Le pronostic de la néphropathie à dépots mésangiaux d’IgA

La lecture de la littérature médicale vous laisse souvent dubitatif sur les raisons pour lesquelles un article est accepté, surtout quand les vôtres sont refusés. Heureusement, parfois vous lisez un article brillant qui va avoir un impact direct sur vos attitudes thérapeutiques.

C’est le cas dans l’excellente livraison de JASN express du 21 janvier 2011, tous les articles sont passionnants. Le plus important pour la pratique quotidienne du néphrologue est français, il vient de saint Etienne. Le premier auteur est un très grand monsieur de la néphrologie française, le Pr François Berthoux.

  1. François Berthoux et al., “Predicting the Risk for Dialysis or Death in IgA Nephropathy,” Journal of the American Society of Nephrology (sans date), http://jasn.asnjournals.org/content/early/2011/01/21/ASN.2010040355.abstract.

Cet article propose un nouveau score pronostic permettant de prédire le risque de survenue de décès ou de mise en dialyse et d’insuffisance rénale chronique définit par un DFG <60 ml/mn/1,73 m2, à 10 et 20 ans. L’intérêt du score proposé est d’être simple, il inclut trois éléments pronostics majeurs: la tension artérielle, la protéinurie et l’atteinte histologique. Les patients sont classés 0, 1, 2, 3, en fonction du nombre de facteurs pronostics qu’ils présentent au diagnostic, TA>140/90 mm Hg= 1 point, Protéinurie >1g/24heures= 1 point et GOS>8= 1 point. Deux des facteurs sont modifiables dans le temps, la protéinurie et la TA. Les auteurs ont généré ce score en suivant de façon prospective une cohorte de 332 patients avec une maladie de berger confirmée histologiquement pendant un temps moyen plus de 13 ans après le début de la maladie. Il faut admirer la ténacité des auteurs pour avoir réussi à recruter et à suivre ces patients. C’est un très beau travail. J’espère que toutes les cohortes qui vont être financées par le grand emprunt seront capables de produire des données aussi importantes pour les praticiens et les patients.

Les résultats obtenus sont simples. La population est représentative des maladies de berger qu’un néphrologue voit. On peut remarquer que seulement 1% de la cohorte est dans le cas de ma princesse zamonienne, diagnostic fait à la mise en dialyse, pas de chance, vraiment pas.

Dans le groupe hypertension, le décès ou le besoin de dialyse à 10 ans survient dans 15% des cas contre 3% en l’absence d’HTA et à 20 ans dans 41% contre 6%. La différence est statistiquement significative.

Dans le groupe protéinurie >1g/jour, le décès ou le besoin de dialyse à 10 ans survient dans 17% des cas contre 3% si la protéinurie <1g/jour et à 20 ans dans 41% contre 10%. La différence est statistiquement significative.

Dans le groupe Global Optical Score >8, le décès ou le besoin de dialyse à 10 ans survient dans 16% des cas contre 2% si le GOS<8 et à 20 ans dans 31% contre 4%. La différence est statistiquement significative.

Ces trois variables sont indépendantes en analyse multivariées.

Si on regroupe ces différents éléments dans un score ARR (absolute renal risk), l’incidence de décès ou de mise en dialyse sera de 2% à 10 ans et de 4% à 20 ans pour le groupe ARR=0, de 2% à 10 ans et de 9% à 20 ans pour le groupe ARR=1, de 7% à 10 ans et de 18% à 20 ans pour le groupe ARR=2, de 29% à 10 ans et de 64% à 20 ans pour le groupe ARR=3.

Dans la cohorte, la protéinurie a diminué entre le diagnostic (moyenne :0,97 g/jour) et la dernière visite de suivie (0,51 g/l), la tension est aussi mieux contrôlée (151/86 vs 138/82 mm Hg). Il semble que la prise en charge thérapeutique soit efficace dans la cohorte.

Le contrôle de la tension artérielle (TA<130/80 mm Hg pendant 2 ans) a un impact important dans le risque de mourir ou de dialyser puisque pour ceux qui ne sont jamais hypertendu 4% à 10 ans et 5% à 20 ans auront atteint ce critère primaire, contre 1% et 19% de ceux qui ont une HTA contrôlée et enfin 19 et 42 % de ceux qui ont une HTA non contrôlée. Ce n’est pas pour rien que le néphrologue doit s’acharner à obtenir un bon contrôle tensionnel dans la néphropathie à dépôts mésangiaux d’IgA.

Le contrôle de la protéinurie (protéinurie<1g/jour pendant 2 ans) a un impact important dans le risque de mourir ou de dialyser puisque pour ceux qui n’ont pas de protéinurie 3% à 10 ans et 5% à 20 ans auront atteint ce critère primaire, contre 2% et 2% de ceux qui ont une protéinurie contrôlée et enfin 29 et 67 % de ceux qui ont une protéinurie non réduite ou élevée. Ce n’est pas pour rien que le néphrologue doit s’acharner à obtenir un bon contrôle tensionnel dans la néphropathie à dépôts mésangiaux d’IgA.

Si vous ne contrôlez rien ce n’est vraiment pas bon.

Enfin, 54% des patients avec un GOS>8 ont reçu des corticoïdes, ceci n’a eu aucun effet sur la survie rénale.

Les auteurs ont validés leur score dans une cohorte rétrospective.

Cet article est une mine d’informations pour le néphrologue prenant en charge des patients avec une glomérulopathie à dépots mésangiaux d’IgA. Il fournit un score permettant d’identifier la population à risque de développer une insuffisance rénale chronique terminale. Il nous donne des chiffres pour expliquer cette maladie aux patients. Il montre que le traitement non immunologique (les patients ne prenaient pas d’huile de poissons) avec des objectifs simples TA<130/80 mm Hg et protéinurie <1 g/24h est rationnel. Ne pas arriver à ces objectifs est de mauvais pronostic.

Ce n’est pas un essai randomisé, ce n’est pas l’histoire naturelle de la maladie, ce n’est qu’un suivi prospectif de cohorte mais à défaut de mieux cet article me conforte dans ma pratique et parfois nous en avons besoin. Les effectifs à 20 ans dans certains sous groupes sont petits mais j’ai confiance dans ces données. J’étais convaincu de l’importance du contrôle tensionnel et de la protéinurie chez ces patients, je suis renforcé dans ma position. J’aime ces choses simples pour soigner une maladie dont la physiopathologie est encore bien obscure.

Un très beau travail qui va permettre de monter des études randomisées en double aveugle pour déterminer le meilleur traitement de cette maladie. Les données fournies ici sont essentielles pour le calcul d’effectif, la définition de la population à traiter et la durée de l’intervention.

Un grand merci à la cheville ouvrière de ce travail, M Berthoux.

Je recommande chaudement la lecture attentive de cet article à tous les néphrologues en formation et comme la formation est continue en médecine… Bonne lecture.

http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid54787/200-millions-d-euros-pour-les-10-laureats-de-l-appel-a-projets-cohortes.html
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4 réponses à Le pronostic de la néphropathie à dépots mésangiaux d’IgA

  1. Tadou dit :

    L’utilisation du mot « score » m’a dérangée. Pour moi, il appartient au registre sportif avec sa connotation de performance, d’exploit. J’ai bien compris le sens avec lequel vous l’avez utilisé, qui veut dire répartition, distribution suivant les facteurs. Je ne sais pas s’il est devenu courant dans le milieu médical, ou si c’est un anglicisme. En tout cas, parler de score et de patients malades, cela fait un peu penser à un article de la dresseuse d’ours : http://www.jaddo.fr/2007/09/18/tu-la-sens-ma-grosse-b/

    Cela m’a aussi rappelé le commentaire que vous aviez fait sur l’importance de la prise de tension lors des visites chez le médecin généraliste suite à un autre article de Jaddo.

    Sinon, comme à votre habitude, le résumé de l’article est rigoureux et limpide. Bravo.

    Et merci, c’est vraiment passionnant.

    Voilà le genre de réflexions que je me serais faites en lisant cet article sur « Kystes » à la différence qu’alors je n’aurais pas pris la peine de l’écrire.

    • PUautomne dit :

      Merci d’ avoir surmontée votre timidité, pour cet intéressant commentaire. Le terme de score est très largement utilisé dans le monde médical. Je ne m’ étais jamais posé la question de son utilisation avec votre angle d’ attaque.il fait que j’y réfléchisse un peu.

  2. kyra dit :

    la corticothérapie n’a aucun effet sur la survie rénale…peut-on en conclure qu’elle ne sert à rien?

    • PUautomne dit :

      Elle n’a aucun effet sur la survie rénale dans l’étude, mais on ne peut pas dire qu’elle sert à rien. La prescription n’est pas randomisée, il est possible qu’il y ait un biais de sélection , les patients les plus graves ont les corticoïdes et pas les autres, par exemple.
      Les données actuelles de la littérature sont dans un groupe de patients en faveur d’un effet (un article dont le premier auteur est Pozzi ), un défaut est l’absence de néphroprotection très stricte. Il va falloir attendre les résultats d’une très belle étude en cours en Allemagne.

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