Un aspect de mon métier

Un lecteur a laissé un intéressant commentaire sous ma dernière note. Il a relancé une vieille idée de post. Je le remercie, les idées naissent du dialogue.

Dans ce commentaire, il différencie médecine générale et médecine hospitalière. La différence serait essentiellement sur la durée du suivi ou sur le fait de connaitre le soigné non malade. Le médecin généraliste connait son patient au long cours alors que le spécialiste hospitalier ne fait que dans l’aigu.

Je ne vais parlé que pour moi et ma vision de la néphrologie.

La néphrologie est née du traitement de l’insuffisance rénale chronique. Il y a une vraie concomitance des temps entre l’apparition de la spécialité et l’apparition de la dialyse chronique et de la transplantation. Notre spécificité est la prise en charge de la maladie rénale chronique. Je suis convaincu que nous prenons bien en charge l’hypertension artérielle mais les cardiologues ont réussi depuis longtemps le hold-up, les maladies lithiasiques mais les urologues en verront toujours plus que nous, les maladies auto-immunes  mais combien d’internistes pensent que nous sommes totalement inutiles voir nocifs pour les patients. Il reste les patients avec une insuffisance rénale chronique qu’étrangement aucun spécialiste ne viennent nous disputer. Dans insuffisance rénale chronique, il y a chronique. Nous suivons des patients de façon chronique. Ce qui m’a attiré dans la spécialité est le fait que même si l’organe d’intérêt est mort, l’histoire peut continuer et longtemps. Forcement, on s’intéresse aussi un peu aux autres organes du coup. L’approche holistique m’a bien plus. Je dois beaucoup à mon chef de service qui m’a fait aimer cette façon de voir le patient, pas par le petit bout de l’uretère mais de façon globale.

J’ai eu la chance de faire mon deuxième choix d’interne en dialyse. J’ai beaucoup aimé ça, le suivi au quotidien de patients, les voir trois fois par semaine, les connaitre bien, discuter avec eux des petits riens de la vie ou des grandes émotions. Ensuite, j’ai suivi d’autres voies de la spécialité. Je connais certains patients depuis que je suis passé externe ou interne dans le service . Ce qui commence à faire quelques années. Je vois toujours en consultation une patiente que j’ai connu alors qu’elle était dans un retour de transplantation compliquée en 1994, nous sommes en 2016. Je crois que je connais pas mal de choses de sa vie, jamais comme son médecin traitant, mais quelques petites choses, comme les mariages, les naissances de petits enfants, etc. Elle va bien, je la vois tous les trois à quatre mois. On discute pas vraiment de sa fonction rénale, avec sa créatinine à 70 µmol/l. Elle n’est pas malade au sens aigu du terme, je fais du suivi. Je rappelle deux trois petites choses. Je renouvelle des ordonnances. Suivi long, patiente en pleine forme, elle pourrait tout à fait être suivi par un non spécialiste, sauf qu’elle ne veut pas. Depuis 2004 je vois un patient qui fut d’abord longuement hospitalisé pour une maladie rare et qui a eu la chance de pouvoir ne pas rester en dialyse. Juste avant mes vacances, sa femme m’envoie un mail pour me dire qu’il a fait une crise d’épilepsie dans un autre CHU et qu’on leur a dit de faire des examens complémentaires. Je me suis occupé d’organiser l’IRM, l’EEG, de trouver un avis neuro rapide et malheureusement neurochir puis de faire le scanner TAP car le gentil méningiome s’est transformé en méchante métastase.Il n’y a strictement rien de néphrologique dans tout ça…

J’ai toujours refusé d’être le médecin traitant et je refuse systématiquement d’être le médecin traitant des patients que je suis même au long cours. Je veux qu’ils aient un généraliste, mais quand ce dernier se défausse systématiquement en disant il faut l’avis du néphrologue, forcément, ils ne vont plus trop le voir. Je trouve ça dommage. Je suis convaincu que la profondeur de la relation est plus importante avec le MG qu’avec le spécialiste, mais parfois nous faisons du soin primaire. Quand le transplanté vient à l’hôpital de jour pour une rhinopharyngite, je ne fais pas de la grande néphrologie. Je pense que ceci fait partie du job, savoir encore soigner les petits bobos. Je reconnais que je suis très mauvais en orthopédie.

J’aime mon métier car il permet de suivre des patients pendant longtemps. Pour moi la réussite, c’est quand je vois arriver une jeune femme suivie depuis plusieurs années avec des choses compliquées, des moments très difficiles, maladie grave, passage en dialyse, transplantation, avec dans ses bras, un bébé, que tout le personnel a envie de voir. Je ne suis jamais seul une grossesse comme un généraliste peut le faire. Je n’ai pas les compétences par contre j’apporte chez ses femmes à risque une certaine connaissance à mes collègues obstétriciens.

Il me semble qu’on peut faire de la médecine hospitalière et suivre des patients au long cours en les connaissant bien voir très bien. Je n’aurai jamais la proximité qu’a pu avoir mon père quand il était généraliste avec ses patients, mais je peux avoir une vraie relation avec certains. Il n’y a pas une différence intrinsèque entre médecine de ville et hospitalière. Le but est de faire le soin le mieux adapté à une personne malade donnée. Ceux sont les soignants qui font la différence ou l’identité entre ville et hôpital. J’ai le sentiment que la médecine reste et restera une histoire de personnes qui se rencontrent.

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9 réponses à Un aspect de mon métier

  1. Judith dit :

    Merci pour ce billet.
    J’ai ce type de relation avec ma diabétologue hospitalière (depuis … longtemps !) et ma généraliste également. Les malades chroniques n’ont pas les mêmes interactions avec leur médecin, parfois on les voit juste par habitude (tous les 4/6 mois), parce qu’on aime échanger avec eux, et heureusement pas seulement en cas de soucis. Ils connaissent nos vies, nos gros soucis et nos grands bonheurs, ils sont toujours là parce que la maladie chronique l’est également (notre pathologie on ne la choisit pas mais notre/nos médecins si !).

  2. docteurdu16 dit :

    Bonsoir,
    C’est moi la muse.
    J’ai répondu dans mon commentaire au problème spécifique du deuil, je n’ai pas traité le problème de la médecine en général et de la différence de statut entre hospitalier et libéral. J’ai souligné combien le médecin généraliste, en cas de deuil, avait droit à de constantes piqûres de rappel, parfois des dizaines d’années après le décès et parfois même, des dizaines d’années avant (la charge émotionnelle antérograde).
    Mais puisque vous m’y contraignez, je vais essayer de généraliser.
    Vous racontez des histoires rares mais significatives.
    Vous nous dites que les hospitaliers, dans leurs relations avec leurs patients, sont des hommes et des femmes comme les autres avec deux bras, deux jambes, un cœur et un cerveau. Qui en aurait douté ?
    Vous vous démarquez des autres spécialités en raison de la chronicité de l’IRC.
    Mais le principal changement, désormais, c’est la disparition ou presque des maladies aiguës mortelles et l’entrée dans le monde nouveau de la chronicité. Tout le monde s’y met. Et ainsi les hospitaliers vont-ils consacrer de plus en plus de temps aux maladies chroniques traitables par des médicaments innovants (j’ironise). Les cardiologues ont commencé avec les traitements anti hypertenseurs puis les statines, et cetera. Les rhumatologues sont en plein boom avec les produits biosimilaires. Les pneumologues chronicisent tout avec des produits aux mécanismes d’action de plus en plus ronflants mais ne sont pas encore arrivés à le faire avec le cancer du poumon. Les dermatologues sont dans le pipe line avec les biosimilaires : psoriasis, mélanome. Et cetera. Mais, justement les oncologues n’en sont pas encore là car, eux, promettent la guérison et, pour certains, se désintéressent des soins de support et du palliatif (dont je pourrais parler des heures en disant que cela ne devrait pas exister comme entité à part puisque c’est le fondement de la médecine)…
    La chronicisation est en marche. Les cardiologues ne comprennent pas qu’un MG (et, d’après ce que je comprends, un néphrologue) puisse s’occuper d’une HTA. Les sidaologues écrivent des CR de consultation si stéréotypés qu’on se demande où est le patient. Les blablabiosimilairologues s’étonnent qu’un MG ne sache pas quen cas de traitement par l’un d’eux il faut surveiller la protéine XwAz…
    Non, la vraie distinction entre un hospitalier et un MG libéral, c’est celle du statut (institutionnel vs libéral), de la dilution des responsabilités, du principe d’incertitude et des non maladies (on en revient toujours au carré de White).
    J’ai écrit sur l’indispensable rôle des spécialistes (http://docteurdu16.blogspot.fr/2015/04/les-specialistes-dorgane-sont.html) et sur le fait qu’il est nécessaire qu’une communauté morale se constitue (valeurs et préférences) au delà de la compétence technique pure.
    J’ai heureusement quelques correspondants qui sont de cette trempe.
    Bonne soirée (c’était un plaisir).

  3. Je me mêle de cet (très) intéressant échange. A la première lecture je pense que vous avez tous les deux raison, ensuite que vous avez tous les 2 torts.
    Je partage l’analyse de docdu16 sur la place du médecin généraliste, mais je ne l’attribue pas à son statut libéral au contraire du néphrologue institutionnel.
    Je partage aussi l’analyse de perrucheenautomne sur l’humanité des médecins (certains). En effet la médecine est la rencontre de 2 personnes. Je ne crois pas tous les hospitaliers techniciens, même si ce profil se généralise.
    Ce n’est pas le suivi sur une longue période qui différencie le néphrologue, ou le cardiologue du médecin généraliste. La différence est dans l’inclusion de l’entourage professionnel, amical, familial mais surtout dans la globalité des actions de médecin généraliste.
    Bien sur des néphrologues, des diabétologues cités dans un commentaire, des cardiologues, incluent les besoins du patient ( profession, famille..etc) aux données indispensables pour mieux soigner, accompagner, parfois guérir le patient. Mais celui qui intervient dans ces champs est le médecin généraliste. Pour donner un exemple qui illustre ma pensée en restant dans le champ de la néphrologie, un néphrologue organisera les dialyses en fonction des possibilités du patient, de ses besoins, les programmant par exemple le soir pour lui permettre de travailler. Bien sur il ne négligera pas les possibilités du patients à réduire ( si besoin) ses apport sodés ou protidiques.
    Mais celui qui réalisera les bilans biologiques de suivi ET soignera le lumbago ET organisera avec le médecin du travail une reprise adaptée aux possibilité du patient ET répondra aux inquiétudes de la famille ET suivra le cancer de prostate ET l’accompagnera dans son changement d’habitude, ET lui proposera un recours à d’autres intervenants ( radiologue, cardiologue, kinésithérapeute, infirmier, travailleur social, psychologue…) sera le médecin généraliste. Sa place tient dans les ET. Ce n’est pas une humanité plus grande que celle du médecin (très) spécialisé de l’hôpital qui fait la différence, c’est son intervention dans l’ensemble de ce qui touche et que touche l’humain malade. Ces actions différentes, globale pour le médecin généraliste, plus focalisée pour le néphrologue ( ou d’autres) ne présage en rien d’une humanité plus grande, elle est juste la mission du médecin généraliste.
    Alors oui l’un et l’autre sont utiles (nécessaires?) au patient dans leur rôle respectif, et ils sont inefficaces (nuisibles? ) dans l’affrontement. Les déviances des uns et des autres, les préjugés, les rancœurs nuisent aux patients, aux soignants, au système de soins, à la société. Nous avons plus de points communs que de divergences et l’échange est bénéfique.
    Je clos ce commentaires sur ces bonnes paroles sentencieuses

  4. Ping : Un aspect de mon métier de néphro...

  5. nfkb (@nfkb) dit :

    J’aime : « Il n’y a pas une différence intrinsèque entre médecine de ville et hospitalière. Le but est de faire le soin le mieux adapté à une personne malade donnée. » Même le gazier (paroxysme du soins aigü) peut participer 😀

  6. « Il n’y a pas une différence intrinsèque entre médecine de ville et hospitalière. Le but est de faire le soin le mieux adapté à une personne malade donnée. »
    Tout est dit : c’est une question de conception du soin !
    Bien que généraliste, il y a des confrères (ou consoeurs) à qui je ne confirai pas ma santé et des spécialistes hospitaliers ou pas avec qui je me sentirai en confiance.
    Pour ce qui est de la néphrologie et des patient(e)s dialysés, c’est vrai qu’on ne les voit plus beaucoup une fois les dialyses débutées ! mais après tout, ils ou elles voient déjà un médecin trois fois par semaine; je ne me vois pas le droit de les blâmer de ne plus venir nous voir. Néanmoins je continue à penser qu’on a toute notre place dans la plrise en charge globale de ces patients. Il faudrait essayer de mieux travailler enselbme, néphrologe et MG ! Mais ça, c’est une question d’Homme ou de Femme.

    • PS: je me demande si ce n’est pas ce que vous faîtes avec ce site Internet. Mieux travailler ensemble … Pour anecdote,ces deux dernières semaines, deux cas d’insuffisance rénale aigue mieux pris en charge (grâce je pense à la lecture de vos nombreux posts) avant d’être confié en urgence à vos collègues locaux ! Merci pour eux …

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