Résistance

Depuis quelques semaines nous vivons dans un monde étrange, celui du COVID-19. Je ne vais pas revenir sur ce que j’ai déjà écrit et dit sur cette maladie lors des webinars de la SFNDT (présentation 1, 2 et 3). Ce qui est évident, nous avons besoin de faire de la science plutôt que du spectacle. Le monde de l’édition scientifique et en particulier des grandes revues (NEJM, Lancet, JAMA, BMJ et consorts) ne va pas sortir grandi de cette épreuve. Il y a eu un relâchement des standards, aussi bien méthodologiques qu’éditoriaux, impressionnant. En ce 13 avril 2020, 3740 articles sont indexés dans Pubmed en un peu plus de trois mois, la qualité et la pertinence ne peuvent pas toujours être au rendez vous. Je ne parle pas des preprints. Nous ne devrions pas confondre vitesse et précipitation. En plus de la vague épidémique, il y a une vague informationnelle, qui porte le joli nom d’infodemic.

Au sommet de cette folie est l’utilisation des antipaludéens de synthèse (chloroquine et hydroxychloroquine) dans le traitement du COVID-19. Je ne reviendrai pas sur les limites diverses et variées des « articles » justifiant son utilisation. Je vous renvoie pour ça à l’excellent Pipeline de Derek Lowe qui fait le meilleur boulot de veille bibliograhique sur les thérapeutiques du COVID-19. En France, nous avons pu bénéficier en direct de la pression médiatique mise par les promoteurs de ce traitement (Hydroxychloroquine-azithromycine) et son effet dévastateur. Ceci est très bien analysé dans cet article grand public de Damien Barraud qui résume remarquablement la problématique.

Un des aspects les plus effrayants de cette histoire est la défense par nombre de figures médiatiques et de médecins de l’utilisation de l’hydroxychloroquine sans essai clinique randomisé (ECR, en anglais RCT pour randomized clinical trials). L’ECR est la base de la médecine basée sur les preuves. Seule cette approche dans des maladies fréquentes (le covid-19 en est une avec ces 1 850 000 cas) et avec une survenue d’événements suffisants (80% de patients pauci ou asymptomatiques (ce sera probablement encore plus), 20% nécessitant une hospitalisation et 5% la réanimation) et une mortalité dont la fréquence est connue (il est probable que sur l’ensemble des infectés on se situe entre 0,5 et 1,5%) permet d’avoir des réponses claires. Le bon design pour l’utilisation de l’association était de randomiser les patients dès le diagnostic, avant l’atteinte grave, entre traitement et placebo et d’utiliser comme critère d’évaluation soit la mortalité soit la nécessité de passage en réanimation. Il fallait faire un calcul d’effectif et assigner au hasard les patients qui recevraient un traitement ou pas. Comme l’association n’est pas dénuée d’effets secondaires en particulier cardiaques ceci est tout à fait licite sans perte de chance majeure pour les patients. Ceci était renforcé par le fait que les APS bien que réduisant la réplication virale in vitro de nombreux virus n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité clinique dans les viroses (bonne synthèse ici). Par exemple dans le Chikungunya, la chloroquine ne diminuait pas les symptomes, voir les aggravait, mais en plus avait un effet retardant la mise en place de l’immunité antivirale. Il semblait tout à fait licite de proposer un essai randomisé. Ce ne fut pas le choix fait, je le regrette et tout le monde devrait le regretter.

Le plus étonnant reste que de nombreuses personnes trouvèrent qu’il n’était pas éthique de proposer un essai randomisé, alors que ceci est indispensable. Cette question, du pourquoi du refus du RCT, me turlupinait depuis un certain temps quand je me suis souvenu hier d’un article remarquable de l’année dernière. Je crois avoir dit sur twitter que c’était probablement un des articles les plus importants de 2019. Il s’agit d’un article de sciences sociales dont la lecture pour le médecin non anglophone, que je suis, n’est pas facile, mais il est vraiment très intéressant. Je vous en conseille vraiment la lecture.

Le but des auteurs était d’identifier les raisons de l’aversion des individus à la réalisation d’un essai randomisé (A/B test). Ils ont réalisé 16 études incluant 5873 personnes sur 9 domaines allant de la médecine à la lutte contre la pauvreté en passant par la génétique, l’enseignement ou les voitures autonomes. Le design est toujours le même pour confirmer le rejet, en général, de la réalisation des essais randomisés. On propose d’appliquer la proposition A à toute la population, la proposition B à toute la population ou de réaliser un essai randomisé comparant A contre B. Les propositions A et B sont équivalentes. Prenons l’exemple 1, un directeur d’hôpital veut réduire le risque d’infection lors de la pose de voies veineuses centrales (un tuyau dans les grosses veines du corps). Il propose deux approches: A: on met la check list de la procédure de sécurité sur le dos du badge des médecins, B: on met la check list de la procédure de sécurité sur un poster dans la salle où les voies veineuses sont posées. Il n’y pas de différence majeure en terme d’accessibilité à l’information, chacune a des avantages et des inconvénients. On demande donc à des individus de dire s’ils trouvent qu’appliquer A ou B sans preuve ou faire un essai A contre B est approprié. Comme vous le voyez il n’y a pas de placebo et les deux interventions sont comparables. Comme vous le voyez dans la figure, une grande proportion de personnes juge la réalisation d’un essai randomisé comme inappropriée (les différences sont statistiquement significatives), et ceci aussi bien dans l’étude initiale (A) que dans les réplications avec un autre groupe d’individus (B) ou d’autres vignettes plus détaillées (C et D). Il y a une véritable aversion à la réalisation de l’essai clinique randomisé.

Les auteurs confirmeront cette aversion dans d’autres champs que le médical. Je vous laisse regarder l’article. Les auteurs ont ensuite essayé d’identifier les causes de rejet de l’essai randomisé qui sont:

  • 1) Le rejet de l’expérimentation (pas de la randomisation). Les personnes ne supportent pas le fait qu’on expérimente sur eux. Ils préfèrent que leur soit imposée une pratique sans preuve plutôt que de participer à l’établissement de la preuve. C’est assez effrayant quand on y pense.
  • 2) Une conviction que le consentement n’est demandé qu’à la moitié de la population dans l’essai randomisé alors que l’autre se voit imposer la pratique. Ceci pose des questions sur comment nous expliquons le processus de l’essai et comment est compris le fait de donner son consentement
  • 3) L’illusion du savoir, il n’est pas nécessaire de faire car l’expert sait. Ça vous rappelle probablement quelque chose ou quelqu’un.

Enfin, probablement pour les soignants la partie la plus intéressante et importante de l’article, les auteurs se sont demandés si cette aversion à l’essai randomisé était partagée par des soignants (126) quasiment que des médecins cliniciens. Ils ont proposé deux études, la checklist et une intervention thérapeutique, un traitement anti HTA, une molécule A contre une molécule B. Les résultats se passent de tout commentaire.

L’aversion à l’essai clinique randomisé est largement partagée par les médecins. C’est juste terrifiant.

Le débat autour de l’hydroxychloroquine et du refus d’une majorité de réaliser un essai clinique randomisé illustre en vraie vie la pertinence de cet article. La peur d’être un cobaye, la certitude que le sachant sait et les médecins sont loin d’être immunisés contre cette aversion au RCT sont probablement les explications de ce refus massif dans l’opinion public de vraiment tester.

Cette épidémie pour l’instant m’a appris deux choses sur lequel l’enseignement médical doit se concentrer dans les années à venir:

  1. L’importance de l’hygiène, il faut que durant toutes les études de médecine nous ayons des modules de formation à l’hygiène, comment se protéger, comment protéger les autres. Nous devons aussi faire des essais randomisés sur nos pratiques dans ce domaine. C’est la grande leçon des ces premières semaines.
  2. L’importance de la médecine basée sur les preuves et le rôle central des essais cliniques randomisés dans sa mise en place. Nous devons former tôt et durant tout le cursus à la réalisation et l’interprétation des essais cliniques.

Nous devons lutter contre la résistance à la réalisation des essais randomisés. Il n’y pas vraiment d’autres façons d’apporter des preuves irréfutables. C’est lourd, compliqué, consommateur de temps et d’énergie mais capital pour proposer des traitements efficaces avec la meilleure balance bénéfice-risque à nos patients.

Résistons à la peur de la maladie par l’approche scientifique et expérimentale. Résistons à ceux qui nous assènent la vérité sans preuve, jouant sur nos peurs.

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38 réponses à Résistance

  1. Arcimboldi dit :

    Merci d’être là ! De rappeler avec intelligence et de façon document ces faits simples, implacables, et qui traduisent notre échec collectif. On voit la même chose avec les corticoides où le bras placebo serait jugé non éthique alors qu’aucune preuve de leur efficacité n’existe. « On a l’impression que » on ne passe plus les patients en réa depuis qu’on le fait… On a l’impression que… on fait n’importe quoi

  2. LaurenceB dit :

    Ceci me semble être vraiment fondamental pour comprendre le grand fiasco de ces dernières semaines.
    Un grand merci!

    J’ai repéré quelques coquilles (n’hésitez pas à supprimer le commentaire après)

    Je ne reviendraiS pas sur les limites diverses et variées des -> futur/ pas de s

    Comme l’association n’est pas dénué-E d’effets secondaires en particulier cardiaque-S ceci est tout à fait licite sans perte de chance majeur-E pour les patients

    Les auteurs confirmeron-T cette aversion dans d’autres champs que le médical.

    Ils préfèrent que leur soi-T impos-ÉE une pratique

    les médecins sont loin d’être immunis-ÉS contre cette aversion

    l’enseignement médical doi-T se concentrer dans les années à venir

    C’est la grande leçon des ces première-S semaines.

    Nous devons form-ER tôt et durant tout le cursus à la réalisation

    Résistons à la peur de la maladie par l’approche scientifique et expérimental-E.

  3. JIPS dit :

    Merci pour ce « post » très instructif et documenté. Moi qui ne savais déjà pas comment lire tout ce que j’ai à lire voilà que j’ai dix liens de plus, qui vont me faire chacun dix liens de plus !
    Pouvez-vous néanmoins (c’est une vraie question, pas une provocation) développer sur les cas où on ne doit pas faire de tests en « double aveugle » ? J’ai souvenir d’un article cette semaine où l’explication était qu’entre un parachute et pas de parachute on ne fait pas de test, parce qu’on connaît déjà le résultat d’un des deux bras. Mais il doit y avoir des « cas limite » entre les deux approches. Le choix de faire ou ne pas faire de tests et d’expérimentation est-il documenté dans la littérature ? Y a-t-il une épistémologie à ce sujet ?

    Deux commentaires par ailleurs, le second découlant du premier :
    1/ une proche, qui a passé (très peu) du temps en école d’infirmières dans les années 80, mais est de ce fait passée par « les bases », me fait toujours remarquer que les pratiques hygiéniques de l’époque se sont fortement affaiblies, en particulier du fait des baisses de budgets dans les services, en plus des restrictions au personnel soignant. On a besoin de médecins, d’infirmières, d’aide soignantes, mais aussi de personnel de service (de ménage par exemple, et bien sûr de restauration etc…) formé et motivé, ayant conscience qu’il fait partie de la communauté soignante et n’est pas un sous-traitant à exploiter au maximum. Une infection alimentaire ou un clostridium difficile peut faire fermer un service, pour une mauvaise pratique ou un ménage trop vite fait !
    2/ les lignes de défense contre les maladies infectieuses sont multiples, la preomière étant les gestes barrière, c’est ce que nous rappelle cette crise. Il faudrait s’inspirer des concepts de la sécurité informatique. Or depuis l’apparition des antibiotiques on a le sentiment que les autres lignes ont été abaissées voire détruites. Encore aujourd’hui on a le sentiment que les gens se disent : « allons vite au traitement ou au vaccin, et recommençons comme avant ». Je ne parle même pas du Medef qui attend manifestement de pouvoir continuer à abaisser tout ce qui ressemble à une prévention pour continuer encore plus fort qu’avant. Le plus flagrant, même si pas le plus impactant (il faudrait faire le test en double, entre deux villes !) étant la disparition de panneaux qu’on voyait autrefois dans les autobus et le métro : « défense de cracher », mais je pourrais aussi citer l’architecture des tours de la Défense, qui cache les lavabos et les toilettes, par exemple à l’entrée des restaurants d’entreprise, là où on les mettait en avant au début du XXème siècle.

    Continuez, merci encore !

  4. Grange Jean-Claude dit :

    Bonjour,
    Votre billet est remarquable.
    Un de mes amis qui se reconnaîtra (DB) me disait hier, nous parlions de la nécessaire réforme des études médicales en soulignant le décalage dans le temps lors de l’acquisition des connaissances de la science pure, de la science appliquée, de la clinique, de l’interprétation de la clinique, de la hiérarchisation des connaissances, de la sociologie du soin et de la psychologie — les rapports médecins malades–, que le rôle des études de médecine était de professionnaliser les connaissances profanes.
    C’est tout le propos de votre billet.
    Bonne journée.

  5. Bour Cécile dit :

    La question du caractère « non éthique » des ECR est mis en avant aussi pour une autre raison, à savoir pour imposer un procédé. L’étude Mypebs sur un dépistage individualisé du cancer du sein est une étude de non-infériorité, qui au final donnera le choix aux femmes entre un dépistage et…un dépistage. Pas de bras comparateur « sans dépistage ». Lorsque notre collectif a interpellé les organisateurs de l’étude sur ce manquement, il nous a été répondu que ce n’était « pas éthique » d’avoir des femmes sans dépistage, partant du principe intangible du bienfait de ce dépistage, pour l’instant toujours pas démontré.
    Alors que dans ce contexte, contrairement à une épidémie, il n’y a non seulement aucune urgence, (un ECR pouvait parfaitement être fait), mais en plus, nous avons dans la population un bras témoin tout trouvé, à savoir les femmes qui ne font jamais de dépistage. Là on aurait eu le temps, avec une bonne information des participantes, de constituer ce groupe témoin. Mais non, il y a eu un refus délibéré et prémédité de la part des organisateurs de l’étude de surtout omettre le bras témoin. Ainsi on ne prend pas le risque de s’apercevoir que l’absence de dépistage pourrait être bénéfique aux femmes si ça se trouve..

    La 4ème cause de rejet des ECR pourrait être celle-ci : lorsqu’on veut impérativement imposer un dispositif de santé publique qui menace de prendre l’eau… Mypebs en est la parfaite et magnifique illustration.
    Et sinon bravo pour ce billet, comme d’hab très à propos. ?

  6. Drabdomg dit :

    Merci, c’est passionnant !

  7. K dit :

    L’aveuglement scientifique est une maladie particulièrement difficile. En effet, peu de personnes atteintes sont-elles capable de s’identifier et de se soigner avant de contaminer les autres.
    Ce que cette épidémie nous apprend c’est le naufrage total de la communauté médicale en France (et certainement d’autre pays européens). Les américains et les asiatiques sont, à mon avis, un peu plus intelligents que les européens dans cette affaires.
    Parquer les « vieux » dans les EHPAD sans protection aucune, ni tests diagnostics (avec la mortalité effrayante qui se dessine), est sans doute plus facile que de faire un ECG et une kaliémie. Il y a certainement une étude randomisée quelque part, dans une autre dimension peut-être? justifiant un confinement total dans le Cantal et un confinement partiel à Lisbonne.
    C’est l’épidémiologie qui va parler à la fin de cette épidémie, et tous les charlatans fermeront leurs…boutiques.
    Une petite lecture, fortement conseillée, pour les personnes atteintes du mal de science : https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.0020124

    • JIPS dit :

      « L’aveuglement scientifique est une maladie particulièrement difficile. »
      Elle se soigne par le doute, qui est devenu une maladie honteuse à notre époque…

      • K dit :

        C’est juste! il faut toujours douter (on devrait expliquer ce principe très simple aux ayatollahs du réchauffement climatique…). Douter même de la méthode. Mais il faut accepter aussi l’incertitude dans la science comme principe fondateur (pour citer Edgar Morin).
        Pour info, dans l’étude des maladies infectieuses et leurs traitements, la randomisation contre placebo ne se fait jamais, pour des raisons épistémologiques évidentes….

        • u dit :

          Merci et notamment pour cet article de 2019 qui terrifie c’est le mot.

          Merci à Stéphane Burtey, de l’université de Marseille (tout n’est donc pas endémique) .

          Une suggestion: inscrire en page 1 la date de rédaction de PpT/PDF

          Pour une approche sur les méthodes « scientifiques » de certains 2 articles à charge :
          https://www.mediapart.fr/journal/france/070420/chloroquine-pourquoi-le-passe-de-didier-raoult-joue-contre-lui
          https://forbetterscience.com/2020/03/26/chloroquine-genius-didier-raoult-to-save-the-world-from-covid-19/

          Autre bonne revue de l’hydroxychloroquine , qui montre aussi la non endémicité de l’affaire à Marseille et même à l’IHU:
          Antiviral Res. 2020 Mar 5;177:104762.
          doi: 10.1016/j.antiviral.2020.104762.
          Of chloroquine and COVID-19.
          Touret F1, de Lamballerie X2.
          https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32147496

        • PUautomne dit :

          Il y a multitude d’essais randomisés avec groupe contrôle et parfois placebo dans les maladies infectieuses. C’est chiant la méthode mais c’est comme le solfège c’est mieux de le maitriser pour faire de la musique. Comme l’entraînement en sport répéter des milliers de fois le même geste pour y arriver. La méthode c’est capital pour être libre sinon nous sommes prisonniers de nos émotions. Après on peut inventer une nouvelle méthode mais il faut montrer que ça marche.

          • K dit :

            Je veux bien, crois moi, pratiquer la médecine qu’avec du niveau de preuve 1…
            Mais faire croire à tout le monde qu’il n’existe qu’un seul niveau de preuve dans la médecine, c’est un peu hypocrite. De même que de prétendre qu’une étude randomisée de qualité peut être menée en 3 semaines.
            Et encore faut-il avoir le bon design (ce n’est pas le cas de Discovery).
            La réalité est qu’on est dans une urgence sanitaire d’une ampleur historique, donc moi j’accepterai l’avis d’un expert et une grande série de cas pour essayer de sauver des vies.
            vous oubliez que beaucoup plus de vies ont été sauvées dans l’histoire avec de la médecine empirique qu’avec tout autre démarche. La pénicilline n’a pas attendue une étude randomisée fort heureusement.

        • JIPS dit :

          Je n’ai jamais étudié Edgar Morin, mais dans des études très anciennes (1979) j’ai étudié Gaston Bachelard. Je n’ai pas compris tout de suite, et là ça me revient à l’esprit :

           » La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. »

          Bachelard, L’esprit scientifique

          C’était un standard des prépas scientifiques, à l’époque…

          • K dit :

            Le problème ici c’est qu’on confond « méthode » et « science ». L’opinion a son rôle dans la science, dans la limite de l’analyse la plus objective. Un scientifique a besoin de créativité, il ne peut raisonner comme une intelligence artificielle, le monde est trop complexe.
            Le cas Raoult est un cas intéressant de choix de méthode « adaptée ».
            Imaginez que vous voulez étudier l’impact de l’allaitement sur l’espérance de vie. Comment s’y prendre? une intelligence artificielle vous suggèrerait, peut-être, de randomiser un certain nombre d’enfants entre lait maternel et lait artificiel et de les observer pendant 85 ans.
            Vous pouvez réfléchir un peu et arriver à la conclusion que ce design est logique théoriquement mais que 85 ans c’est trop long, que les risques de facteurs confondant sur cette période de suivi est trop important, que randomiser des enfants dans le groupe lait artificiel (privés de lait maternel) n’est pas très éthique.
            Vous faite votre choix logique et subjectif d’adopter une autre méthode, vous déciderez probablement de faire une étude rétrospective, et de comparer 2 groupes historiques, en prenant les mesures statistiques pour minimiser les biais. Et vous aurez une réponse rapide en acceptant une certaine incertitude liée à la méthode choisie.
            On reproche au Pr Raoult de faire une étude n’importe comment (le comble! des journalistes et des chercheurs de troisième rang…oui oui). Le Pr Raoult n’a jamais voulu faire une « étude », il a simplement pris la décision (en tant que médecin) d’appliquer un traitement dans l’urgence sanitaire (qu’il juge mieux que rien), et de rapporter son expérience dans une étude observationnelle, adaptée à la situation…
            C’est facile à comprendre….

  8. dsl dit :

    Merci pour le billet et les liens.
    Dommage que vous ne disiez rien sur la cible du virus, ACE2, qui pose pourtant un certain nombre de questions sur la pathogénie pulmonaire du virus, et sur le rôle possible de certains traitements (ARAé, IEC).
    On dirait qu’on ne sait pas grand chose sur le rôle du SRA dans le fonctionnement pulmonaire.

  9. @Anayaguillen dit :

    Magnifique article avec deux messages ds la bouteille. Je ne suis pas perplexe de la rct. Ce qui me rend parfois perplexe et la phase préRCT… on penses savoir qq chose qu on veut tester et l ignorance pousse a l erreur ainsi qu a l erreur sur le p ( objet partiel de sécurité cfr dernier pour la science) … Encore merci

  10. Umberto Ucelli dit :

    Mon message n’étant pas passé je me demande si je n’ai pas fait un clic de travers. Désolé si doublon.

    Merci pour ce blog et votre pêche de ce papier de 2019.

    Il existe un revue sur le chloroquine d’une équipe de … l’IHU, ce qui montre encore que certain mode de pensée n’est pas inhérent à la cité Phocéenne comme on écrit dans l’Equipe.

    Antiviral Res. 2020 Mar 5;177:104762. doi: 10.1016/j.antiviral.2020.104762.
    Of chloroquine and COVID-19.
    Touret F1, de Lamballerie X2.
    https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7132364/

    Merci à Stéphane Burtey pour ses ppt et pdf. Une suggestion : indiquer en page 1 la date de rédaction. Encore une preuve de la non endémicité d’un mode de pensée à Marseille !

    Il y a beaucoup à dire sur les façons de travailler du groupe Raoult. C’est à charge.
    https://www.mediapart.fr/journal/france/070420/chloroquine-pourquoi-le-passe-de-didier-raoult-joue-contre-lui
    https://forbetterscience.com/2020/03/26/chloroquine-genius-didier-raoult-to-save-the-world-from-covid-19/

  11. Waggis (@Waggis1) dit :

    La question que vous pointez est p-ê celle-la: pourquoi cet engouement, pourquoi des confrères éminents autant que le collègue d’à coté sont-ils si partisans d’une thérapeutique controversée, dont on connait bien les effets secondaires mais encore si mal l’efficacité sur le Covid19?
    Pourquoi la proposition de traitement par HCQ + Azithromycine est considérée comme crédible (donc applicable sans attendre) plutôt que valide (seulement lorsque nous en auront la preuve avec des études menées conformément à la méthode scientifique)?
    La vraisemblance de l’activité de l’HCQ sur le Covid-19 (activité immuno-modulatrice, efficacité in vitro) n’est pas une preuve d’efficacité mais une prédiction optimiste qu’il reste à vérifier.
    Il faut chercher plus loin les raisons de notre appétence à ratifier ce traitement: la peur, les cas dramatiques dans les services, la présence invisible du mal, son universalité et notre impuissance à l’éradiquer. La solution HCQ vient nous donner un espoir qu’il est difficile de refuser.
    Même si l’on est d’accord avec les exigences de l’EBM, que les travaux de recherche du Pr Raoult ne satisfont pas, il nous faudra du courage pour choisir une voie plus longue, plus fastidieuse mais aussi plus pertinente et plus cohérente.
    Courage (et merci)!

  12. Corinne Dr DEPAGNE dit :

    Bonjour puis je le partager dur un whatsapp covid médical?
    Merci

  13. Damien P dit :

    Bonjour,
    Votre billet est très intéressant (comme toujours) mais je ne partage pas votre avis.
    En temps normal je le partagerais, mais nous ne sommes pas en temps normal, il s’agit d’une crise sanitaire majeure, des gens tombent malade et meurent à la pelle (et on ne connait pas encore ce qui se passera sur le long terme pour les gens soi-disants guéris ou asymtomatiques, c’est peut-être une bombe à retardement qu’ils ont dans le corps).

    1er point, pour cette raison on ne peut se permettre d’attendre le résultat d’études randomisées qui, si bien menées, prennent des mois.

    2ème point, il ne s’agit pas d’un traitement nouveau, il est sur le marché depuis des décennies.

    3eme point, l’HCQ a été démontrée comme étant efficace bien avant que Raoult ne le dise dans les médias, par la Chine et la Corée notamment.

    Enfin 4eme point, le Pr qui propose ce traitement n’est pas un charlatan, il le prescrit depuis des années et accessoirement est reconnu dans le monde entier pour ses travaux.
    Par ailleurs il indique bien que le combo HCQ+AZT peut (rarement) provoquer des effets secondaires cardiaques, il en est bien conscient et explique comment les éviter (ECG avant la prise).
    Il indique aussi que le traitement doit être pris bien en amont de la phase aiguë, dès qu’on teste un patient positif, sans attendre une dégradation de son état (actuellement la médecine propose aux gens contaminés de rester chez eux et de rappeler une fois qu’ils n’arrivent plus à respirer, en attendant on prend du doliprane, sic).

    A ma connaissance toutes les études allant contre ce traitement ont été menées soit sur des patients en phase terminale de la maladie, soit il s’agissait d’automédication… Bonjour l’honnêteté intellectuelle chez certains.

    Cela n’enlève bien sûr rien à la pertinence de votre blog, les points que vous soulevez au début de votre article sont à méditer par la communauté scientifique dans son ensemble.
    Que les politiciens restent également en dehors de tout cela, ils sont responsables de ce carnage et ne font qu’ajouter de l’huile sur le feu.

    Beaucoup de leçons à tirer de cette crise, et beaucoup de leçons à prendre auprès des autres nations qui ont particulièrement bien réagi (et vite) face à ce virus. Le France me fait honte, pays qui s’autoproclame grande puissance mondiale, à la médecine de pointe, laissez-moi rigoler, nos pauvres infirmières doivent se protéger avec des sacs poubelle, et vous-même il y a qq jours encore appeliez à l’aide pour avoir des visières en plastique.

  14. JIPS dit :

    NB vous écrivez : « Depuis quelques semaines nous vivons dans un monde étrange, celui du COVID-19.  »
    N’est-ce pas là le monde normal, le monde étrange étant celui qui a existé depuis l’invention des antibiotiques, et dont la maladie infectieuse avait été quasiment évacuée (en tous cas dans l’imaginaire collectif européen) ?

    • K dit :

      Je pense qu’il fait référence à l’aliénation (dans le sens philosophique).
      On peut recenser quelques pandémies quand même dans l’ère des antibiotiques, et les infectiologues ne chôment pas dans les structures de soins.

      • JIPS dit :

        Tout à fait, en particulier en Afrique par exemple avec le paludisme, Ebola, etc… D’où ces trois mots : imaginaire, collectif, et européen…

  15. Albert dit :

    Bonjour,
    Votre billet est très intéressant (comme toujours) mais je ne partage pas votre avis.
    En temps normal je le partagerais, mais nous ne sommes pas en temps normal, il s’agit d’une crise sanitaire majeure, des gens tombent malade et meurent à la pelle (et on ne connait pas encore ce qui se passera sur le long terme pour les gens soi-disants guéris ou asymtomatiques, c’est peut-être une bombe à retardement qu’ils ont dans le corps).

    1er point, pour cette raison on ne peut se permettre d’attendre le résultat d’études randomisées qui, si bien menées, prennent des mois.

    2ème point, il ne s’agit pas d’un traitement nouveau, il est sur le marché depuis des décennies.

    3eme point, l’HCQ a été démontrée comme étant efficace bien avant que Raoult ne le dise dans les médias, par la Chine et la Corée notamment.

    Enfin 4eme point, le Pr qui propose ce traitement n’est pas un charlatan, il le prescrit depuis des années et accessoirement est reconnu dans le monde entier pour ses travaux.
    Par ailleurs il indique bien que le combo HCQ+AZT peut (rarement) provoquer des effets secondaires cardiaques, il en est bien conscient et explique comment les éviter (ECG avant la prise).
    Il indique aussi que le traitement doit être pris bien en amont de la phase aiguë, dès qu’on teste un patient positif, sans attendre une dégradation de son état (actuellement la médecine propose aux gens contaminés de rester chez eux et de rappeler une fois qu’ils n’arrivent plus à respirer, en attendant on prend du doliprane, sic).

    A ma connaissance toutes les études allant contre ce traitement ont été menées soit sur des patients en phase terminale de la maladie, soit il s’agissait d’automédication… Bonjour l’honnêteté intellectuelle chez certains.

    Cela n’enlève bien sûr rien à la pertinence de votre blog, les points que vous soulevez au début de votre article sont à méditer par la communauté scientifique dans son ensemble.
    Que les politiciens restent également en dehors de tout cela, ils sont responsables de ce carnage et ne font qu’ajouter de l’huile sur le feu.

    Beaucoup de leçons à tirer de cette crise, et beaucoup de leçons à prendre auprès des autres nations qui ont particulièrement bien réagi (et vite) face à ce virus. Le France me fait honte, pays qui s’autoproclame grande puissance mondiale, à la médecine de pointe, laissez-moi rigoler, nos pauvres infirmières doivent se protéger avec des sacs poubelle, et vous-même il y a qq jours encore appeliez à l’aide pour avoir des visières en plastique.

  16. Albert dit :

    Mon précédent commentaire allant contre votre avis et démontant point par point votre argumentaire biaisé par des considérations commerciales n’a pas été validé à 2 reprises. Etes-vous encore un de ces médecins vendus aux labos? Je me désabonne de votre blog puisque cela a l’air d’être le cas, vous ne conservez que les commentaires allant dans votre sens, ce n’est pas comme cela que la science avancera.

    • PUautomne dit :

      En fait je ne valide pas tous les jours car je n’ai pas le temps. Et j’aime bien prendre mon temps pour lire. La patience est une qualité qui se perd dans ce monde de l’immédiateté. Ce qui m’attriste.
      Bonne continuation loin de ce blog.
      Si vous lisez tous les commentaires que j’ai laissé passer vous ne diriez pas ça. Enfin je ne crois pas que la science avance sur un blog. Éventuellement outil de communication mais pas outil scientifique.

    • Arno dit :

      Albert, si votre précédent commentaire était tout aussi « éclairé », il est effectivement préférable que nous n’en ayons point « bénéficié ». Seriez-vous des réseaux politico-universitaires du gourou marseillais, ou un simple zélateur, apeuré par le Covid-19, prêt à se raccrocher à la première superstition venue ?

  17. sebas dit :

    Bonjour. Merci bcp pour ce rappel vital à la rigueur scientifique. On en a besoin dans la période.
    A bas les préjugés !
    Pour tempérer un tout petit peu le RCT : 2 (vieux) papiers que je trouve utiles.
    Merci encore. Bonne journée.
    https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4954394/pdf/579.pdf
    https://pdfs.semanticscholar.org/9b50/fc2416cc1e21070739b9f4c72f711aa69a8c.pdf

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  19. acezat dit :

    Merci pour cette analyse sérieuse que je découvre sur un sujet qui me semble assez grave puisqu’il est possible d’envisager qu’il s’inscrit – si je puis dire – dans le cadre d’une évolution récente des idées vers l’acceptation de « faits alternatifs » même s’il y a exagération de cette mise en perspective. La citation de Bachelard est remarquable. Je vous la prends et vous en remercie.

  20. LN dit :

    Merci pour votre article et le travail que vous partager. J’apprécie également les commentaire de la personne qui se désigne par K.. Je trouve que vos deux avis se complète l’un l’autre, certains y vois peut-être une exclusion mutuelle. j’ai vois plutôt un débat de fond sur les idées, je trouve l’attitude émulante sur le plan scientifique.
    Alors un grand merci pour cette remise à plat d’une problématique complexe.

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