmaciens dans le trt par AVK a bien évolué si j’en croit ce décret.
      Il me semble que le rôle du pharmacien hors de France peut être d’adapter les doses.

      • ami89 dit :

        Merci beaucoup pour ce lien. Je l’ai parcouru en diagonal mais pas vu d’adaptation posologique faite par le pharmacien.
        Si vraiment il y en avait, ça aurait provoqué un tollé chez les médecins…
        Pour les autres pays, je ne sais pas.

  2. Dolanlan dit :

    Un peu manichéen tout ça.

  3. docteurdu16 dit :

    Imaginons que les NOAC aient vu le jour en premier, que l’on en connaisse les effets (première cause de passage aux urgences aux Etats-Unis) et qu’apparaisse la coumadine dix fois plus chère, produit dont les avantages seraient la possibilité de surveiller la coagulation par un examen sanguin simple (INR), de pouvoir moduler les doses en fonction des indications, et d’avoir un antidote. Les grands professeurs seraient à la fenêtre pour la vanter.
    La coumadine, c’est bien.

  4. C’est vrai que la recherche sur les NACO (voire les NNACO, j’aime le concept) n’était peut être pas la plus prioritaire, surtout quand on voit l’évolution des résistances bactériennes.

    Je pense qu’on aurait plutôt eu intérêt à réfléchir à un traitement antibio qui freinerait l’arrivé des Staph toxiniques communautaires, des souches d’entérobactéries avec BLSE ou carbapénémase….

  5. Peyridieux alexandre dit :

    Rabajoies !!
    Puisqu’on vous dit que c’est bon pour la croissance 🙂

    Au final et même s’il est impossible de refaire l’histoire nous avons déjà eu des précédents plus ou moins heureux. Cox 1 –> Cox 2 (Cox 3?)
    Il était pas fantastique mon vioxx ?

    Le naproxene reste pas mal 🙂

  6. eo dit :

    Pas pour une adaptation de poso FLuorette, uniquement pour des entretiens pharmaceutiques à visée informative.

  7. Ping : Les NOAC, un levier de croissance, en attendant...

  8. Finir dit :

    Bonjour j aurai une question je dois effectué un exposé concernant la polémique autour des anticoagulant oraux pensez vous que les avk ou les noacs sont plus avantageux?

  9. Ping : Pour les actionnaires de Boehringer Ingelheim, voici l’article de l’année, l’Idarucizumab inhibe l’action du dabigatran. | PerrUche en Automne

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