Tu aurais 17 ans mon fils

Je ne croyais plus écrire à cette date anniversaire. Il y a plusieurs raisons qui ne concernent que moi et mes proches. Une décision politique me pousse encore à reprendre le clavier. Il y a 17 ans mon fils est né puis il est mort, le même jour, de façon incompréhensible. C’était un lundi. J’ai toujours la même tristesse, toujours les larmes qui affleurent, voir qui coulent franchement quand j’y pense. Ce n’est plus tous les jours, mais encore souvent, surtout à cette période. J’en parle moins. Je me demande toujours ce que ma vie serait s’il n’était pas mort. J’ai écrit sur la première semaine sans Oscar. La douleur était immense, inimaginable, intransmissible par les mots. Cette expérience de la perte d’un enfant est d’une grande dureté, elle a profondément changé ma façon de voir le monde, d’envisager ma vie, j’ai failli arrêter mon métier.

Je n’ai pas pris un seul jour de congés pour affronter ça, j’ai travaillé. Je l’affirme, c’était une erreur. Il est difficile de bien soigner quand on a perdu un proche et encore plus un enfant. A cette période j’ai fait quelques mauvais choix de soins. Il me semble important de donner du temps à celui qui perd quelqu’un de si particulier, un enfant. Pas forcément pour lui mais aussi pour ceux dont il va s’occuper. Cette perte terrible obscurcit le jugement et il n’est pas bon de laisser des décisions importantes à une personne brisée par le deuil. Si j’avais lu ces mots à l’époque, j’aurai dit: « ce n’est que des conneries, le travail me permet de tenir. » Avec le temps, le recul, je me rends compte des erreurs que j’ai commises et j’en ai honte. Honte de ce machisme très con, du je suis plus fort que la douleur, alors qu’entre les consultants je pleurais, qu’après la visite je m’enfermais dans mon bureau pour pleurer, que les nuits de garde je les passais debout à errer dans le service. Il est important de passer la phase de sidération, ce moment où le vide s’ouvre devant vous et où il n’y a que du vide. J’ai écrit sur le sujet. Je ne vais pas me répéter.

Après cette longue introduction, pourquoi je retapote sur mon clavier ici? Le gouvernement français et le parti dominant ont pris la décision de ne pas accorder plus de temps aux parents qui ont à faire face au deuil d’un enfant mineur. Ce choix, éminemment politique et idéologique est une agression d’une très grande violence. Je l’ai reçu en plein visage comme un crochet du droit. J’ai entendu la phrase que m’avait dit le croque mort « il est petit alors une petite place, ah ah ah « . Oui ce retour à, c’est pas bien grave, c’est pas si grave, petits enfants petits soucis et toutes les conneries qui traînent dans la tête de ceux qui ne le vivent pas, qui ne veulent même pas l’imaginer car c’est insupportable la mort d’un enfant. Mieux vaut nier la douleur que l’imaginer de peur d’être submerger, l’empathie dans ces situations est rare. La violence de la décision de la majorité est immense pour moi l’endeuillé. Ce choix de ne pas allonger la durée accordée aux parents pour prendre un peu de temps en dit beaucoup sur l’idéologie qui sous tend ce parti. C’est un révélateur. Modifier l’amendement pour faire que ce soit les collègues de travail qui puissent donner leurs RTT aux parents endeuillés plutôt que de faire un peu plus participer l’entreprise traduit la vision du monde de LREM. L’individu n’existe que comme vecteur de production, si il ne produit pas il sort du jeu, il est inutile, ce qui est important c’est l’entreprise, celle qui produit de la valeur et tout doit lui être sacrifier. Je n’ai rien contre l’entreprise au contraire, je trouve ça bien d’entreprendre. Je pense juste que ce n’est pas très judicieux de faire travailler quelqu’un qui va mal pour l’entreprise. Il vaut mieux lui accorder un peu de temps, un peu d’humanité. Je suis convaincu que le salarié sera d’autant plus efficace après, plutôt que d’être maltraité. J’imagine que ces gens pensent que perdre un enfant c’est être un looser surtout si tu en souffre. LREM n’aime pas la loose. Le mécanisme est ne parlons pas de la douleur comme ça elle n’existe pas, et bien c’est une grosse connerie comme raisonnement car tout ressort un jour ou l’autre.

Ce parti a fait un choix, ce choix soulève un tollé, le ministre parle d’erreurs, d’autres expliquent qu’ils doivent suivre le parti et pas leurs sentiments, d’autres argumentent sur l’importance du travail pour éviter de se morfondre à la maison, je vous en passe et des meilleures. Il est possible que le gouvernement rétropédale et les mêmes députés qui ont voté contre voteront pour. C’est beau le nouveau monde, comment croire que ce parti n’est pas comme les autres, un mouvement qui veux juste le pouvoir et défendre une idéologie qui avec ce choix ne sent pas très bon. Ce parti n’a rien d’horizontal, il est d’une verticalité on ne peut plus vertical, tout part du chef et les petites mains suivent. Le vrai visage des partis politiques est montré à travers ces décisions qui engage l’humain. La grandeur de l’homme est de pouvoir se lever quand une décision inique lui est proposé au delà de ses engagements partisans. Les députés LREM ont montré qu’ils n’étaient qu’une chambre d’enregistrement des lois proposées par un gouvernement profondément idéologue et qui n’a rien de pragmatique. C’est triste. J’ai cru un moment que ce mouvement pouvait vraiment faire de la politique autrement avec humanité et discernement. Malheureusement, non. Ma déception est grande.

Oscar, tu me manques terriblement, je suis triste. J’aimerai tant pouvoir te serrer dans mes bras mon fils, comme je peux le faire avec tes sœurs. Les années passent, la douleur est moins vive mais il suffit de peu pour que ne remonte la violence de ta perte.

Je t’aime mon fils.

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5 réponses à Tu aurais 17 ans mon fils

  1. cancerroseformindepgmailco dit :

    Oui, cette annonce du gouvernement, même avec la reculade ensuite sur le nombre de jours accordés, laisse une impression désastreuse d’inhumanité. On ne peut ressentir ce vide en vous, mais le comprendre au minimum, et surtout nous percevons tous, concernés ou pas, ce « crochet du droit » que vous décrivez, et ressentons la même révolte.

  2. cerisette2812 dit :

    Bravo pour cet article, je vous lis régulièrement mais là je suis touchée au coeur! Au delà de cette perte irréparrable d’un enfant, vous parlez aussi de la perte (est elle aussi irréparrable, non, mais elle est très violente également) de confiance dans ceux qui nous gouvernent sans pitié, comme « une entreprise ». Et ce moment est douloureux parce que déceptif, nous avons « cru »…merci beaucoup pour votre reprise de plume.

  3. ChronicInfecte dit :

    De vous lire, j’ai les larmes aux yeux. ce que vous dites est juste. Il y aussi la « pénibilité » qui existe très peu dans la valeur travail pour certains de nos dirigeants ; il suffit de penser à tous ces malades chroniques qui essaient de vivre « normalement » en continuant de travailler. Le temps n’efface pas l’oubli ni la tristesse, parfois il adoucit la douleur. Bon courage à vous

  4. Sebbag dit :

    Merci, merci de dire tout cela.

  5. Chloé dit :

    Ne pensez vous pas, que justement le moment serait plutôt à la solidarité nationale dans le cas d’un deuil d’enfant ? C’est quelque chose de tellement énorme, ne serait ce pas réellement le moment où un congé maladie pour deuil patho serait le plus adapté, avec soutient psychologique régulier et pris en charge? Mon petit n’a que quelques mois, mais si je le perdais maintenant, il me faudrait plus que 5,12, 20 jours pour récupérer, et surtout ne pas rester seule ?
    La solution doit elle vraiment passer par une loi, et par les employeurs?

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