Des mots au service de la décision partagée face à l’incertitude

Les fanatiques de l’EBM (evidence-based medicine), en français, médecine basée sur les preuves ont un début de phrase mantra:

« There is no evidence to suggest » ou

« Il n’y a pas de preuve pour suggérer ».

Après, vous pouvez mettre ce que vous voulez.

  1. Il n’y a pas de preuve pour suggérer que sauter d’un avion volant à 3000 m avec un parachute modifie la survie par rapport à un saut sans parachute.
  2. There is no evidence to suggest that looking both ways before crossing a street compared to not looking both ways reduces pedestrian fatalities.

Ces six mots (huit en français), R. Scott Braithwaite les appelle les six mots dangereux de la médecine basée sur les preuves.

  1. Braithwaite R. « EBm’s six dangerous words ». JAMA 310, no 20 (27 novembre 2013): 2149‑2150. doi:10.1001/jama.2013.281996.

Ce papier d’opinion est à lire par tout ceux qui veulent s’initier à l’EBM. Les références sont classiques et de qualité. Il s’attaque à ceux qui ont mal digéré la médecine basée sur les preuves. Absence of evidence is not evidence of absence. Avant de conclure qu’un traitement est inefficace, il faut une étude qui le démontre. Ce qui sous entend que la puissance de l’étude soit suffisante. Si vous voulez voir une différence d’efficacité de 20% entre deux traitements et que votre calcul d’effectif vous dit: « il faut inclure 1000 patients », si vous n’en incluez que 100 et si vous ne trouvez pas de différence, il est impossible de conclure à l’absence d’efficacité. C’est pour cela qu’il faut toujours regarder dans les matériels et méthodes le calcul d’effectif avant de dire: « ça marche pas ».

Ces six mots sont ambigus. Il est très différent d’avoir une étude qui montre que l’attitude thérapeutique, de dépistage ou de diagnostic est inefficace et l’absence d’étude bien faite. Sous le couvercle de ces six mots vous pouvez dire deux choses au sens très différent. Se cacher derrière cette entame de phrase empêche toute discussion avec le patient et les collègues. Elle limite la possibilité d’une prise de décision réellement éclairée. Ces mots sont les bombes des terroristes intellectuels qui veulent empêcher de penser et de discuter les preuves, ou la signification de leur absence.

L’EBM a pour but de proposer une attitude diagnostique, thérapeutique reposant sur des preuves scientifiques adaptées à la situation d’un patient donné. Il s’agit d’une tension entre un idéal scientifique et une histoire particulière. Ceci fait la complexité de la décision médicale. Il est très confortable de la partager avec le patient et en équipe, pour choisir la solution la plus adéquate à la situation X de l’individu Y au temps T. Ceci nécessite une information la plus pertinente possible en évitant le raccourci de ces six mots quand le choix est incertain.

L’auteur de l’article propose de les remplacer par quatre phrases, en fonction du niveau de preuves existant:

  1. « La science ne permet pas de conclure, nous ne savons pas quel est le meilleur choix. (scientific evidence is inconclusive, and we don’t know what is best) »
  2. « La science ne permet pas de conclure, mais mon expérience et/ou d’autres données suggèrent une attitude X. (scientific evidence is inconclusive, but my experience or other knowledge suggests ‘X’)
  3. « Il a été prouvé que cette attitude n’avait aucun bénéfice. (this has been proven to have no benefit).
  4. « La preuve scientifique d’un bénéfice est faible, les risques dépassant les bénéfices pour certains patients mais pas pour tous. (this is a close call, with risks exceeding benefits for some patients but not for others) »

L’utilisation de ces quatre phrases à la place de la litanie « il n’y a pas de preuve pour suggérer » est plus compliquée mais permet d’avoir un véritable dialogue sur les choix thérapeutiques, en particulier pour les propositions 1,2 et 4. Nous n’aimerions avoir qu’a dire 3 ou son opposé: « il a été prouvé que cette attitude a un bénéfice certain ». Ne rêvons pas, nous n’aurons pas de réponses définitives à toutes les questions cliniques posées.

Je vous conseille chaleureusement la lecture de ce court article, très bien fait.

La médecine basée sur les preuves n’est pas un simple raisonnement binaire entre le bien et le mal, son objectif est, aussi, dans les situations où la science est incertaine de permettre au patient avec son médecin de faire le meilleur choix. Il est bon, de temps en temps, de le rappeler.

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16 réponses à Des mots au service de la décision partagée face à l’incertitude

  1. dalidaleau dit :

    Quels sont les médecins qui, intentionnellement, utilisent ces 8 mots dignes d’une présentation orale scientifique (congrès, thèse etc.)? Sont-ils ceux-là même qui posent la question de ces 8 mots? Sur le terrain et dans la communication avec les soignés, j’ai du mal à voir leur place. Malheureusement, je souffre d’un manque d’étude à ce sujet. Je ne parle qu’en mon nom. Même si les rencontres lors des stages d’internat m’ont permis d’observer mes maîtres de stage. Je n’ai jamais entendu ces 8 mots. Je n’ai jamais prononcé ces 8 mots. Encore une fois qui les prononcent face aux soignés? Le plus souvent j’ai entendu l’équivalent de la proposition 1. Le plus souvent j’utilise une formule qui se rapproche de cette proposition. Combien de médecins osent se cacher d’une telle manière, avec une telle distance imposée? Peu, je pense, en réalité. Cette histoire des 8 mots me semble davantage être un cours d’humanisation pour des médecins qui ont oublié auprès de qui et pour qui ils travaillaient.

    • nfkb (@nfkb) dit :

      reviens faire un tour au CHU où la culture « article-article-article » / « data-data-data » est à tous les coins de couloir

      pour les terroristes néo-mandarins je crois que la cause est désespérée mais le combat est important vis à vis des internes qui vivent, pensent et espèrent pratiquer en fonction des abstracts pubmed qu’ils lisent (et parfois en diagonale !)

      • dalidaleau dit :

        Le CHU est-il représentatif de la profession médicale? Je crois que la question a toute son importance. Ensuite, s’il y a souffrance des internes en CHU et autres, pourquoi n’y a-t-il pas de mouvements de réflexions et d’actions afin d’aboutir à l’ouverture vers de nouveaux paradigmes. En somme, qui devrait défendre la nécessaire affirmation de soi sinon les principaux intéressés? Il faut désormais poser la question d’un tel silence des internes en CHU, d’une telle abnégation, d’un tel dénuement, si je me puis m’exprimer ainsi. Où sont passés les esprits des internes en CHU?

        • nfkb (@nfkb) dit :

          j’ai jamais parlé de ça, j’ai dit que certains jeunes médecins se fourvoyaient dans une volonté d’appliquer bêtement tout ce qui était nouveau et estampillé EBM sous prétexte d’une publication

          (j’en ai été, on comprend souvent un peu mieux les défauts des autres si on les a aussi)

          La perruche bavarde nous rappelle bien que l’EBM c’est un truc plus costaud et complet que de la bête application ou réfutation de stratégies selon qu’il existe un article médical ou non

    • PUautomne dit :

      Merci pour votre commentaire, je suis désolé d’avoir pondu une note inutile. Je ne m’étais pas rendu compte du peu d’intérêt de mon sujet, vraiment désolé de vous avoir importuné.

      • YannnSud dit :

        (soupir…)

      • dalidaleau dit :

        Ce que j’ai voulu signaler, c’est que cette note est probablement le reflet de l’attitude d’une partie des médecins, à savoir, les médecins et apprenants en CHU. Au-delà des 4 propositions faites par l’auteur de l’article que vous signalez, c’est bien la question du rapport qu’entretiennent soignants et soignés dans une structure tel qu’un CHU. Il semble que le comportement envers les soignés souffre d’un détachement et d’un vocabulaire emprunté au domaine de la communication scientifique. L’auteur est « obligé » de réaffirmer l’importance d’un comportement social adapté et honnête. Il y a bien une question sociale autour du comportement en CHU entre soignants et soignés et entre soignants. On peut l’éluder mais elle est prégnante. J’espère que certain(e)s trouveront le temps de s’exprimer à ce sujet sans craindre la hiérarchie hospitalière ou celle plus insidieuse des relations d’amitiés du net.

        • PUautomne dit :

          Je ne crois jamais avoir trop abusé dans mes écrits d’un argument d’autorité. Il ne me semble pas avoir censuré quelques commentaires que ce soit, sauf un ou deux. Je ne vois pas ce que les commentateurs peuvent craindre de mois, surtout quand on commente en anonyme, je trouve votre dernière phrase très étrange. Si en plus il faut craindre l’amitié maintenant, je pense qu’on est pas sorti de l’auberge.
          Pour le reste, je vois juste apparaitre cette dichotomie que j’adore, du méchant CHU et du gentil libéral en ville. J’ai la faiblesse de croire, que le médecin libéral n’a pas le privilège du cœur. Je crois qu’il y a des médecins hospitalier, voir des PU-PH qui ont une grande humanité. De même le médecin hospitalier n’a pas le privilège de la science. Il y a des médecins en ville qui font de la très bonne recherche médicale.
          Ce raccourci simplificateur, avec d’un coté les méchants et les gentils, me parait dangereux. J’évalue les médecins sur leurs actes et leurs dits par sur leur place dans la société ou la hiérarchie médicale.

          • dalidaleau dit :

            Visiblement, aucun échange constructif n’est possible sur cette page. Cela est bien dommage. Vous ramenez les éléments que j’expose à une dichotomie qui vous permet d’écarter facilement le questionnement des 3 messages que j’ai laissé. Vous noterez avec quelle mesure je m’avance sur le terrain des questions tant elles risquent d’entraîner les réponses toutes faites que vous venez de donner. Désolé d’avoir espérer un débat sur cette page. Dommage qu’il se referme ainsi.

            Bien à vous

        • K dit :

          C’est quoi ce délire?!
          Pensez spécialiste vs généraliste plutôt non?. C’est à dire si vous adressez votre patient pour un avis hyper-spécialisé, il n’y va pas pour papoter mais pour avoir des réponses précises!!
          C’est admirable d’avoir une approche très humaniste, mais il ne faut pas oublier de faire son métier aussi, juste pour faire plaisir au patient!
          PS: je ne bosse pas au CHU

  2. Docteur_V dit :

    Eh bien moi, j’adore cette note. Elle me servira à éclairer la définition de l’EBM que j’essaye de transmettre aux étudiants pour lesquels EBM = études.
    Merci Perruche

  3. chantal dit :

    Super! Comme souvent .

    Je suis de l’autre « coté », celui du soigné et franchement la tendance à la médecine « EBM » me font froid au dos. Même si je comprend leur départ de raisonnement, vite se trouve le hic sur ce qui est une sérieuse et à 100% une médecine qui s’appuie sur des études exactes? Je crains qu’il y en a que très peu. En plus, ce que cette « théorie médicale » oublie est que chaque organisme réagit autrement aussi bien devant la maladie que devant l’évolution et le traitement éventuel. Donc, il n’y a pas une médecine mais des médecines où un médecin tente de trouver le meilleur remède pour telle personnes, sous telle condition.

    Quand, je vois un peu les tendances médicaux qui tentent de s’imposer (du moins en Allemagne), cela me fait peur car dans tout cela on oublie le coté humain aussi bien du soigné que du soignant, de leur attente du premier que de la connaissance /le savoir/ l’art du second.

    Ainsi, en tant que simple potentiel patient, je suis plus pour les 4 phrases.

    Bonne soirée

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