Les tontons flingueurs de la science sont de sortie

J’aime bien Dominique Dupagne et Hervé Maisonneuve. Ils sont souvent pertinents mais parfois ils se trompent de cible. Ceci arrive à tout le monde, mais quand on a une grande audience, il faut savoir être rigoureux. Ils ont décidé tous les deux de pourfendre la « crise de la reproductibilité ». HM a publié une note sur un article et DD l’a reprise pour alimenter sa chronique sur France Inter.

L’article est une perspective publiée dans Cell Metabolism. Cet article est une forme d’éditorial avec des résultats mais pour lesquels nous n’avons pas les matériels et méthodes accessibles comme dans les articles qu’essayent de répliquer les auteurs. C’est un véritable hybride. Les MM ne sont visibles que sur le site et malheureusement je n’y ai pas accès aujourd’hui. Je suis très gêné, même si Nature recommande de ne plus mettre des matériels et méthodes dans les articles. Je trouve particulièrement croquignolet qu’un papier qui parle de difficulté à reproduire les résultats ne donnent pas facilement accès aux matériels et méthodes qui leur permettent de conclure. Le cœur de la science comme ceci est bien explicité dans l’article sont les modèles (cellules, animaux), les réactifs (importance de savoir d’où ça vient et si c’est accessible). Bien les décrire, les rendre accessible pour les autres sont la base de la reproductibilité. Je suis tout à fait d’accord. Les auteurs le présentent bien à travers trois exemples. Les auteurs sont des salariés d’un laboratoire pharmaceutique qui avant de passer à la clinique testent pour savoir si l’hypothèse est bonne. Ils ne font jamais que de la science, reproduire les résultats obtenus par d’autres pour les valider. Incroyable l’industrie pharmaceutique fait aussi de la science, HM et DD font semblant de le découvrir.

Les auteurs présentent trois exemples.

Le premier repose sur un article de 1997, ils essayent de refaire pareil, ça ne marche pas et il publie en 2017. Ils n’ont jamais fait que le boulot de scientifiques de base. Probablement des gens on fait avant eux et les résultats négatifs n’ont pas été publiés. Un grand classique malheureusement, toujours difficile de publier des résultats négatifs, tous les chercheurs le savent. Les auteurs soulignent qu’en fait trois autres groupes avaient essayé de faire un peu la même chose en 2011, 2016 et 2017 sans succès pour 2/3. On nous parle de crise de la reproductibilité mais finalement tout est publié, accessible et chacun peut réfléchir sur les données. Cet exemple montre surtout que les modèles animaux ne sont que des modèles. Nos tontons flingueurs n’ont pas remarqué que l’industrie doit être sacrement à la ramasse de nouvelles idées pour produire des nouveaux médicaments quand on en vient à tester en 2017 des idées des années 90… Comme le but des deux est de dire que les académiques sont des cons et les industriels des parangons de vertus, ils passent sous silence ce qui pourrait remettre en cause leur démonstration que détruire la recherche académique est une bonne chose.

Le deuxième repose sur un article de 2016, ils n’arrivent pas à reproduire les données de cet article qui décrivait une nouvelle hormone. Très bien, mais est ce que ce ne serait pas eux qui ne sont pas capable de produire la bonne molécule et pas le groupe académique qui est meilleur que l’industrie? En toute honnêteté, le fait que le groupe ne fournisse pas la molécule est un bon argument pour dire qu’il y a anguille sous roche. Ils ont essayé de reproduire des résultats et n’y sont pas arrivés, encore une fois c’est le processus scientifique classique. Peut être que d’autres personnes l’ont fait ou sont en cours, mais que de pauvres académiques n’ont pas la puissance de feu d’une boite pharmaceutique pour refaire des manip voir pour publier aussi rapidement.

Le troisième est un excellent exemple de ce que doit être la science. Il est très rassurant sur le processus scientifique actuel. Les auteurs n’arrivent pas à reproduire les données d’un article de 2017. Ils échangent avec les auteurs de l’article original les réactifs, ils réfléchissent ensemble pour trouver une solution, qu’ils ne trouvent pas. Le processus est sain et que tout n’est pas pourris dans la recherche publique. Quand DD dit que le seul problème de la reproductibilité c’est le fait que les académiques sont tous des fraudeurs, c’est quand même bizarre que des salauds qui falsifient des résultats acceptent de collaborer de façon ouverte avec des gens qui démontent leurs données. J’y vois un bel exemple d’intégrité scientifique. Manifestement nous n’avons pas la même vision des données présentées ici.

La lecture de cet article est très intéressante et je la conseille vivement, mais il faut vraiment le lire et tout lire. Je ne vois pas l’intérêt de dégommer les académiques si ce n’est une volonté de nuire. En disant que nous sommes tous des enfoirés qui ne pensons qu’à notre carrière au détriment de la qualité des résultats, ces deux personnages alimentent le sentiment anti-scientifique. Je ne connais pas pas le programme qui sous tend leur approche, ou je la vois trop bien légitimer la baisse des crédits publics car c’est de l’argent dépensé pour rien. L’Allemagne va augmenter les budgets de recherche pour les dix ans qui viennent.

Je ne vais pas nier qu’il y a des fraudeurs, des gens qui manipulent les données, qui bidouillent, mais je ne crois pas que ce soit la majorité. J’essaye que les données que nous publions soient toujours propres et réelles, combien de belles histoires sont mortes en augmentant le nombre de manip ou d’animaux… J’ai la faiblesse de croire que la majorité des scientifiques font de même. Je ne demande qu’à refaire certaines manips publiées par des groupes concurrents. Nous le faisons mais nous n’arriverons pas à les publier, si nous n’avons pas autres choses à dire. Malheureusement j’aimerai pouvoir faire la carrière de mes étudiants juste en validant des manipulations déjà faites pour vérifier si ça marche. Je mets au défi les tontons flingueurs d’arriver à avoir de l’argent dans un appel d’offre concurrentiel type ANR avec un projet ou plus de 30% du projet serait de refaire ce qu’on d’autres ont déjà publiés.

Croire que les académiques ne refont pas systématiquement les manip des autres juste par fainéantise ou car nous sommes une mafia est un gros mensonge. Avec une ressource financière limitée, refaire des manip sortant du labo du mâle dominant du domaine et partir sur une idée différente, le choix est vite fait. Si nos les deux acolytes qui trouvent tant que les académiques sont des mauvais veulent rendre service qu’ils utilisent leur aura médiatique pour militer auprès du gouvernement pour sanctuariser des appels d’offres qui ne serviraient qu’à ça faire de la réplication. Je serai un des premiers à candidater sur ce genre de choses. Cette approche serait plus utile que de nous tirer dessus.

J’ai déjà trop écrit. Ce qui m’a le plus surpris, c’est que les tontons flingueurs ne comprennent pas le message du papier et de l’ensemble de ses cousins, où des scientifiques de l’industrie viennent montrer à quel point les académiques ne sont pas rigoureux. Eux ont un vrai programme, les industriels rêvent d’une chose que le maximum de la RD soit externalisé pour réduire les coûts. Ce genre d’articles ne sert juste qu’à dire on aimerait faire des économies et ne pas avoir à faire les études de réplication, si l’académique pouvait le faire à notre place ce serait super. On peut avoir ça comme lecture de l’article. Je crois que les auteurs sont de bonnes fois et sont avant tout des scientifiques qui veulent faire de la science propre.

Académiques, industriels nous avons tous pour but que nos hypothèses sont bonnes et conduiront à une découverte majeure qui permettra de mieux soigner des personnes malades. Il y aura toujours des brebis galeuses, nous devons être intransigeants avec eux. Je trouve détestable dans un monde qui a besoin de plus de science que de moins de dénigrer ceux qui la font surtout avec des arguments qui ne sont pas les bons.

Je conseille à mes deux camarades blogueurs un article qui ferait une très bonne note et une très bonne chronique sur un véritable problème qui à mon avis est gravissime, l’absence de confiance dans l’approche comparative.

Je suis d’accord avec DD sur le fait que nous devons être très critique avec les publications et les lire avec précautions, surtout dans le domaine du préclinique. Comment souvent un bon dessin vaux mieux qu’on long discours.

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2 réponses à Les tontons flingueurs de la science sont de sortie

  1. Judith dit :

    Merci ! Ingénieure dans un labo de recherche je passe un peu de mon temps à reproduire ce que d’autres ont déjà fait et j’ai toujours pu echanger avec la communauté scientifique quand je n’y arrivais pas pour comprendre et trouver des solutions. Nous ne sommes pas tous des fraudeurs merci de le rappeler.

  2. Bonjour P

    La critique est toujours utile. Je l’apprécie toujours, surtout lorsqu’elle vient de contradicteurs de ta qualité. Il n’y aura pas de « mais » après cette phrase introductive ? Je souhaite simplement répondre à tes critiques.

    Tu écris que je semble découvrir que l’industrie fait aussi de la science. Tu sais bien que ce n’est pas le cas. En revanche, l’opinion publique a fini par être persuadée que les laboratoires n’étaient que des profiteurs qui se contentaient d’utiliser la recherche publique pour faire de l’argent. Or, c’est loin d’être une règle. Ce que montre cet article, c’est que cela va même au delà : la fiabilité de la science publique n’est pas suffisante pour que l’industrie puisse comme base de travail sans l’avoir auparavant vérifiée.

    Tu caricatures ma chronique en me faisant dire que « les académiques sont des cons et les industriels des parangons de vertus ». Ce n’est pas le cas, je dis simplement que les choses sont plus compliquées, qu’il y a aussi des escrocs chez les universitaires, ou tout simplement des mauvais, et que tous les chercheurs industriels ne sont pas des crapules avides de fric (c’est l’opinion dominante actuelle).

    Plus loin, tu écris « Quand DD dit que le seul problème de la reproductibilité c’est le fait que les académiques sont tous des fraudeurs » alors que j’ai pris soin de dire
    « En pratique, si le hasard ou la variabilité du vivant peuvent expliquer certains résultats discordants en biologie ou en médecine, cette crise est surtout liée aux « faiblesses humaines » qui n’épargnent pas les scientifiques.

    Je veux bien faire un mea culpa sur le « surtout » que j’aurais pu, faute de données chiffrées, remplacer par « parfois ».
    Mais je suis influencé par deux choses. Tout d’abord, une connaissance du problème par ma fréquentation ancienne de chercheurs de haut niveau de l’industrie, qui m’ont raconté des choses assez effrayantes sur le comportement des universitaires avec les données. Certes, il y a un biais d’échantillon avec ces universitaires qui vivent parfois à 80% de rémunérations industrielles personnelles, mais vu de leur côté, c’est plutôt terrifiant, et ils sont mieux placés pour le constater que les collègues des universitaires concernés. Il semble qu’Hervé ait des contacts du même type.
    En tant que médecins, nous ne connaissons le comportement de nos collègue que par nos patients, et nous tombons parfois des nues en apprenant que notre bon copain untel est un sagouin avec des patients.

    L’autre chose est mon intérêt ancien pour la fraude scientifique https://www.franceinter.fr/emissions/la-bibliotheque-scientifique-ideale/la-bibliotheque-scientifique-ideale-14-novembre-2012 qui est toujours sous-estimée. Or, contrairement à ce que tu crois, l’opinion générale des auditeurs de France Inter sur les scientifiques n’est pas « tous pourris » (ça, c’est pour les labos et les politiques), mais plutôt « si c’est publié dans une revue scientifique, alors c’est vrai ». Le français croit que les chercheurs universitaires sont totalement fiables. Cette croyance infondée est très dangereuse.

    Il n’est pas question de mafia, mais d’omerta sur la fraude, et ta réaction y participe involontairement. Il suffit pour s’en persuader de voir le comportement des universités françaises vis-à-vis des lanceurs d’alerte en matière de fraude, c’est pathétique : https://www.ias.u-psud.fr/sites/default/files/integrite-Bergadaa.pdf

    Je lirai l’article que tu cites.

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