« Docteur, je veux pas rouiller de l’intérieur »

Certains concepts sont tellement beaux qu’ils réussissent leur pénétration dans les esprits au delà du raisonnable. Celui des antioxydants est un bel exemple. L’idée que nous rouillons de l’intérieur si nous accumulons des oxydants (espèces réactives de l’oxygène ou reactive oxygen species (ROS)) explique, par la force de la métaphore, le succès du paradigme d’un stress oxydant délétère poussant nos contemporains à la prise totalement irraisonnée des produits magiques appelés anti-oxydants.

rouilleAu laboratoire, nous avons dans certaines de nos expériences de très beaux effets biologiques avec la N-acétyl-cystéine (NAC) qui corrige les effets, sur les cellules endothéliales, des toxines urémiques qui nous passionnent. Deux de mes camarades de jeu meurent d’essayer la NAC dans la prévention des complications cardio-vasculaires au cours de l’insuffisance rénale chronique. Un article soutient fortement leur désir. Malheureusement depuis sa parution, aucun travail clinique n’a soutenu cette approche thérapeutique. Je suis très tiède pour l’usage des antioxydants en clinique. Ceci tient au fait que je crois à l’utilité du stress oxydant. Ayant débuté ma carrière scientifique dans un domaine où la révolution paradigmique est l’arrivée d’un organelle dit vestigial, le cil primaire, j’ai tendance à penser, probablement de façon naïve, que si l’évolution a choisi de maintenir des systèmes fonctionnels, ils ont une utilité. Ce n’est pas parce-qu’ils dépassent notre compréhension qu’ils sont inutiles. De plus, aucun essai chez l’homme n’a montré un bénéfice de ces approches en terme de prévention cardio-vasculaire ou de cancers. A l’inverse, depuis cet article de 2004, les preuves s’accumulent contre leur utilité, 2007, en 2013 et re2013, enfin en 2014. Comment expliquer que le beau rationnel (la rouille c’est pas bon) de l’utilisation des antioxydants soit battu en brèche par les essais randomisés en double aveugle multicentrique?

Trois éditoriaux récents apportent des explications. Je vous en conseille la lecture. Le premier est publié dans le NEJM, les auteurs expliquent comment les ROS bien qu’étant des activateurs de la cancérogenèse sont aussi une ligne de défense contre la progression du cancer. Si les ROS ont des actions tumorogéniques (lésions de l’ADN), ils ont aussi un rôle dans la lutte contre les cellules tumorales. La distance entre lieu de production des ROS et effets est critique. Les ROS intracellulaires sont néfastes, les ROS jouant à distance sont bénéfiques. Quelques arguments expérimentaux montrent que l’apport alimentaire d’antioxydants joue sur les effets à distance, dommage.

NEJM ROSIls proposent de nouvelles approches de modulation du stress oxydant en particulier au niveau de la mitochondrie qui pourrait avoir un bénéfice pour le patient. Maintenir les effets à distance et limiter la production mitochondriale, tel est l’objectif. Il y a maintenant un rationnel clinique et expérimental pour éviter les antioxydants d’origine alimentaire en cancérologie.

Les deux autres sont publiés dans Nature medicine. Le  premier démonte le sophisme, les antioxydants sont nombreux dans les fruits et légumes, manger des fruits et légumes améliorent notre santé, donc les antioxydants sont bons pour la santé. Il est probable que d’autres composés phytoalimentaires exercent l’effet bénéfique des végétaux (agonistes d’AHR?). L’auteur introduit le concept d’Hormesis ou mitohormesis. Si vous voulez tous savoir, il faut lire cette excellente revue sur le sujet.

hormesisBrièvement, l’idée est que les ROS ont un effet à concentration « physiologique » positif, après un certain temps ou une certaine concentration apparait un effet délétère. La réponse n’est pas linéaire mais en J (voir la dans la figure le panel b). Quand on fait du sport, ce qui est bon pour la santé, on augmente la production d’oxydants, je rouille. De façon amusante, les antioxydants bloquent ces effets positifs sur nos capacités d’entrainements. Il est très amusant de voir des régimes vantant le jeun, qui augmente, lui aussi, le stress oxydant, expliquant que pour éviter les carences il faut prendre des d’antioxydants sous forme de compléments alimentaires. C’est un peu comme si on appuyait à fond sur la pédale d’accélérateur et de frein. Voilà ce qu’apporte la démarche scientifique, démonter les explications simplistes.

Le deuxième article fait un très joli point sur la balance entre bons et mauvais ROS.

the good and bad of ros

Le stress oxydant peut être bénéfique, mais il peut aussi être délétère. Tout est dans une question d’équilibre. Il est probable qu’en utilisant des antioxydants très larges on gomme les éventuels effets bénéfiques de l’action sur les méchants ROS en éliminant aussi les gentils. La prise d’antioxydants a des implications beaucoup plus complexes que ce que le simplisme de trouver un antirouille.

Ces trois articles illustrent magnifiquement l’importance d’évaluer toutes les pratiques cliniques même celle reposant sur un fort rationnel expérimental. Comme je l’ai déjà dit nous ne sommes pas des avions, nous ne savons pas tout sur le corps humain et sa biologie. Nous aimerions avoir des réponses simples à des questions complexes, malheureusement l’expérience montre que ça ne marche pas. Nous désirons une cure de Jouvence qui marche sur tout de façon miraculeuse, malheureusement ça n’existe pas. Alors il faut encore et encore revenir à la paillasse pour comprendre comment ça marche. On appelle ça la recherche, un métier passionnant et frustrant. Et un beau résultat biologique doit toujours être confirmé en clinique par des essais thérapeutiques de bonne facture méthodologique.

Revenons à l’idée des antioxydants dans l’insuffisance rénale. Elle est peut être excellente car il existe une production excessive de ROS en permanence, les marqueurs de stress oxydant sont très souvent élevés dans la population des patients avec une IRC. Nous pouvons penser que le mauvais prend systématiquement le pas sur le bon, il y aurait rupture de l’équilibre.  L’utilisation d’antioxydants pourrait faire redescendre la production des ROS à un niveau plus physiologique et ainsi avoir un effet bénéfique. L’hypothèse est séduisante, ce n’est qu’une hypothèse à confirmer ou infirmer.

En attendant, il n’y a aucune raison de prendre des soupes d’antioxydants pour ralentir ou prévenir les effets du vieillissement, surtout si vous êtes en bonne santé et désirez le rester. Si vous avez envie de dépenser votre argent, mieux vaut soutenir la recherche.

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7 réponses à « Docteur, je veux pas rouiller de l’intérieur »

  1. nfkb (@nfkb) dit :

    J’adore, tu fais beaucoup mieux le travail de synthèse que moi 🙂

    2 cents :
    – ne pas oublier que la NAC peut influencer la voie des pentoses phosphates, y’a des trucs à creuser de ce côté là

    – quant au rôle des ROS dans le cancer c’est vraiment pas simple parce qu’au niveau cellulaire, une bouffée de ROS peut aussi être un signal d’apoptose. Pour qu’une cellule devienne cancéreuse je crois qu’il faut une accumulation de traumatismes

    – les régimes revendiquant le jeune sont protéiformes. On peut quand même dire que si l’on mange globalement moins (la fameuse restriction calorique) on va moins oxyder de nourriture et on va nécessairement produire moins de ROS au niveau mitochondrial. De plus les variations de ratio ATP/ADP intracellulaire vont participer à mettre en place des mécanismes de sauvegarde énergétique, un peu comme si la cellule se mettait en mode survie. Après ceux qui vantent ces régimes essayent de gagner du pognon, il faut donc qu’ils vendent quelque chose : des vitamines. #CQFD

    – quand on fait du sport, il se passe plein de choses passionnantes. Il est probable que les bursts de ROS sont bénéfiques car ils activent des protections qui seront d’autant plus efficace que le burst sera vite passé et que la production de ROS « usuelle » serait ainsi mieux tamponnée + l’idée qu’on augmente notre nombre de mitochondries qui vont tourner à moins haut régime et produire moins de ROS (cf mon dernier billet sur les oiseaux)

    – par contre je n’ai pas compris ce que tu voulais dire avec « De façon amusante, les antioxydants bloquent ces effets positifs sur la survie. » après la phrase sur le sport. Coquille ? j’imagine que tu voulais citer les travaux de Ristow qui montre qu’on bloque les effets bénéfiques (sur la performance) de l’entrainement en donnant des antioxydants.

    – quant au rôle des ROS dans le cancer c’est vraiment pas simple parce qu’au niveau cellulaire, une bouffée de ROS peut aussi être un signal d’apoptose. Pour qu’une cellule devienne cancéreuse je crois qu’il faut une accumulation de traumatismes

    Concernant le stress oxydant, je trouve intéressante l’idée de l’édito de nature d’essayer d’améliorer nos mécanismes de réparation plutôt que de diminuer la production de ROS.

    • PUautomne dit :

      Le jeun augmente la production de ROS par la mitochondrie (cf la figure), et chez le vers l’inhibition de leur production a un impact sur la survie. Pour la phrase après le sport je voulais parler du jeun. Pour la NAC, on peut imaginer plein de trucs comme aussi la modification des SH des protéines. Tout ceci reste hypothétique.

      • nfkb (@nfkb) dit :

        mea culpa je me suis trompé sur le jeune et la production de ROS, cette référence m’a rappelé à l’ordre http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17908557 j’en étais resté aux théories des années 20 😉 faut avouer que ça n’est pas super intuitif, faut que j’aille creuser ça (en tout docteur V serait content, en me trompant, j’apprend 😉 )

        en tout cas pour la NAC, ça rappelle bien c’est une substance ***active***. J’avoue que ça m’agace un peu quand j’en vois prescrite pour des raisons obscures « parce que ça ne peut pas faire de mal ».

        PS je viens de commencer la lecture de « réparer les vivants : quel style ! »

  2. Tubule dit :

    Bonjour,

    Merci pour cette excellente synthèse (comme toujours) ! Vaste et difficile sujet, souvent simplifié jusqu’à la caricature par la presse généraliste. Nous avons globalement l’impression que ces soit-disant traitements anti-oxydants « miracles » sont totalement inutiles. Dans un autre registre, cela me fait penser au magnésium qui a aussi été prôné pour tout et n’importe quoi ces dernières années. Une idée pour une future note !

    J’espère que vos multiples activités vous laisseront toujours le temps d’écrire sur votre blog, en particuliers vos revues de littérature hebdomadaires. Une véritable référence !

    Cordialement.

  3. Eliott dit :

    Merci pour cet article passionnant!

    Je suppose que ces influences différentes des ROS dépendent en partie de leurs réactivités. Le radical hydroxyle HO’ étant bien plus réactif, et réagissant dont beaucoup plus vite ou après avoir parcouru une distance beaucoup plus faible que H2O2 par exemple.
    Mais il me semble que HO’ est justement capable d’endommager fortement la cellule (notamment l’ADN) s’il est produit à proximité. De là à rendre la cellule cancéreuse il y a sûrement du chemin…
    Connaissez vous un travail récent étudiant l’action des anti-oxydants sur ces différentes ROS? (je vais regarder les différentes revues citées)
    et les « anti-oxydants » doivent d’ailleurs rassembler de nombreuses molécules ayant des activités/réactivités variées?

    Eliott

  4. paleophil dit :

    Passionnant. Belle leçon d’humilité pour le non médecin que je suis qui se passionne pour ces sujets, et qui a tendance à se laisser porter par la nouvelle idée à la mode. Ca fait un moment que j’ai arrêté d’acheter des baies de Goji et autres jus de grenade et mis à la poubelle les multivitamines de Mark Sisson… mais je pratique le jeune intermittent depuis plusieurs mois et cours plus que de raison sans doute. Personne n’est parfait 🙂

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