« Rêves de Gloire » de RC Wagner

J’avais raté ce formidable roman lors de sa sortie en 2011. Il s’agit du dernier d’une des figures historiques de la SF française. Cette uchronie, comme « le maitre du haut château » de P. Dick, est une réussite. La comparaison est volontaire. Je pense sincèrement que ce roman est au niveau du maitre américain. L’importance des substances psychodysleptiques dans le roman de Wagner et dans la vie de Dick ne sont probablement pas un hasard. Il y a un clin d’œil explicite au milieu du roman avec une mise en abime de l’exercice, troublante.

Le roman fait l’hypothèse que la fin de la guerre d’Algérie est suivie d’une partition avec la création d’enclaves (Bougie, Oran, Alger) restant à la France. Alger reste française puis devient indépendante pour devenir une Babel à la jonction entre Europe et Afrique. La description de ce nouveau monde est fait de façon lente et subtile nous tenant autant en haleine que l’intrigue centrale. Tous les mystères ne seront pas éclaircis et c’est tant mieux. Nous pouvons en plus rêver grâce à lui.

Le travail romanesque est une belle expérience qui mériterait que ce roman sorte du ghetto SF. Ce roman est une expérience d’écriture très réussie. Le mode narratif choisit est choral. Il est plus que choral au sens classique. Chaque voix parle avec un « Je », mais elles nous parlent toutes d’une époque différente, certaines parcourent tout le roman, d’autres ne font que des apparitions brèves, mais importantes. Le roman est choral dans les voix mais aussi dans les temporalités et encore plus fort dans les histoires. Chaque voix raconte parfois de façon discordante ou contradictoire. C’est un choix fort pour un genre qui est toujours en quête de cohérence de narrer avec des discordances en fonction des points de vue, des sentiments des héros, sans jamais conclure à une vérité. Le début de lecture est déroutant, mais rapidement on accroche.

La drogue, la gloire/LSD, est omniprésente dans le roman et dans l’expérience vautrienne. Cette idée de transformer la casbah algéroise en cœur d’une tentative alternative du monde est très originale. L’expérience aurait pu réussir, mais finira dans une autre drogue, l’héroïne. Elle n’est peut être pas si raté que ça ce désir d’un autre monde quand on lit la description de cet Alger anarcho-capitaliste socialisant.

20150823_154627La véritable héroïne du roman est la musique. Ce livre est une ode amoureuse au vinyl, à un monde où le CD n’a pas percé et la production reste gravée dans le plastique… L’histoire principale, si tant est qu’il y en ait une, est une quête (joli clin d’œil à la fantaisie et son obsession artefactuel). Quête d’un disque dont le titre est celui du roman par un groupe au nom détonant « les glorieux Fellaghas ».  Le héros, plutôt anti-héros, est un collectionneur fou qui nous fait découvrir la production de 50 ans de musique mondiale. Tout y est les groupes underground, les guitares heros, les rats de studio, les guerres de chapelles et la folie des collectionneurs. L’importance de la musique comme vecteur politique qui à défaut de changer le monde peut le modifier. Je vous le dis ce roman est subtil et vous ouvrira pas mal de pistes de réflexion.

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Les personnages sont complexes et riches. Vous en aimerez certains, vous en détesterez d’autres, aucun n’est manichéen. Ils sont tous très humains et malheureusement mortels.

Ce roman de près de 800 pages est une grande réussite. Je conseille fortement sa lecture sans attendre. Les amateurs d’uchronie se régaleront, ceux de musique mettront des sons sur les mots, ceux de SF pourront jouer à « je cherche les citations », les autres liront un grand roman et plus important prendront du plaisir dans ce texte véritable patchwork comme les robes des vautriennes ou le drapeau improbable de la commune algéroise.

On peut raconter l’histoire des pays à travers leur bande son, un bel exemple avec cette très belle série d’émissions sur Cuba dans continent musique. Une bande son bien différente de celle du roman, mais la musique est si réjouissante.

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2 réponses à « Rêves de Gloire » de RC Wagner

  1. Fourrure dit :

    C’est vraiment un bouquin que je n’ai pas apprécié. Je crois que j’ai abandonné vers la page 300, ne sachant toujours pas ce que je fichais là. Et ce n’est pas faute d’être amateur du genre, y compris de bouquins touffus et difficile d’abord. Je réessayerai peut-être un jour…

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