« Si tu travailles pas bien, tu seras médecin du travail à Limoges »

Je viens de lire un tweet:

Quand je faisais des conférences d’internat, j’ai du dire des conneries de ce niveau. A posteriori, je m’en mords les doigts et j’aurai mieux fait de réfléchir un peu. Il fallait motiver les troupes mais que cet argument est ridicule et vexant.

Limoges contrairement à ce que semble croire le conférencier, que j’imagine bien dans une grande fac parisienne, est loin d’être un désert médical comme il semble le penser. Quand on regarde la carte interactive de la démographie médicale, de nombreux départements autour de Paris sont largement moins bien dotés que la Haute-Vienne. Je trouve très énervant de faire croire aux étudiants que rien ne se passe en dehors de quelques grandes métropoles et surtout de notre belle capitale. Des gens habitent à l’extérieur du périphérique aussi incroyable que ceci puisse paraitre, il y a même internet, des IRM, voir des unités de recherche qui font de la qualité. Penser que le sommet de la médecine se fait dans un grand CHU est une connerie. Il est possible de faire de la belle médecine sans un emballage techno-scientifique de folie, juste en examinant les patients et en les interrogeant. Je crois que l’exemple d’hier est assez parlant.

Voici pour la ville, passons à la spécialité. La médecine du travail, il aurait pu dire la psychiatrie, je pense qu’elle ne doit pas être bien plus haut dans sa classification des animaux médicaux. Il faut des médecins du travail. Ce métier est important, il rend de grands services aux employés de nombreuses entreprises. C’est un médecin qui peut faire de la très belle recherche. C’est un médecin essentiel, ce n’est pas un prescripteur mais il peut être dépisteur, diagnostiqueur, orienteur, aménageur. Dénigrer cette spécialité est une erreur fondamentale. Elle est capitale pour nos patients, nous qui nous plaçons si haut dans l’arbre de l’évolution médicale, quand il faut renvoyer un patient avec une pathologie lourde, il est agréable d’avoir un interlocuteur intéressé, consciencieux, connaissant le poste du patient-travailleur et les risques potentiels. J’ai eu quelques très bons contacts pour des aménagements de poste pour des patients jeunes transplantés, ce fut un plaisir de travailler avec ces médecins du travail, tout au bénéfice des greffés qui ont pu garder le boulot qui les passionne.

Faire médecine du travail n’est pas une punition, comme être médecin généraliste. Nous avons besoin de toutes les forces motivées et compétentes pour faire tourner l’énorme machine qu’est devenue la santé. Nous hospitalo-universitaires avons tendance à nous placer au sommet de l’échelle, si c’est vrai nous devrions avoir conscience de l’importance du maillage de qualité dans tous les aspects de la santé. Quand nous dénigrons certains pans entiers de la médecine, nous ne nous grandissons pas, nous nous ridiculisons. Dieu sait que j’aime faire des diagnostics de maladies rares et je suis convaincu de leurs importances, mais je suis aussi convaincu qu’avoir un médecin du travail motivé, car reconnu par ses pairs et la société, bien payé, est plus important pour mon patient et son insertion dans la société que mon fabuleux diagnostic qui ne va pas changer grand chose à la prise en charge.

Cette menace jupitérienne ne devrait plus être proférée par des professionnels qui ont comme soucis la santé publique, car nous avons besoin de toutes les forces médicales au service de nos patients dans toutes leurs dimensions.

J’aimerai finir cette note par dire à tous les étudiants qui préparent l’ECN et qui pensent que si ils ne font pas la spécialité qu’ils désiraient, le monde va s’écrouler et qu’ils seront malheureux toute leur vie, vous vous trompez. Parfois être mal classé est une chance. La chance de faire une spécialité qu’on ne connaissait pas ou méconnaissait car personne ne nous l’a fait découvrir. Je suis convaincu, que toute activité devient passionnante si on se plonge dedans, si on cherche à comprendre, à avancer. Vous ne raterez pas l’ECN. Vous aurez à choisir ou parfois vous ne choisirez pas un futur métier, peut être pas celui qui vous imaginiez, mais il vous rendra heureux si vous le voulez.

Une personne qui m’est très chère voulait être anesthésiste ou gynécologue, son classement à ce qui était l’internat et une grossesse l’on contraint dans le choix de sa ville et de sa spécialité, psychiatrie. Ce fut une chance, ma femme ne se verrait pas être autre chose que psychiatre, ce ne fut pas un choix. Les rencontres, la découverte de la psyché humaine, les lectures ont transformé cette contrainte en une passion. Pour cela, apprenez, travaillez, donnez le meilleur de vous même dans l’apprentissage de ce fabuleux métier qu’est médecin. Si vous ne faites pas ce que vous désiriez, prenez le avec philosophie, surmontez votre déception, c’est peut être une chance unique de découvrir un exercice qui vous comblera.

Note écrite en écoutant par Tom Harrell, un bel exemple qu’on peut toujours surmonter ce que certains prennent pour des limites.

 

Sinon je vous conseille ce fabuleux GIF animé, vraiment brillant.

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13 réponses à « Si tu travailles pas bien, tu seras médecin du travail à Limoges »

  1. doume dit :

    C’est bien de prendre les choses de la vie avec philosophie, mais il est quand même navrant qu’en médecine, comme dans tout le système éducatif français, l’orientation se fasse par l’échec !

    Il y a 30 ans, il y avait la voie de l’internat et aussi la voie du CES pour de nombreuses spécialités (évidemment les universitaires méprisaient un peu les CES, côté attitude on n’a rien inventé).
    On pouvait même choisir se spécialiser tardivement, après la fin de ses études.

  2. Aedes dit :

    C’est un post plein de bons sentiments. Malheureusement les bons sentiments dans le monde actuel sont marginaux.
    J’ai raté l’internat en 2006. Pourtant, j’avais d’excellentes notes lors de mes examens tout au long de mes études. J’étais, je le pense, je l’espère, un externe intéressé, même passionné par toutes ces belles choses à faire, à apprendre, à partager avec les patients. Je crois même, vu mes notes de stages, que j’étais apprécié de ma « hiérarchie ». D’ailleurs, j’avais adoré mes stages en cardiologie et néphrologie. Ces 2 disciplines ont profondément marqué ma vie de médecin par la suite. Et je ne dis pas ça car vous êtes PU de néphrologie 😉 Passons.
    La chute fut rude. Je n’ai pas pu à l’époque redoubler ma D4. J’étais épuisé par les conf’, rincés par les vexations à répétitions (mon conférencier de dermato me prédisait un brillant avenir à Vesoul, lui), et surtout dans l’incapacité financière de tenir un an de plus sans gagner ma vie.

  3. Aedes dit :


    Bref, « puni », j’ai pris médecine générale. L’internat comme IMG parisien fut un enfer, notamment pendant le premier stage dans un service de cardiologie de périphérie. J’étais perçu comme le tocard par mes co internes de spécialité, je n’avais pas le droit d’entrer en USIC pour apprendre un peu de cardiologie aigue (pas les compétences d’après les séniors ; ce qui est assez cocasse vu que quelques temps après j’ai passé 6 mois dans un camion de SMUR et fait quelques gardes à SOS médecin de nuit). En terme de désillusions, de sentiment de nullité, de peur sur mon avenir de MG, ça se posait là. Je ne voyais pas à quoi je pouvais bien être utile dans ma future carrière. Tout ça pour dire que le mal est fait à la base – la médecine de ville est perçue tôt par les étudiants comme une punition. Seul l’avis universitaire compte sur les prises en charge des patients, même si ces derniers s’en défendent parfois. (Expériences vécues pendant mes 5 ans de remplacement, dont 2 en zone rurale déserte) …

  4. Aedes dit :

    … (suite et fin)
    Un PU de chirurgie m’a demandé un jour au cours d’une visite ce que je comptais faire plus tard. A l’époque, ne sachant pas trop ou j’en étais, j’avais répondu médecin de famille. Il m’avait répondu :  » Et sinon en médecine, vous comptez faire quoi ? »
    Difficile, dans ce contexte, de ne pas se dire pendant longtemps qu’on a raté quelque chose dans sa vie.

    • PUautomne dit :

      Le sens de ma note est de lutter contre ça. On peut toujours pleurnicher sur les pseudo déserts médicaux français si on ne soutient pas tôt et pendant longtemps les personnes qui s’engagent dans la difficile et indispensable pratique de la médecine générale, nous ne nous en sortirons pas. merci pour vos commentaires.

  5. dom dit :

    et merci pour ce que vous avez écrit sur l’exercice de la médecine du travail;c’est très juste et ça fait du bien.
    Hélas nous sommes souvent mal reconnus y compris par nos pairs, et en voie de disparition , certains y travaillent .
    Un vieux médecin du travail .

  6. Aedes dit :

    J’aurais aimé rencontré un patron qui pense comme vous il y a quelques années.
    Moi j’ai arrêté la médecine générale. J’ai dévissé ma plaque au bout d’un an, et je suis entrain de récupérer une voie hospitalière par l’intermédiaire de quelques DIU. Tout ça grâce à une rencontre professionnelle. Et je me suis remis à aimer mon métier.

    Après, j’ai un ami proche qui n’était pas dans la même fac que moi à l’origine et qui a plus de recul sur les choses. Il est épanoui dans son exercice de MG.

    Comme quoi vous avez raison, il faut rester optimiste et ouvert, tout peut arriver. Il y a moyen d’être heureux sans autant suivre la voie dite royale.

  7. Merci pour cette note ! Médecin rural, j’ai encore vécu hier ce type de comportement de la part d’un praticien hospitalier pétris de certitude et de condescendance bien au chaud au fond de son service ! Il faudra encore faire avec ce type de comportement pendant de nombreuses années … Infirmières libérales, médecin du travail, médecin généraliste on est logé à la même enseigne et effectivement il faudrait se poser la question de savoir si ce type de comportement n’a pas une influence sur la désertification de nos campagnes (j’exerce dans l’Aisne , en Picardie) !
    De toute façon, les cons je ne leur parle plus, ça les instruit !
    Votre message est cependant plein d’espoir et nombre de mes correspondants ont pour moi le même respect que j’ai à leur égard.
    un hommage au passage à nos consoeurs et confrères médecins du travail qui font un super boulot dans des conditions de plus en difficiles.

  8. Vag dit :

    Cette note me rappelle beaucoup de souvenirs… En premier lieu, celui d’un album des bidochons (Assujettis sociaux), datant des années 80, où l’on voit un grand patron dire à l’un des externes « avec des diagnostics de ce genre, vous finirez à la médecine du travail »…
    En deuxième lieu ma thèse, où cette vignette tenait lieu de page de de garde…
    Et enfin ma mère, médecin du travail (et propriétaire de l’album des bidochons en question), qui avait choisi médecine du travail (pour des raisons complexes n’ayant rien à voir ni avec la spécialité en elle même, ni avec son classement à l’internat). Je me rappelle, quelques mois/années avant mon bac, elle me racontait ses consultations, ses patients, les enjeux et difficulté de son exercice… je pense que c’est ce qui m’a réellement orienté vers la médecine et a décidé, quelques mois plus tard de mon inscription en P1.

    Les mentalités ne changent pas, c’est triste… Je n’ai jamais eu à subir ou entendu de remarques dans ce genre, je pense que si un conférencier m’avait sorti ça, il aurait pris un retour un peu cinglant de ma part…

  9. citizactz dit :

    Merci pour cette note juste et qui met en valeur les médecins du travail, avec qui en médecine générale les rapports sont fréquents et riches.
    Interne de médecine générale en fin de cursus, ce n’était pas mon premier choix, mais avec le recul je bénis mon classement moyen aux ECN. La découverte de la médecine de ville est un bonheur quotidien.

  10. ninia dit :

    et j’ajouterai…qu’on peut être conférencier, instruit mais parler français comme un cochon !
    On lui expliquera que la négation (NE …pas) s’apprend en primaire ? .
    j’ai eu la chance de travailler avec des médecins du travail : avec eux, s’est installé une relation de confiance que je n’ai jamais trouvé en hospitalier

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