Réminiscences

[audio: https://perruchenautomne.eu/musique/08%20Les%20Cha.mp3]
J’ai débuté cette note, il y a quelques temps avant mon arrêt de blogging. Je ne pensais pas la publier, mais un commentaire me pousse à poursuivre ma réflexion.

Dans mon agrégateur préféré, j’ai deux blogs que j’aime bien (Openblueseyes qui découvre son nouveau métier et la célébrissime Jaddo qui devrait passer sa thèse pour être débarrassée). Les deux à peu de temps d’intervalles ont posté sur le même sujet, l’allaitement. Ce n’est pas mon sujet de prédilection et je dois reconnaitre que je m’en fous royalement (là je fais le gros troll bien velu). Mon intérêt a été éveillé, dans leurs très bonnes notes, par la problématique de la normalisation des comportements et de la médicalisation de tous les moments de la vie, même ceux qui devraient, en dehors de toutes pathologies, être reconnus comme des états physiologiques.

La grossesse fait partie de ces moments.

Je suis régulièrement des femmes enceintes avec une néphropathie. Elles sont médicalisées pour de très bonnes raisons. J’essaye de ne pas être trop intrusif pour qu’elles puissent profiter de ce moment, qu’elles ont tant désiré.

Les notes des deux jeunes femmes ont fait écho à mon histoire. Après la naissance de notre fils, dont j’ai déjà parlé. Nous avons souhaité avoir un nouvel enfant. Nous n’avons pas réfléchi longtemps, ni trop. De nombreuses personnes, même très proches, nous ont pris pour des fous. Personne n’osait le dire, mas ça se sentait. Nous avions anticipé la réaction. Nous n’avons pas médiatisé notre décision, mais il arrive un moment où la quatrième grossesse se voit…

Nous avons choisi de rester avec la même équipe obstétricale. Je crois que nous n’avons pas eu le courage d’imposer à un autre gynécologue notre histoire et surtout de la raconter à un ou une autre, si tôt. Il y a peut être eu du sadisme de notre part. L’obstétricienne a accepté de suivre cette grossesse, la culpabilité est un levier auquel peu de médecins résistent.

J’ai vécu neuf mois difficiles, très difficiles. L’angoisse m’a étreint durant toute la grossesse. Je n’osais ou ne pouvais en parler à personne. J’en veux à l’équipe obstétricale qui n’a rien fait pour apaiser la situation. Personne ne savait ce qui s’est réellement passé pour oscar, il n’y avait aucune piste. Quand on ne sait pas, on ne sait pas. Heureusement, nous avons résisté à toute les tentations de pression pour aller plus loin que la simple échographie. Je comprends leur position. L’histoire d’Oscar devait les angoisser sérieusement. Mais je ne l’accepte pas. Le rôle du médecin n’est pas de soigner ses peurs au détriment du patient. L’inconnu a fait perdre toute rationalité, heureusement nous avions des certitudes, probablement aussi folles que les leurs. La moyenne était faite.

Tout allait bien, la croissance fœtale était normale, ma femme était en forme, mais il fallait toujours plus d’examens. On nous a suggéré à demi mot une amniocentèse. Comme personne n’était capable d’expliquer le bien fondé de la démarche nous avons tranquillement refusé et poursuivi notre chemin.

En utilisant la pensée magique, nous avions du croire que les choses ne se passent pas deux fois de la même façon. Si ils avaient pu mettre ma femme et surtout le bébé sous cloche, ils l’auraient fait. Vers le 7 é ou 8 é mois, il y a eu une anomalie sur une Xéme échographie, pas grand chose, mais quand même pas tout à fait normal. La multiplication des examens conduit toujours à la découverte d’une dérive par rapport à la normale. Il fallait faire quelques choses. J’étais décidé à refuser tout acte invasif.

Nous avons cédé, par peur et guider pas l’angoisse, même l’aide de la pensée magique ne protège pas du pouvoir médical, à la réalisation d’une IRM.

Un matin, nous nous sommes retrouvés à attendre dans un couloir glauque pour une IRM obstétricale, dont je suis sur que personne ne savait interpréter les résultats au vu de l’indication. Ma femme a pris un rohypnol pour que le bébé ne bouge pas trop, déjà toxicomane avant la naissance. L’IRM a été faite. J’attendais dans le sas aux murs nus. Je me maudissais d’être là. Je goutais le paradoxe de donner un produit dont on ne connait pas l’impact sur le développement cérébral du fœtus pour tenter d’interpréter une anomalie échographique totalement improbable. Pour réassurrer le docteur, ce fut notre seule concession. Vous ne pouvez pas imaginer l’angoisse que cette attente génère. Il n’y avais rien bien évidement sur l’IRM. Ils auraient aimé en faire une deuxième, juste pour être sur… La réponse fut non. Personne n’osa nous contredire, le pouvoir médical avait changé de coté. Nous étions plus rationnel que ceux qui devaient l’être.

J’étais en permanence sur les nerfs, anxieux, hargneux, insomniaque. Dans le service personne n’était au courant de la grossesse de ma femme, j’ai tout gardé pour moi. Ce fut une année dure psychiquement. A postériori, je ne sais comment je ne me suis pas écroulé. Personne ne pouvait comprendre mes angoisses, mes regards anxieux à mon téléphone portable. Heureusement, j’avais découvert les bienfaits de la natation. Le seul moment où j’arrivais à oublier dans la répétition des mouvements stéréotypés.

Les semaines passaient, il a fallu décidé des modalités de l’accouchement. Il était hors de question pour ce moment d’improviser. Comme un pied de nez, au destin, à la mort, à la vie, nous avons choisi le premier avril 2004. Si les conditions le permettaient, la délivrance aurait lieu ce jour là. Elle eu lieu à la date prévue. Aucun mot ne peut rendre l’intensité de ces instants. La seule chose importante est qu’il faisait beau, le soleil brillait, le ciel était d’un bleu infini, la journée ne pouvait que bien finir. Il y a toujours l’angoisse, la peur de l’inconnu, de cette aventure unique, magique qu’est la naissance.

L’obstétricienne est une femme exceptionnelle. Elle a osé faire un accouchement par voie basse, revanche sur l’année passée. La technique reprenait le pas sur l’inconnu des 9 mois. Une femme qui en a, elle a toute ma considération.  Je suis resté avec ma femme jusqu’à ce que la fréquence des contractions signalent le moment. Je suis sorti. Il était hors de question que je sois là. Je ne pouvais pas, chacun ses faiblesses. J’ai attendu dehors dans le même couloir que l’année d’avant. Le bloc d’accouchement était vide. J’étais seul, debout dans mon couloir, figé, attendant, ne voyant rien, tentant de chasser les images, les sensations du 3 février 2003. Le personnel vaquait à ses occupations, m’évitant gentiment. Personne ne risquait de m’adresser la parole, boule d’angoisse. Il ne pouvait rien se passer de mal, mais le pire est toujours possible .

J’attendais.

J’ai entendu le cri.

La sage femme tout sourire est venue me chercher. Ma troisième fille était là, hurlant à tue tête, des cris si rassurant. Elle était belle avec sa fossette sur la joue. Elle était mignonne, toute petite, avec ces petites mains, ces petits pieds, le bonheur de la prendre dans mes grosses paluches d’ours, de la sentir gigotante, hurlante, chaude, vivante, oui vivante.

Nous avons tous pleuré, de joie, dans cette salle d’accouchement, nous qui savions. Une victoire sur la mort, sur le destin, la vie gagnait. J’ai tenu ma femme et mon Olympe, un moment de soulagement, de bonheur, de joie intense, de délivrance. Le même bloc d’accouchement, mais baigné de lumière et de bonheur.

Parfois la vie vous donne le meilleur.

Un dernier petit détail, malgré les « je ne sais combien d’échos », l’irm, la surveillance, ma troisième fille a un petit défaut, un angiome qui ne sera découvert qu’après la naissance, quand je vous dit qu’on ne peut pas tout prévoir et tous voir.

Humble, médecin reste humble.

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10 réponses à Réminiscences

  1. Tadou dit :

    La vie, la mort, l’amour…
    Je découvre aujourd’hui Olympe, puis Oscar et à nouveau Olympe. Le tout en moins d’une heure dans le sens inverse de la vie. La découverte d’Oscar m’a bouleversée, fait pleurer, mise en colère contre un sort injuste (réflexe débile : trouver un coupable, une raison au moins, l’autopsie a -t-elle permis de comprendre un peu? ) et une société qui n’a pas su vous épauler. Mais la deuxième lecture du texte d’Olympe m’a achevée, je ne sais pas comment on peut vivre cette nouvelle attente sans craquer. Je ne sais pas où vous avez trouver l’énergie d’y croire encore, de le vouloir encore, et de garder suffisamment de calme pour résister aux appels de la surmédication. En tout cas, je vous souhaite à vous et à votre famille beaucoup de douceur et je ne pourrais m’empêcher d’avoir une pensée tendre pour Oscar chaque jour de quasi-palindrome.

  2. Marie dit :

    Merci. De partager ces réminiscences avec nous.
    Je ne sais pas comment vous avez fait non plus. Et je ne sais pas comment vous trouvez la force de mettre les mots sur ces instants auxquels on ne doit vouloir repenser pour rien au monde.
    En ce moment, je n’arrive plus à écrire… je pense que si je réussi à m’y mettre à nouveau, ce sera grâce à vous.
    Merci, encore.

    • PUautomne dit :

      J’ai appris que parler est un médicament bien plus efficace que de nombreuses drogues.
      Mettre des mots sur nos douleurs sont un chemin vers la guérison. En écrivant cette note, je pleure. Encore revenir, mettre des mots pour dire aussi qu’on peut survivre à ça, qu’on peut se reconstruire. J’espère que ces textes pourront aider certaines personnes à se sentir moins seules, moins isolées comme nous avons pu l’être.

  3. Mapy dit :

    merci
    merci de mettre les mots sur ces histoires d’enfants pour vous et ceux qui vous lisent

    • PUautomne dit :

      Merci à vous de m’avoir donné envie de mettre en avant cette histoire et de poursuivre ces notes.
      Savoir que peut être mes petits mots aident une personne, justifie que je les mette sur l’écran.
      Bon courage et surtout n’hésitez pas à me contacter.

  4. Djouhar dit :

    début février 2011…
    Je vous envoie, ainsi qu’à votre femme, quelques pensées douces … tendres et légères .. parce que la vie est plus forte que tout.

  5. eosine dit :

    Merci pour ce post qui me touche beaucoup, parce que je partage la belle date de naissance d’Olympe, parce que j’ai connu l’angoisse d’une anomalie découverte pendant la grossesse, parce que la cystographie a failli nous enlever notre fils, parce que nous redoutons l’insuffisance rénale.

    Je ne pense pas retourner dans cette même mater mais votre point de vue est intéressant.
    Ma collègue qui a perdu sa fille d’IRA à la naissance a fait ce même choix, je ne m’en sens pas capable, trop de mauvais souvenirs.

    Enfin je cause je cause, tout ça pour dire, c’est un post très émouvant.

    • PUautomne dit :

      Merci pour le commentaire.
      Il faut faire comme on le sent, il n’y a pas de règle. Ce ne peut être qu’un choix personnel. Il faut bien en discuter avec tous les protagonistes de l’histoire. C’est pas simple, mais pas si compliqué non plus.

  6. STÉPHANIE dit :

    Comment noircir une page devant tant de lumière, de talent et d’espoir .
    J’apprends et je mesure les moments d’absolue tristesse et d’isolement que vous avez traversés et en suis profondément émue.
    Les mots manquants ont aggravé la douleur. Je n’est pas su vous rejoindre au milieu de nul part.
    J’espère ne pas être trop maladroite en disant ça, mais je suis heureuse d’avoir fait la connaissance d’OSCAR et que les 3 févriers ne seront plus d’anodins 3 févriers.

    La vie ne vous a rien épargné, l’amour vous a sauvé.
    Tendresse et harmonie, toujours, pour vous et votre famille.

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