« Notre maladie, leçons de liberté depuis un lit d’hôpital américain » de Timothy Snyder traduit par Olivier Salvatori

Nous allons rentrer après ce week-end dans la campagne de la future élection présidentielle. Je ne pense pas que la santé sera un sujet majeur des débats, la science encore moins. Les communicants partiront du principe que ce n’est pas un bon thème car trop négatif. Il rappellera trop la mauvaise période de la pandémie que nous pensons derrière nous, ce qui reste à prouver. Au cas où la santé s’invitait dans la campagne, je ne peux que vous conseiller la lecture de ce livre. Il décrit comment la santé commerciale a conduit les USA à dépenser le plus dans le monde pour la santé tout en ayant des indicateurs très mauvais. Nous prenons ce chemin depuis plusieurs années et nous commençons à en sentir les effets. Il y a encore un peu de temps, mais pas beaucoup pour modifier notre chemin et aller vers un système de santé qui rendent les individus libres à un coût raisonnable.

Timothy Snyder est un grand historien américain spécialistes des crimes de masse du XXé siècle. Son appréciation sur le système de santé US se fait à travers le filtre de son expérience d’historien. C’est passionnant et très enrichissant pour un médecin de lire ce travail. Le point de départ est son hospitalisation fin 2019 pour une appendicite compliquée d’un abcès du foie et son errance initiale dans les méandres de la médecine commerciale US. Il explique remarquablement bien son expérience de patient et je conseille à tout jeune (ou vieux) médecin de se pencher sur ses pages. Il pointe tous nos défauts, l’absence d’écoute, de transmission de l’information, le racisme systémique, le stress et surtout notre distraction (p 33). Le téléphone est l’ennemi du soin. Il l’illustre remarquablement bien quand on lui fait sa deuxième ponction lombaire (p. 34). Les écrans nous éloignent de la clinique. Nous devons apprendre à vivre avec sans être distrait du patient. Ce n’est pas facile. C’est un véritable enjeu éducationnel. Ceux qui pensent que le plus simple serait de virer les écrans se trompent. Nous ne pouvons nous en passer, ils sont utiles. Nous devons apprendre à dompter notre relation à eux et nous souvenir que le plus important dans le soin, c’est le patient. Il y a plein d’autres choses très bien vu sur les problèmes actuels de la prise en charge, l’obsession du protocole, de remplir toutes les cases qui prend un temps infini sans apporter de plus value sauf pour le financeur et ceux qui veulent nous fliquer en continu sous prétexte de qualité. Les médecins tireront un grand bénéfice à cette lecture et avec un peu de réflectivité pourront peut être modifier les pratiques pour les améliorer.

Son expérience de patient est marquée par la rage qui permet de survivre, ce que j’appellerai la gnack du vainqueur. Cette rage qui fait qu’on ne lâche rien et qui permet de se raccrocher à la vie alors que la faucheuse est en train de couper le dernier fil. Mais il montre que la rage ne suffit pas pour se soigner, je ne parle même pas de guérison. Il faut aussi de l’empathie. Ce qu’on pourrait appeler une raison de vivre, c’est à dire la présence des autres qui nous sont chers. Il lui a fallu les deux pour sortir de ce très mauvais pas. Je crois que ceci s’applique à tous. N’avoir que la rage ou l’empathie ne suffit pas. Certains auront plus de gnack, d’autre plus de besoin des autres mais comme pour marcher avoir deux jambes est plus simple pour se soigner avoir les deux est mieux. C’est le sujet de son prologue qui s’intitule solitude et solidarité et qui résume très bien la situation. Rien que pour ces première pages vous ne regretterez pas votre lecture.

L’introduction porte sur « notre maladie ». La maladie du système de santé américain est la médecine commerciale et ses dérives. Je trouve que cette phrase sur ce que devrait être la médecin résume très bien la situation et le problème (p20):
« La médecine a pour but non de tirer le maximum de profits de corps malades et de vies abrégées, mais de favoriser la santé et la liberté de vies allongées. »
Le système de santé uniquement accès sur la quête du profit pour quelques uns empêchent la mise en place de soins de qualité centrés sur la liberté du patient. Santé et liberté sont indissociables. Ce sera le fil conducteur de ses leçons pour guérir le système de santé. Ce que je trouve remarquable est que dans son discours l’individu et le collectif s’articulent et sont indissociables. Nous devons réfléchir à ça. La liberté individuelle est le fruit des libertés collectives. Tout le contraire d’un survivaliste.

La santé est la condition d’une vie libre. Quand nous sommes malades nous ne sommes plus libres nous sommes asservis à la souffrance, au malaise, à la perte de nos capacités. Une bonne santé est la première condition d’une vie libre. Une belle leçon que devrait méditer certains qui pensent que nous vivons dans une dictature sanitaire contre leur sacro-sainte liberté qui s’arrêtera quand ils ne pourront pas faire deux pas sans être essoufflés. C’est le thème de sa première leçon, « la santé est un droit de l’homme ». L’accès universel aux soins est la condition d’une bonne santé physique mais aussi mentale (p37). « Nos existences seraient moins anxiogènes et moins solitaires, car nous ne croirions pas que notre survie dépend de notre seule position économique et sociale. Nous serions plus profondément libres. » Ils montrent comment le fait de faire de l’accès aux soins un privilège génère un cercle vicieux de souffrances pour tous. Ici on sent bien l’impact de ses travaux sur les dictatures. On croit être dans le bon cercle, le problème c’est que plus l’inégalité augmente plus le cercle se réduit et à un moment on se trouve exclu du cercle pour finir sur un cercle qui n’inclut qu’une personne, le tyran… A partir de la page 41, il analyse le déséquilibre entre solitude et solidarité comme au cœur du problème. L’accroissement de la croyance en la réussite individuel, en l’entreprenariat du soi, au détriment du collectif fait le lit de douleur qui sera manipulé pour faire croire que la seule solution est encore plus de solitude et d’individualisme alors que la solution est dans un bon équilibre entre respects des droits individuels et solidarité pour permettre même aux plus humbles le droit d’être bien soignés. Il dissèque de façon très convaincante comment le discours du self made man a posé un problème sur la prise en charge de ses maux de têtes. Il compare comment on peut soigner avec de l’empathie et pas uniquement avec de la technologie. La crise des opioïdes lui offrent un très bel exemple (p 49-50). La réponse à la désocialisation a été la prescription de pilules qui ont rendus les gens toxicomanes alors que la réponse à la souffrance aurait du être de meilleures conditions de vie et un accès au travail. Ce qui montre soit dit en passant que la santé ne peut pas avoir qu’une réponse médicale mais ne peut avoir qu’une réponse globale. Comment être en bonne santé quand on ne sait pas ce qu’on mangera demain, comment être en bonne santé si on a pas accès à une eau de bonne qualité, comment être en bonne santé si on a pas des relations humaines ne se limitant pas au commerce? Dans les dernières pages ils dénoncent comme criminels ceux qui refusent l’accès aux soins universels. Ils montrent comment ces personnes utilisent la souffrance de la majorité pour le profit d’une petite minorité. C’est la médecine commerciale US.

La leçon deux, « le renouveau commence par les enfants », repose encore une fois sur son expérience personnelle. Il compare le système autrichien de la périnatalité qui est vraiment très protecteur pour les parents et donc les enfants, à l’absence de système américain autour de la naissance et de la petite enfance. Pour vous donner envie de lire, deux phrases que je trouve très intéressante et à méditer. « Le paradoxe de la liberté tient à ce que personne n’est libre sans aide. La liberté peut paraître solitaire, elle n’en exige pas moins la solidarité.  » Ce chapitre sur l’enfance et la nécessité de protéger les parents pour qu’ils puissent s’occuper correctement de leurs enfants est un bon exemple que la santé est un fait social global et pas uniquement médical. « Dès lors que les parents et les personnes qui s’occupent des enfants savent qu’ils ont tous droits à des soins de santé, il dégagent plus de temps et de patience pour aider les enfants à devenir libres. »

La troisième leçon, « la vérité nous rendra libre », ce chapitre est un comparaison entre les systèmes totalitaires qu’il connaît si bien et la gestion mensongère de la pandémie par le président Trump. Il souligne l’importance du savoir, de la science, et des médias locaux de qualité contre les réseaux sociaux globalisant qui ne se nourrissent que de la haine. Il rappelle quelques évidences, la vérité demande du travail, personne n’aime les mauvaises nouvelles, la connaissance est la base de la liberté. Il démonte l’air de rien le mantra du big data au profit de la vraie connaissance (p89). Ce chapitre est particulièrement riche et doit être lu avec attention. Quelques phrases : « Comment les réseaux sociaux pourraient-ils promouvoir la vérité dès lors qu’ils favorisent l’addiction? », intéressant non? « La liberté d’expression prend tout son sens dès lors que nous avons quelque chose à raconter. » J’adore celle ci. « La mort de la vérité entraîne celle des gens, car la santé dépend de la connaissance. » Spéciale dédicace à Cnews et sudradio. « Nous ne pouvons être libre sans la santé, nous ne pouvons être en bonne santé sans la connaissance. » Il finit son chapitre par l’importance d’avoir un socle de connaissances communes et partagées pour faire société. Il s’agit de la solidarité informationnelle qui permet la discussion qui n’a pas pour but de convaincre l’autre ou pire de le démolir mais de s’enrichir de la parole et de la pensée d’autrui.

La quatrième leçon, « redonner l’autorité aux médecins ». Il montre comment nous avons été dépossédé de la décision, certaines choses ici s’appliquent directement à la France de 2021. Les fermetures de lits, l’optimisation des lits qui doivent toujours être remplis et pas trop longtemps, le juste à temps qui est devenu le mantra de l'(dés)organisation hospitalière. La pensée magique sur la technologie qui va permettre de faire plus vite et mieux qu’une conversation avec le patient ou qu’un bon examen clinique les yeux grands ouverts vers le corps du soigné et pas vers l’écran du téléphone, de la tablette ou de l’ordinateur. Il dénonce les dossiers médicaux électroniques qui ne servent en fait qu’ optimiser la facturation, les algorithmes de décision qui pensent surtout à l’optimisation du remplissage des lits, etc. Enfin il déplore à juste titre la disparition de la médecin de premier recours aux USA. C’est une leçon, en passant de l’importance de pouvoir faire des études sans s’endetter sur des dizaines d’années. Nous devons absolument protéger le réseautage territoriale en spécialistes de soins primaires pour avoir un accès aux soins de qualité. Une petite phrase pour flatter notre ego: « Si nous donnions aux médecins l’autorité qu’ils méritent, nous serions tous en meilleure santé, et donc plus libres. »

La conclusion est simple, couverture médicale universelle comme un droit, recherche de la vérité par la connaissance reposant sur la méthode scientifique ou du journalisme de qualité et restauration de l’autorité des médecins (contre le lobby médico-industriel) voici le chemin du rétablissement. Nous ne devons pas suivre l’exemple américain. « Aucune propagande ne peut masquer la réalité fondamentale de la médecine commerciale américaine: nous payons un prix extrêmement élevé pour acquérir le privilège de mourir plus jeune. »

Ce texte est réjouissant, il est intelligent, bien écrit, bien documenté. La dialectique entre histoire individuelle et généralités est très pertinente. Il est une importante lecture pour ceux qui veulent penser la suite de notre système de santé. Si il y a une leçon à retenir de ce livre la santé est un fait global et politique et non pas comme certains voudraient le faire croire un problème médical et technocratique avec un seul choix, le bon. Il n’aborde pas vraiment le champ de la prévention mais c’est essentiel. Elle passe par ne pas faire la promotion de conduites dangereuses comme le tabagisme, la consommation d’alcool, la consommation de produit gras, salé et sucré. Si la santé est une affaire de l’individu, c’est aussi une affaire de la société qui se doit de protéger les plus faibles et les plus fragiles. Nous devrions donner comme droit à la publicité pour les aliments autant que ce que nous faisons de temps de formation à la diététique. En pratique, on peut interdire la publicité pour la boustifaille, ou alors il va falloir inventer une nouvelle matière tout le long de la scolarité. Comment voulez vous que nous luttions contre les messages publicitaires vantant une alimentation salée, grasse et sucrée, qui sont martelés ad nauseam? L’interdiction de la publicité alimentaire serait un premier pas pour promouvoir la prévention, comme la taxation des produits trop sucrés ou trop salés.

Je finirai en vous livrant les dernières phrases du livre: « Pour être libres, nous avons besoin de notre santé. Pour rester en bonne santé, nous avons besoin les uns des autres. » C’est probablement une bonne base de discussion pour parler d’un projet de société lors de la prochaine campagne présidentielle. Comment trouver le bon équilibre entre notre solitude (nécessaire) et la solidarité (indispensable)?

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Une réponse à « Notre maladie, leçons de liberté depuis un lit d’hôpital américain » de Timothy Snyder traduit par Olivier Salvatori

  1. yann neugebauer dit :

    Ce livre a vraiment l’air intéressant!
    A titre personnel, le triptyque liberté santé dialyse me donne le vertige…

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