Le temps qui passe, passe, passe…

Aujourd’hui, journée les étudiants sont de plus en plus jeunes ou moi de plus en plus vieux. Ce matin, je suis allé avec ma femme présenter le métier de médecin  à une classe de quatrième. Rigolo, il y en a un qui veut être orthopédiste. J’ai parle du soin, le coeur de ce métier formidable et passionnant mais difficile et exigeant. Du blabla, mais j’ai réalisé que j’y croyais. Je ne sais pas ce que notre intervention leur a apporté, un peu jeune en quatrième. Moi j’ai bien aimé.
Cet après-midi surveillance du PACES, pour ceux qui ne le savent pas c’est ce qui remplace le bon vieux P1. Ils sont jeunes ces étudiants. Ils sont nés l’année de ma découverte de la néphrologie et du service où je travaille encore.

J’étais en cinquième année.

C’est effrayant de surveiller la premier année. Si proche et déjà si lointain, j’ai plus vécu en médecine qu’avant le P1. Quand je réalise, j’ai envie de reprendre des études et faire autres choses pour ne pas vieillir comme un croûton en faisant toujours le même boulot. Heureusement, la médecine est suffisamment diverse. Je fais un métier très différent de celui que j’avais imaginé quand j’étais en quatrième.

Je suis allé user les banc de la faculté de médecine pour que ma mère ne me coupe pas les vivres. Je voulais jouer au rugby. J’ai découvert un monde fascinant, bien plus fascinant que celui d’un rectangle vert où trente mecs se disputent un ballon au rebond capricieux. J’ai découvert le monde de la connaissance. J’ai découvert le travail intellectuel. J’ai découvert le milieu intérieur, l’anatomie, la biologie cellulaire et j’ai adoré ça. Aimer P1, il faut vraiment être un peu fou. J’ai abandonné le XV et j’ai réussi P1.

Une revanche sur mes années de lycée, j’avais eu droit à cette très jolie mention sur mon dossier scolaire: « Ne devrait même pas envisager de se présenter aux épreuves du baccalauréat ». Je crois que cette phrase a été une des plus grandes motivations de ma vie. Le seul qui avait comprit ma nature, avant moi, était une vieille gloire du treize qui nous entrainait de temps en temps. Malgré ma sélection en équipe de France scolaire, il avait dit « toi tu arrêteras vite le ruby, tu es un intellectuel ». Il manque l’accent du sud-ouest. Je n’y croyais pas, comme quoi les vieux maquignons ont l’œil.

Après l’appétit vient en mangeant, j’avais vu mes parents être médecins, je voulais être chirurgien. J’ai plus le physique de l’orthopédiste de base que celui que certains se font du néphrologue. J’ai pas mal passé de temps au bloc, j’aimais  avoir les mains dans la bidoche. La chirurgie thoracique me plaisait, voir un poumon se regonfler après l’ablation de la tumeur, c’est beau.

Au détour du premier choix de D3, j’ai découvert la néphrologie et le service de celui qui aller devenir mon maître. Après un mois, je savais que je serai néphrologue. J’ai découvert une spécialité et une manière de pratiquer la médecine. Le patient au centre et le docteur qui tourne autour pour comprendre et trouver une solution, la meilleure ou à défaut la moins mauvaise. Soigner pour que l’homme ou la femme malade aille mieux. Pour soigner, un outil, la quête du diagnostic, une obsession, le sujet.

J’ai été attiré par une illusion, celle de la puissance face à la mort. La dialyse et la transplantation permettent de prolonger l’histoire des patients. J’ai été fasciné par cette relation s’étendant sur des années, voir des décennies par delà la perte d’un organe vital. Mon coté, médecin de famille refoulé. J’ai rencontré durant ce stage quelques patients, ils sont toujours là. Ils m’ont vu passer par tous les stades de la carrière hospitalière. C’est étrange de connaitre des patients depuis la cinquième année de médecine. J’ai un patient particulier en tête. Lors de sa première transplantation, j’étais l’externe de garde. J’avais fait son ECG. Je me suis occupé de lui. Je vois encore mon écriture dans son dossier. Dans le service l’externe prenait la tension artérielle le matin à ses patients. Ca peut paraitre lourd. Nous étions obligé de voir nos patients tous les matins et ils se créaient des liens, surtout quand le jeune transplanté à 17 ans. J’ai revu ce patient régulièrement au cours de mon internat puis de mon assistanat. Il a perdu son transplant et j’ai désespérément essayé de trouver une solution pour le retransplanter malgré une maladie rare apparue en cours de route. Je n’ai pas trouvé la solution malheureusement. Et il vit, il travaille, malgré les hospitalisations tous les trois à six mois pour des chocs septiques. J’ai une grande admiration pour lui et sa famille.

Rien que pour ces rencontres, ce métier est formidable. Ces gens atteints de maladies graves que nous aidons à mener la vie la plus normale possible, ils sont des héros et pourtant on en parle rarement. Nous préférons les aventures sans intérêt de quelques peoples ou les pseudo exploits d’hommes en shorts.  Notre société ne voit pas ses héros de la vie ordinaire, autrement plus admirables que nombre de personnes présentées comme modèles. Ceux sont eux qui malgré la douleur, les hospitalisations, la maladie, les maladies se battent et tous les jours escaladent leur Himalaya. Nous sommes là pour les aider, nous sommes le camp de base, rien d’autre, ils sont les héros du quotidien.

La dernière raison qui m’a fait choisir cette spécialité est son aura mystérieuse. La nephro était et reste une des spécialités les plus incomprises des étudiants. Mal aimée car ne faisant pas appel uniquement à la force brute de la mémoire des étudiants. La paralysie neuronale qu’entraine une créatininémie élevée ou une natrémie basse m’amuse. Être celui qui sait, ou qui croit savoir, m’amuse encore plus. Forcement j’ai trouvé ça génial. En plus, ce patron qui faisait peur a tout le monde m’a fasciné et je le reconnais bien volontiers me fascine toujours.

Comprendre le milieu intérieur de façon intime, derrière les chiffres du iono sang et urinaire voir le patient dans sa totalité. Comprendre la régulation du milieu intérieur, la beauté de la fonction du rein, la complexité du patient néphrologique, je ne pouvais qu’adorer cette spécialité. Après tout ce temps, j’aime toujours autant comprendre la cause d’une hypokalièmie, faire le diagnostic d’une glomérulopathie. Je suis fasciné par ces patients toujours à la limite, qui vivent une relation particulière au monde aidés par la biotechnologie. L’histoire continue, encore un pont plus loin et nous sommes là pour mettre un peu d’huile dans les rouages.

Ils sont jeunes les étudiants cette année, ils seront encore plus jeunes l’année prochaine, l’année de l’internat… J’espère qu’au moins un aimera la néphrologie.

[audio: https://perruchenautomne.eu/musique/11%20Les%20Feuilles%20Mortes%20%5bEnrigtrement%20Public%5d.mp3]
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11 réponses à Le temps qui passe, passe, passe…

  1. nfkb dit :

    J’aime beaucoup ce billet.

    En Médecine comme dans la vie, les chemins sont nombreux, toujours différents, forcément. Néanmoins j’imagine assez bien que nous sommes de nombreux soignants à faire écho avec des éléments de ce post. C’est une vraie petite madeleine ce texte finalement 🙂

  2. Nicolas Prince dit :

    Je passe mon temps à dire c’est vrai sur ce blog ! Mais nfkb a raison, malgré les chemins très différents qui nous ont amené à ce métier il est souvent émouvant, en tout cas en ce qui me concerne, de trouver chez les autres des échos de ce que nous avons vécu. Et de ce que nous vivons encore.
    Je suis très reconnaissant aux médecins blogueurs d’avoir ce talent, et ce courage.

  3. chantal dit :

    Une très belle note de votre part. Merci.

    Bonne journée

  4. shakespire dit :

    Et parce que le temps qui s’écoule, aussi hémophile soit-il, n’est jamais vain, merci à la patience de nos patients de supporter nos doutes sempiternels, quant à la finalité de nos circonlocutions …
    Être jeune, et vieillir : vaste programme, et, cruel destin de pauvres mortels que nous sommes ! … Se remettre en question chaque jour, ne pas tomber dans la routine morne et dépenaillante, dure tâche, mais ô combien nécessaire !
    Merci de cette note, pour nous avoir regonflé le moral, l’arbre de nos vies, aux frémissements des vents délicats de nos parcours dans ce dédale infernal …

  5. K dit :

    Très belle note, bravo

  6. Nina dit :

    C’est beau d’entendre des choses comme ça…
    Je suis en cinquième année de médecine et on voit trop de médecins qui ne regardent pas le patient, qui parlent de lui à la troisième personne tout en étant juste au dessus du lit, bravo.
    Quant à la néphrologie, je pense que c’est la matière que je comprends le moins mais grace à votre blog, je l’envisage un peu différemment. En étant étudiant, on ne sait pas toujours que la néphrologie va au dela des iono et protéinurie 🙂
    Continuez à faire des articles comme ça, ils redonnent de la motivation et un peu de confiance envers les médecins.

    Merci !

    • PUautomne dit :

      Merci et oui la néphrologie c’est avant tout des histoires.
      L’histoire de la maladie est la base du diagnostic en médecine et en néphrologie encore plus.
      Le reste ne sert qu’à confirmer l’idée diagnostique construite à partir de l’histoire.
      Importance de l’interrogatoire, on ne le répétera jamais assez.

  7. John Snow dit :

    C’est marrant, hier je me suis fait le même genre de réflexions après avoir expliqué à l’interne de dermato de 1e année l’intérêt d’une radio pulmonaire de contrôle de cathéter central…

    Combien de fois l’ai-je fait? Combien de fois le referai-je? Y mettrai-je toujours la même passion?

    Et mon interne d’anesthésie m’annonce au détour d’une conversation anodine qu’il m’avait croisé lors de son externat de chirurgie, il y a quelques années. Et qu’il avait apprécié le fait que je l’attrape comme ça, entre deux portes, pour lui montrer trois broutilles d’anesthésiste. Broutilles certes, il s’en rend compte aujourd’hui mais à l’époque, il avait trouvé ça magique… Et de me dire que s’il est anesthésiste aujourd’hui, c’est un peu grâce à moi…

    Je me demande cette époque de l’année n’est pas propice à la mise en abîme. C’est l’époque du bachotage du BAC, du quitte ou double du P1, du dernier sprint de l’internat, des nouveaux internes… Il y a un signe qui ne trompe pas, c’est l’époque de Cannes et de Rolland Garros. Tous les trucs qu’on rêve de voir une fois dans sa vie au lieu d’aller réviser. Je me dis chaque année que je n’ai toujours pas tenu ma promesse de jeunesse: Y aller. Juste pour se dire que merde, ça valait le coup.

    Belle note car elle est dans le ton. Elle me résonne à fond. Mais quitter le rugby pour la néphrologie, y’a maldonne…

    NB: 3e ligne ou à la charnière?

    • PUautomne dit :

      Le rugby a été pendant quelques années ma vie. Il m’a permis de comprendre pas mal de trucs et avoir confiance en moi. C’est un sport d’éducation, le chemin qu’il a pris de professionnalisation et de peoplisation me déplait profondément. Il perd son âme. Pas très grave mais dommage. L’esprit XIII a gagné.
      Que des postes d’intello (3e ligne ou charnière) moi je suis un bourrin un vrai, je n’aime pas toucher le ballon, je met la tête où certains ne mettent pas les mains (mon coté ortho). J’ai joué à tous les postes au paquet mais mon vrai poste était en première ligne pilier ou talonneur.

  8. Steph dit :

    Accompagnant des patients atteints de maladies chroniques, je trouve fondamentale car empreint d’humilité, l’idee de les aider à vivre juste le plus normalement possible. C’est mon écho perso à ce billet.

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