La dialyse portable

J’ai récemment fait une présentation sur la dialyse portable (en anglais Wearable artificial kidney). Le sujet m’intéresse depuis longtemps. Ce fut l’occasion pour moi de faire un point.

Diapositive1La dialyse portable est un rêve probablement aussi vieux que la dialyse chronique. Actuellement la réalité est qu’il existe une technique de dialyse portable (DP) mais nécessitant des échanges réguliers et un dos solide pour porter les poches d’échanges, c’est la dialyse péritonéale.

Diapositive2Il s’agit d’une boutade. Dans son important discours présidentiel, à l’ASN en 2014, le Dr Moe avait souligné le fait que depuis 30 ans aucune technique nouvelle n’était apparue dans le champs de l’épuration extra-rénale.

Diapositive3Elle n’a pas tort et malheureusement le champs de la dialyse portable n’a pas échappé à ce phénomène. Nous arrivons, avec les progrès technologiques, à l’aube, peut être d’une véritable évolution. Ce thème de recherche n’est pas très actif, malheureusement. 85 articles en 50 ans. C’est peu. Il y a deux pics, fin des années 70 et après 2007. Il faut remarquer que dans ces articles la majorité sont des articles de synthèse et non pas des articles originaux.

Diapositive4Le premier article que je souhaite cité est celui de Kolff. Le père de la dialyse s’est attaqué à la création d’une machine portable, il faudrait plutôt dire transportable car tirer une cuve avec 20  litres de dialysat n’est pas très confortable. Un éditorial récent par une équipe néerlandaise fait un point clair et pertinent des enjeux et limites actuels.

Diapositive5Si quelques patients ont dialysé avec la machine de Kolff, les deux seules vraies expériences cliniques rapportées d’utilisation sont, pour la première une expérience marseillaise publiée en 1986 dans un journal à impact factor faible (je remercie un des coauteurs pour m’avoir fourni l’article en PDF) et la deuxième par contre fut très bien publié dans le Lancet en 2007. A Marseille, dans les années 80, 7 patients furent traités avec ce dispositif, 8 le furent dans le papier du Lancet.

Diapositive6Le principe entre les deux approches est identique. A Marseille, il s’agissait d’une technique artérioveineuse en utilisant un shunt de Schribner, l’ultrafiltrat était « nettoyé » des déchets azotés, du phosphore et des toxines urémiques par une colonne comportant du charbon, une uréase, du zirconium. Une fois épuré, l’ultrafiltrat retournait au patient. Un des patients a utilisé ce système pendant 3 mois en continu avec un succès clinique réel. La limite était la pérennité de l’abord vasculaire et la lourdeur du suivi biologique, rendant impossible la dissémination de l’approche. En 2007, ce qui est présenté comme une rupture conceptuelle est une simple reprise du système marseillais adapté à une approche veno-veineuse et l’utilisation d’un dialysat qui est régénéré. En 1986 on faisait de l’hémofiltratation, en 2007 de l’hémodialyse, mais la composition de la colonne de régénération est exactement la même. Il n’y a aucune originalité. Le problème reste l’abord vasculaire avec une déconnexion alors que le temps d’utilisation maximum de la technique était de 8 heures…

Claudio Ronco un des ardent défenseurs de la dialyse portable a proposé l’utilisation du même principe de régénération du dialysat mais cette fois ci en DP pour limiter les manipulations et optimiser la technique de dialyse. De façon étonnante son système n’est pas breveté et il offre le concept à l’humanité. Ma mauvaise foi légendaire me fait dire qu’il n’y croit pas du tout.

Diapositive7Actuellement, plusieurs systèmes sont mis en avant par des sociétés ou des académiques. Ils sont résumés sur cette diapositive et j’ai rajouté le système HNF qui utilise des membranes innovantes, une fait de l’ultrafiltration, l’autre une forme de réabsorption. Les deux projets qui semblent proches d’une utilisation clinique sont le WAKMAN qui est un système d’hémofiltration portable sans régénération de l’ultrafiltrat. Il s’agit d’un modèle portable des machines d’aquaphérèses. Le deuxième projet est celui de iNephron dont vous pouvez voir une démonstration sur leur site. Ce projet est  sérieux, financé par l’Europe avec de nombreux partenaires. Malheureusement depuis 2014 il n’y a pas de mise à jour du site.

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Avec une telle pléthore de machines je m’attendais à découvrir plein d’essais cliniques, je fus très déçu par ma visite de clinical trials où je n’ai découvert qu’un essai en cours mais sans recrutement de patients. En tapant « hemodialysis » on trouve plus de 440 essais ouverts. Pourquoi si peu d’essais?

Diapositive9Alors que les objectifs sont clairs, j’ai mis sur la diapositive suivante les résultats obtenus pas l’équipe marseillaise et par le groupe de Davenport qui sont très intéressants en terme d’épuration.

Diapositive10Il y a des limites importantes même si la dame prise en photo pour l’article du Lancet est très heureuse. En voyant le matériel on comprend que la réponse n’est pas optimale. Remarquez la similitude des appareillages entre 1986 et 2007, les deux systèmes pèsent dans les trois kilos.

Diapositive11Les limites et leur réponses possibles sont présentées dans  les deux diapositives suivantes.

Diapositive12Diapositive13Je suis convaincu que nous pouvons répondre avec les nouveaux matériaux, l’introduction de cellules, l’utilisation des anticorps anti FXII, sans parler des biosenseurs capable de surveiller en continu les paramètres de la machine et du patients, à la production d’un rein portable utilisable au quotidien dans les 10 ans. Malheureusement, il persiste la problématique de l’abord vasculaire et de sa pérennité. Je ne vois pas, malheureusement, de solution simple immédiate sauf à imaginer des formes révolutionnaires d’abords permettant un véritable continuum entre machine et patients. L’abord péritonéal pourrait être la bonne approche, mais nous serons toujours confrontés aux limitex de la qualité de la membrane péritonéale. Nous retombons en néphrologie toujours sur cette limite physiologique qu’a résolu la nature en choisissant de recevoir directement 20% du débit cardiaque. Le rein sans vascularisation ne peut pas fonctionner.

Cette limite de l’abord vasculaire restera peut être infranchissable faisant que le WAK sera toujours un mythe.

Si nous avions accès à un tel système par exemple le Wakman, est ce que les patients l’utiliseraient? Oui, 30% utiliserait un système d’UF en dehors de la séance. Cette réponse vient d’un travail qui demandait aux patients hémodialysés de choisir ce qu’ils seraient prêts à faire comme effort pour avoir une restriction hydrique moins strict. Les résultats sont présentés séparément entre ceux qui ne se disent pas gênés pas la restriction hydrique et ceux qui la supportent difficilement.

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Les ingénieurs vont trouver des solutions à nos problèmes de miniaturisation. Pour améliorer l’épuration ou la régénération du dialysat, l’utilisation de cellules rénales dans des systèmes d’épurations extracorporelles sera un point intéressant. L’interaction vivant-matériau dans un système d’épuration est une approche élégante et excitante. Il a déjà été produit des reins bioartificiels qui pour l’instant ont des performances insuffisantes, mais dans un système portable mis derrière un filtre classique, il pourrait nettement améliorer les qualités de régénération du dialysat et remplacer ou compléter les colonnes au charbon. Ces BRECs existent déjà. Il reste à leur trouver une place dans notre arsenal.

Diapositive15Le rein portable est un lieu porteur de fantasmes et de rêves parfois déraisonnables. Je suis convaincu qu’il faut faire de la recherche dans le domaine, mais ne pas donner de faux espoirs et avoir un discours raisonnable. Si ce domaine est porteur d’annonces parfois un peu trop optimistes, ce n’est pas le pire.

Certains présentent le domaine de la régénération rénale ou de la bio-ingéniérie ex vivo comme un concurrent de la dialyse portable. Ces approches me semblent complémentaires. Il y a un battage médiatique terrible autour de ce rêve prométhéen de produire un rein dans un tube à essai ou une imprimante. Les annonces font comme si demain nous pourrons aller au magasin de pièces détachées pour remplacer le rein. Ce n’est pas pour tout de suite. Nous ne sommes qu’au début d’une histoire. Je me suis limité à remonter en 2003 mais j’aurai pu aller plus loin dans le passé.

Diapositive16Le premier article parle de transplantation de métanephros, à l’époque, nombreux sont ceux qui avaient annoncé que la pénurie d’organes serait bientôt un mauvais souvenir. Il y a deux limites au système, la première où trouver des métanephros? Sur des embryons et là on coince un peu. La deuxième, l’absence de système excrétoire qui entraine une hydronéphrose.

10 ans plus tard dans le même journal, c’est l’avènement de l’organe decellularisé. On récupère un rein, on enlève tout ce qu’il y a dedans avec des enzymes, on garde l’architecture faite de matrice extracellulaire, on remplace les cellules par un mélange de cellules tubulaire rénales et endothéliales qui colonisent le rein et permettent d’obtenir un organe fonctionnel. Les limites, est ce que la matrice extracellulaire d’un rein insuffisant fournira une bonne architecture pour les cellules? D’où viendront les cellules pour coloniser l’organe? Est ce que nous aurons une stabilité fonctionnelle sur le long terme? Il y a un travail énorme à fournir pour répondre à ces questions. Cette piste est malgré tout intéressante surtout si on imagine la combiner à de l’impression 3D.

Diapositive17L’impression 3D en biologie est peut être un des endroits où il y a le plus de décalage entre réalité et réception médiatique. Par exemple quand organovo a présenté ses résultats sous forme de poster dans un congrès, la presse nous annonçait que ça y est, nous pouvions faire du rein in vitro avec l’imprimante à la maison. La seule chose qu’a montré ce groupe est qu’il pouvait faire une structure qui ressemblait à un tubule proximal, un épithélium entouré de fibroblastes et de cellules endothéliales. C’est bien, mais nous sommes loin d’un rein.

Concernant la transplantation de metanephros, un groupe a récemment montré qu’en ajoutant des cellules du cloaque, ils arrivaient à avoir un système sans hydronéphrose. La problématique de l’origine des metanephros est toujours là.

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Enfin il y a ce dernière article récemment publié dans nature qui utilise des iPSc pour arriver à produire pour la première fois des organoides comportant tous les éléments d’un néphron, en particulier le collecteur. Cet article est capital. Il n’est que le début de l’histoire. Nous sommes encore loin de la production d’un rein in vitro transplantable. Nous y arriverons probablement. Je ne sais pas quand. Le groupe de J. Bonventre a aussi publié un résultat proche.

En conclusion je rappellerai le fait que nous ne sommes pas des avions comme nous ne sommes pas des tablettes. Ce que nous devons retenir de l’industrie, c’est qu’un échec comme le newton à peut être ouvert la porte à l’iPad et autres smartphones.

Diapositive19Je finirai en citant un grand spécialiste de l’imagination pas toujours naturelle. En attendant lisez Sapiens si vous n’êtes pas convaincu que la plus grande force de notre espèce est l’imagination.

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