Quand le lupus erythémateux aigu disséminé devient une maladie monogénique

Le LEAD intéresse le néphrologue car le rein est un organe cible de cette maladie dite « auto-immune ». Il peut toucher en dehors du rein, la peau, les articulations, les séreuses, le système hématopoïétique, le cœur, le système nerveux central, le tube digestif, pour les atteintes les plus fréquentes. Sa physiopathologie est complexe. Il existe un terrain génétique (fréquence des pathologies dysimmunitaires dans les familles) et des facteurs d’environnements (statut hormonal, soleil, tabac, fréquence des Ac chez les animaux de compagnies). Les patient(e)s présentent des auto-anticorps. Un des plus fréquent est l’Ac anti-DNA natif. Il s’agit d’anticorps qui reconnaissent l’ADN dans sa forme nucléosomale (double brin). La présence d’anticorps contre l’ADN à fait suggérer que ces patients pouvaient avoir une mauvaise dégradation de cet acide nucléique base de l’information génique.

Au début du siècle, des auteurs allemands ont testé cette hypothèse en créant des souris invalidés pour la DNAse1. Elles présentaient une maladie proche du LEAD avec une atteinte rénale et la présence d’anticorps anti-nucléaires.

  1. Markus Napirei et al., « Features of systemic lupus erythematosus in Dnase1-deficient mice », Nat Genet 25, no. 2 (juin 2000): 177-181.

Un groupe japonais a identifié deux patientes qui présentaient un LEAD portant la même mutation tronquante (K5X) dans DNASE1 à l’état hétérozygote. L’activité de la DNAse était diminuée. Je ne crois pas que d’autres patients avec une mutation dans ce gène aient été identifiées. Ainsi après une phase de grande excitation, le sujet des DNAses et du LEAD avait été plus ou moins oublié.

  1. Koji Yasutomo et al., « Mutation of DNASE1 in people with systemic lupus erythematosus », Nat Genet 28, no. 4 (2001): 313-314.

Dans la livraison de décembre de nature genetics, un groupe saoudien relance l’intérêt pour cette voie dans le lupus.

  1. Sulaiman M Al-Mayouf et al., « Loss-of-function variant in DNASE1L3 causes a familial form of systemic lupus erythematosus », Nat Genet 43, no. 12 (décembre 2011): 1186-1188.

Les auteurs ont fait l’hypothèse que certaines lupus pouvaient se présenter comme des maladies génétiques mendéliennes. Ils ont recherché des familles de lupiques dans la population arabe bordant le golfe persique. Cette dernière est connue pour avoir un taux de consanguinité important. Ils ont identifié sept familles avec au moins deux membres de la famille atteint d’un LEAD. Ils ont utilisé une approche d’homozygoty mapping leur permettant d’identifier une région du chromosome trois (3p14.3) associée au trait phénotypique LEAD dans 6 familles. Dans l’intervalle, il y a un homologue de DNASE1, DNASE1L3. Les chercheurs ont séquencé le gène. Tous les patients atteints portent la même mutation tronquante (p.Trp215GlyfsX2) à l’état homozygote. Dans ces familles, le lupus est une maladie mendélienne de transmission autosomique récessive, de pénétrance complète. Les auteurs ont mis en évidence un effet fondateur. La protéine mutée a perdu sa fonction DNAse. Une donnée intéressante est que sur les 17 patients atteints, 11 en plus des marqueurs traditionnels du LEAD ont des anticorps anti-cytoplasme de polynucléaires (ANCA). Il s’agit plus classiquement d’un marqueur des vascularites des petits vaisseaux. 11 patients ont une néphropathie lupique. La maladie débute dans l’enfance chez tous les patients.

Les auteurs ont cherché si leur découverte pouvait s’appliquer à des formes plus classiques de la maladie. Chez 8 patients sur 85, ils ont retrouvé à l’état homozygote un polymorphisme codant de DNASE1L3 (R206C). Cette mutation entraine une perte de la fonction DNAse. Ce polymorphisme (fréquent dans les populations caucasienne et turque) pourraient être un facteur de risque de LEAD.

Ce travail est riche d’enseignements

  1. Une bonne idée physiopathologique peut toujours être recyclée. Le rôle de la DNASE1L3 avait déjà été suggéré chez la souris.
  2. L’identification de sous groupes de patients dans des maladies complexes, en recherchant des agrégats familiaux, de préférence consanguins, combiné à la puissance de la génomique contemporaine permet de mieux comprendre la physiopathologie de ces maladies complexes et pourquoi pas imaginer pour ces familles des approches thérapeutiques.
  3. Les maladies rares, ici le LEAD génétique, peuvent permettre d’identifier des gènes candidats de susceptibilité à certaines maladies plus fréquentes, le LEAD classique.
  4. Les saoudiens sont une force émergente de la science mondiale et pas uniquement en recrutant des stars.

Il s’agit peut être d’un article fondateur, peut être d’un article sans lendemain comme ceux sur la DNASE1. Il va être très intéressant de voir si dans d’autres populations de lupiques le polymorphisme R206C est retrouvé à l’état homozygote.  Si ceci se confirme peut être que nous devrons réfléchir à apporter des DNAses aux patients lupiques.

Je pense qu’il s’agit d’une avancée importante dans la compréhension de la physiopathologie du lupus qui mérite que la fonction de cette DNAse soit étudiée plus avant. Il est possible d’imaginer que cette enzyme joue un rôle dans dégradation de l’ADN par exemple après exposition aux UVs. Un champ d’investigation nouveau s’ouvre dans cette maladie. La possibilité d’une approche enzymatique pour prévenir les rechutes est assez séduisante. Mais comme toujours avant de nous emballer attendons que ces résultats excitants soient confirmés.

 

 

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