On a tué le rein du cochon

Je continue avec mes histoires de protéines. Après vous avoir montré les limites de l’article, je vais essayer de vous convaincre que même à l’échelon individuel mangé trop de protéines ce n’est pas bon pour vos reins.

Un groupe allemand en 2009 a étudié ce qu’il se passait au niveau rénal quand de façon expérimentale du moins chez des hommes jeunes, non-fumeurs, ne consommant pas d’alcool on augmente sur une courte période l’apport en protéines. Cet article est parfait pour mon sujet car l’apport de protéines en excès se fait sous une forme de protéines animales et en pratique de viande rouge.

  1. Helga Frank et al., “Effect of short-term high-protein compared with normal-protein diets on renal hemodynamics and associated variables in healthy young men,” Am J Clin Nutr 90, no. 6 (Décembre 1, 2009): 1509-1516.

Il s’agit d’une étude en cross over sur une vingtaine d’hommes jeunes (24). La fonction rénale (débit de filtration glomérulaire DFG) est évaluée par la mesure de la clairance de la sinistrine (un analogue de l’inuline), le débit plasmatique rénal est mesuré par la clairance du PAH. Bien d’autres paramètres sont mesurés. C’est un très joli travail de recherche clinique expérimentale.

Les mesures sont faites après une semaine de régime riche en protéines (2,46g/kg/ jour) ou normo protidique (1,18 g/kg/ jour). Ils passent en pratique de 88 g de protéines/ jour à 181 g/ jour.

Voici les principaux résultats après une semaine de cette diète hyperprotéinée?

  1. Le DFG augmente passant de 125 ml/mn (+/-5) à 141 ml/mn (+/- 8)
  2. Le débit plasmatique rénal ne change pas
  3. La fraction filtrée augmente de façon significative (passant de 23% à 28%) traduisant l’hyperfiltration glomérulaire.
  4. Dans le sang on observe une augmentation significative de l’urée sanguine, de l’uricémie, du taux de glucagon, de la glycine et de l’alanine.
  5. Dans les urines, il y a une augmentation significative de l’albuminurie, de l’excrétion sodée, de l’excrétion d’urée et une diminution du pH urinaire.

Qu’est-ce que tout ceci veut dire?

Quand on mange trop de protéine l’urée sanguine monte même avec une fonction rénale normale. La diète protéinée entraîne une hyperfiltration glomérulaire. Nous pourrions imaginer qu’augmenter son débit de filtration glomérulaire est une bonne chose, le rein marche mieux. Je vous rappelle que le premier stade de la néphropathie diabétique est l’hyperfiltration glomérulaire et que dans 30% des cas elle conduira à une glomérulopathie. Chez l’animal, elle est responsable d’une glomérulosclérose. Trop filtrer pendant trop longtemps ce n’est pas bon pour le rein. Il y a une augmentation de la quantité d’albumine dans les urines qui est reconnu comme un marqueur de risque cardio vasculaire. Manger trop de protéines est probablement mauvais pour les vaisseaux. Enfin l’augmentation de l’uricémie, la baisse du pH urinaire favorisera la survenue de lithiase d’acide urique.

Il est maintenant certain que la consommation de protéines en grande quantité chez l’homme s’accompagne d’une hyperfiltration (de 4 à 10 ml/mn/1,73m2), comme le montre cette méta-analyse. Un article récent confirme que l’hyperfiltration n’est pas très bonne pour l’avenir rénal chez le diabétique et un autre que l’hyperfiltration rénale est associée à une augmentation du risque de décès en population générale.  L’excès d’apport en protéines pourrait ainsi avoir un effet délétère au delà du rein. Un dernier article important montre une association avec le risque d’avoir une albuminurie.

Pour enfoncer le clou, je vous conseille ce très beau travail italien qui montre l’évolution du débit de filtration glomérulaire en fonction de l’apport en protéines. FIGURE 1:La consommation de protéines à l’inclusion est corrélé positivement avec le DFG, plus vous mangez de protéines plus votre DFG est haut. Après 12 ans de suivi, la consommation de protéines est corrélée positivement avec la baisse du DFG, plus vous mangez de protéines plus vite votre fonction rénale s’altère. Cet article conforte l’idée qu’un apport en protéines n’est pas bon pour la santé rénale. Vous trouverez dans cette très bonne revue récente un bon résumé des différentes raisons pour lesquelles en dehors de l’hyperfiltration, le régime riche en protéines est mauvais pour les reins .

Concernant la nature des protéines, à coté de l’article singapourien, en début d’année 2016, il a été publié une analyse de la cohorte NHANES III suggérant l’intérêt de substituer les protéines végétales aux protéines animales quand on a un débit de filtration glomérulaire inférieur à 60 ml/mn/1,73m2. Quand le ratio protéines végétales/animales augmente, la mortalité diminue.

prot_plant_2016Cet article apporte un soutien à l’article que je vous avez précédemment présenté. Les intérêt des protéines végétales seraient multiples, moins de cholestérol, diminution de la charge acide, diminution de la production de toxines urémiques comme l’indoxyl sulfate ou le para cresyl sulfate, diminution de l’apport en phosphore, moins d’apport sodé. Le régime végétarien chez les insuffisants rénaux chronique est une approche très intéressante. En population générale, cet article récent apporte de l’eau au moulin du remplacement des protéines animales (en particulier de la viande rouge) par des protéines végétales. Encore une fois nous devons valider la substitution par un essai clinique bien fait.

substitutionEnfin, comme j’ai accusé le cochon de tous les maux, je finirai avec un article expérimental où ce pauvre animal est une victime. Des auteurs canadiens ont randomisé des cochonnes pour recevoir un régime isocalorique normoprotidique ou hyperprotidique pendant 4 ou 8 mois. Ils ont réalisé une évaluation de la fonction rénale et des histologies rénales. Les résultats sont fascinants. Les cochonnes développent à 4 mois une hyperfiltration glomérulaire (augmentation du DFG) et à 8 mois ce dernier diminue de façon importante pour ne plus être différent de ceux des normoprotidiques. Si vous comparer le delta de DFG entre animaux normoprotidiques (-0,98 ml/mn/kg) et hyperprotidiques (-1,85 ml/mn/kg), c’est impressionnant. Histologiquement, il y a une augmentation du volume glomérulaire, plus de glomérulosclérose et de fibrose interstitielle avec le régime riche en protéines.

cochon_histo cochon_gfrCet article expérimental conforte les données observées chez l’homme de l’effet délétère de l’apport excessif en protéines.

Le message reste réduisons notre apport en protéines en particulier d’origine animale.

Ce contenu a été publié dans Medecine, Néphrologie, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

10 réponses à On a tué le rein du cochon

  1. Merci beaucoup pour cette série de 3 articles très instructifs.

  2. MARC dit :

    Le DFG est il mesuré ou calculé dans ces études? manger plus proteique induit forcément plus de produit de dégradation proteique, donc plus d’urée, et plus de créatinine, non? la mesure n’est elle pas faussée, de fait? mesure-t-on une modification de la fonction rénale, ou une modification des taux sanguins lié au catabolisme proteique? Passer de élévation de l’urée à augmentation du risque rénal, n’est ce pas, dans ce cas, un raccourci un peu rapide?

    • PUautomne dit :

      Tout est dit dans les notes. Je n’ai jamais dit que le problème c’est l’augmentation de l’urée. Le pb est l’hyperfiltration initiale. Il faut prendre un peu de temps pour lire. La majorité des papiers sont en accès libre.

  3. Ping : Du cochon aux plaquettes | PerrUche en Automne

  4. Ping : Et l’urée, ça fait quoi l’urée | PerrUche en Automne

  5. Ping : Six conseils diététiques pour les patients avec une maladie rénale chronique | PerrUche en Automne

  6. Mr. Cabletwitch dit :

    Bonjour, merci pour cet article!

    Le sujet reste quand même assez flou,à part quelques études, la majorités ne retrouvent pas d’effets de l’apport en protéine sur le rein chez les gens sans maladie et/ou insuffisance rénale:
    https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6054213/

    Même la review que vous citez reconnait celà: « we acknowledge the absence of definitive proof that high-protein diets have adverse effects on human renal health »

    Difficile donc de définir une dose sans danger… Les 2 reviews sus-citées conseillent de ne pas dépasser 25% de l’apport calorique journalier sous forme de protéine, ce qui représente déjà pas mal de protéine je trouve.

    Ça serait cool d’avoir des études qui étudient l’effet des protéine et de l’hyperfiltration sur la réserve fonctionnelle rénal. Je ne sais pas si c’est possible où si ça existe.

    Quelle dose de protéines recommandez vous ?

  7. Ping : Gliflozines et néphroprotection, comment ça marche? | PerrUche en Automne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.