Les promesses de la médecine personnalisée

Je vous recommande le numéro de septembre de M/S.

Un article a particulièrement retenu mon attention. Il parle de médecine personnalisée (medsci2015318-9p797). Il fait une brève histoire du concept et de ses avatars, de son étrange dualité révolution/continuité, et de ses limites. Je conseille, une fois de plus, la lecture du « corps-marché » pour aller plus loin. Cet article montre comment la médecine personnalisée est plus une continuité réductionniste qu’une émergence holistique malgré les projets de Leroy Hood et ses 4P. Les promoteurs de la médecine personnalisée ont essentiellement pour but de faire des affaires, ce qui en soit n’est pas condamnable. Le modèle est de produire des tests diagnostics issus des -omics qui permettront de prédire un risque ou mieux pour l’industrie de prédire la réponse à une molécule dite de thérapie ciblée. De plus en plus pour autoriser la mise sur le marché d’un monoclonal qui coute une fortune les autorités de régulation demandent/vont demander un test compagnon pour évaluer la présence de la cible. Les exemples de l’article sont très judicieux.

L’idée que la médecine personnalisée tient compte de l’individu dans toute sa complexité est un leurre. La médecine personnalisée ne tient compte que de la complexité biologique et encore dans une approche où malgré les promesses les différentes couches ont du mal à se rencontrer. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire le boulot, au contraire, il est passionnant. Le besoin en physiologie de qualité dans les programmes de recherche sont un reflet que notre approche réductionniste moléculaire si elle est indispensable doit s’intégrer dans le fonctionnement d’un organe entier voir du corps entier lui même colonisé par des milliard de bestioles, le tout mis dans un environnement donné qui va entrainer des comportements individuels qui vont peut être totalement modifier l’actionnabilité des gènes étudiés. Certains gènes « maléfiques » perdent leur malignité dans un environnement donné. Inversement d’autres dit « bénéfiques » pourraient dans une situation d’exposition particulière devenir nos pires ennemis.

Imaginons, un gène qui code pour une protéine servant à la détoxification des xénobiotiques. Il empêche par exemple un des molécules du cacao d’être un poison fatal, nous permettant de manger du chocolat tranquillement. Le polymorphisme qui entraine une augmentation de son activité est vu comme bénéfique. Nous pouvons manger encore plus de chocolat sans risque. Parmi toutes les molécules métabolisées par notre protéine, une est transformée un un puissant génotoxique, favorisant l’apparition de cancer. Le polymorphisme qui est bénéfique devient un danger si nous rencontrons la molécule prégénotoxique. Si en raison du réchauffement climatique, cette molécule rare devient fréquente dans l’environnement tous les jolis modèles reposant uniquement sur les -omics du patient en oubliant l’interaction avec l’extérieur deviennent obsolètes.

Notre vision d’un corps biologique coupé du monde serait amusante si elle n’était pas prise au sérieux par les financeurs et les décideurs. J’aimerai tellement que l’enseignement de la néphrologie permettent de comprendre que nous sommes des systèmes ouverts en permanence soumis à des stress. L’eau est indispensable à la vie, elle peut aussi être un poison.

Comme la vie est bien faite, j’ai découvert ce matin dans ma boite au lettre le concept d’évaluation d’impact sur la santé. Je vous conseille cette saine lecture. Elle nous rappelle que notre environnement et nos habitudes ont un impact sur notre santé. La figure de l’article sur les déterminants de santé est particulièrement parlante et illustre la vanité phénoménale de la médecine personnalisée ne voulant se concentrer que sur la biologie de l’individu.

déterminants de santéQuand on essaye de mesurer la part relative de chaque déterminant sur la mortalité, la biologie représente au mieux 28% des facteurs influençant la santé, le système de soins péniblement 17%, alors que l’environnement et les habitudes de vie représentent respectivement 21% et 34%  (p42 de ça 100806_GRES_Schlussbericht+Gesundheitsdeterminanten).

La médecine personnalisé veut déplacer les ressources alloués au système de soin vers l’évaluation biologique (exemple de 23andMe) mais certainement pas jouer sur les éléments sociaux de notre santé. Il est dommage que la médecine ne veuille pas plus partager avec les SHS. Pris dans une vision égoïste du monde, nous préférons dépenser des fortunes pour des promesses faites à l’individu plutôt que de jouer sur des comportements réellement actionnables comme l’éducation sanitaire, la promotion d’une alimentation saine ou la lutte contre les inégalités économiques, voir le réchauffement climatique. L’action collective aurait soit disant perdu toute crédibilité avec la chute du mur de Berlin.

La vraie démocratie sanitaire, pas la pseudo, celle qui veut faire croire que tout le monde peut être médecin et qu’entre soignant et soigné, il y une égalité stricte de connaissance, la vraie démocratie sanitaire serait d’amener sur la place publique ces questions importantes, pour que les citoyens puissent faire des choix éclairés. Mieux soigner serait, plutôt que d’autoriser une Xème statine ou un monoclonal au profil de sécurité improbable, de déplacer quelques % des ressources alloués aux systèmes de santé et à la biologie prédictive vers la modification de certains comportements ou l’amélioration de l’environnement.

C’est la rentrée, on a le droit de faire des vœux pieux…

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11 réponses à Les promesses de la médecine personnalisée

  1. Nicolas dit :

    Auriez vous une version PDF de l’article de Medecine Sciences?
    Je me sens très coupable à la lecture de votre message, mais je suis convaincu que vous avez raison.

    • PUautomne dit :

      IL est dans le troisième lien du texte.
      Je ne crois pas qu’il faut avoir de la culpabilité. Je donne dans le biomarqueur, j’essaye même de convaincre les gens que j’ai de super beau biomarqueurs qui permettent de prédire plein de choses. Je suis convaincu que ce que je mets au point est important et apportera quelque chose. Pour avoir un peu donné dans l’omic, j’y crois. Je suis sur que cette approche est importante, mais complémentaire du reste. Elle ne doit pas tout écraser. Il est parfois bon de se souvenir que nous sommes des systèmes complexes et encore plus complexes que la biologie de système ne l’imagine.

      • Nicolas dit :

        « approche importante mais complémentaire du reste ». Je suis complétement d’accord avec vous et je pense que la plupart des praticiens de la medecine personalisée ou de précision sont d’accord. En revanche, il me semble que les auteurs de l’article ne partagent pas votre bienveillance. Il me semble extrêmement méfiants, ignorent les avancées ou la réalité des promesses et se contentent de critiques parfois stériles. Ils semblent préférer que la médecine reste un art et soit le moins scientifique possible.
        J’avoue que la lecture de ce papier m’a passablement enervé. De meme que m’enervent les propagandistes enthousiastes et myopes du Big Data a tout prix.

        • PUautomne dit :

          Le papier est intéressant car il montre où il faut que nous améliorions la communication. L’ensemble du mouvement dit de médecine de précision ou personnalisée ressemble beaucoup aux promesses du programme séquençage du génome, un peu trop à mon gout ou des promesses de la thérapie génique. Si nous ne faisons pas à donner une information équilibrée, tenant compte de l’ensemble des problématiques en santé. Nous aurons de plus en plus de mal à avoir une adhésion et le risque d’un abandon des approches scientifiques pour des approches plus charlatanesques. Faisons de la science pas uniquement de la communication et je suis sur que nous aurons des résultats intéressants.

    • PUautomne dit :

      Qu’est ce qui doit m’intéresser dans la note?

      • Billaut dit :

        ce que vous voulez… j’y décris le système de santé qui va s’installer dans les 10 à 15 ans.. si cela ne vous intéresse pas… simple.. mettez à la poubelle…

        • PUautomne dit :

          Vous êtes effectivement trop fort pour moi, si vous êtes capable de décrire ce que sera le système de santé dans 10 ou 15 ans. Je pense qu’il est impossible de le savoir. Ce qui est en train de se mettre en place est passionnant. C’est passionnant car nous ne savons pas ce que ça va donner. Je suis convaincu que c’est la multiplication des points qui va changer la donne dans l’analyse des données de santé. Nous verrons des choses que nous n’imaginions pas. Je n’ai aucune idée si ce sera pour le meilleur ou pour le pire.
          La prospective est une exercice difficile. La fin du cancer, le traitement des maladies génétiques a été annoncé tant de fois, on nous a promis tant de choses qui n’ont rien donné ou pas grand choses que l’humilité me semble de rigueur. Si la création d’objets est importante l’appropriation de ces derniers et les usages sont encore plus importants.
          La médecine dite de précision ou le 4P est intéressant mais je ne crois pas qu’ils résoudront tous les problèmes. Les améliorations que nous avons vu dans l’espérance de vie ne sont pas le fait d’avancée pour l’individu mais souvent le fruit de pratique pour la collectivité, la vaccination par exemple. EN oubliant la dimension collective du soins on passe à coté de quelque chose, je crois du moins.

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