Je republie cette note du 21 juin 2009. Je faisais encore des gardes. Je l’ai retrouvé grâce à la Wayback Machine. Je suis parti en quête de cette note car il n’y a pas longtemps sur X (finalement c’était une bonne idée de l’appeler comme ça ce réseau), j’ai lu un nom, Tullio Simoncini, que je croyais ne plus jamais entendre associé au mot cancer. Je le vois réapparaître avec horreur. Je regarde sur internet et je retrouve un site apparemment encore actif qui vante les approches soit disant thérapeutiques de ce charlatan qui je le rappelle a été condamné plusieurs fois dont une fois en Albanie à de la prison. Il ne fera plus de mal à personne car il est décédé en mai 2024. Je suis inquiet que la petite entreprise bicarbonatesque existe encore et induise des patients en erreur, faisant prendre du retard dans la prise en charge. Je le répète encore une fois, le bicarbonate ne guéri pas du cancer. Je ne mets aucun lien vers les entreprises de désinformation de ce triste sire, par contre si on vous propose sur internet une thérapeutique bizarre pour un cancer, allez consulter cette page wikipedia qui énumère toutes ces pseudo approches thérapeutiques. En attendant, vous pouvez lire ce que ça donne quand on croit plus aux miracles qu’à la science.
Internet, un mauvais conseiller pour le traitement du cancer…
Vendredi dernier, j’étais de garde, c’est un peu mon jour. Si vous appelez dans l’hopital où je sévis pour parler au néphro de garde, un vendredi, vous avez 50 à 75 % de chance ou de malchance, ça dépend, de tomber sur moi.
Depuis le milieu de l’après midi, un patient est en orbite autour du service. Un homme de 60 ans, il vient aux urgences pour altération de l’état général. Le bilan retrouve une créatininémie à 1700 µmol/l (normale moins de 120) et une kaliémie à 7 mmol/l (normale: 3,5-5,5 mmol/l). On nous appelle, on nous demande notre avis: écho rénale bien évidement et traitement symptomatique.
Un peu plus tard,
-Allo
– Il a une urétéro hydronéphrose bilatérale.
-Oui je sais; tu m’a dis qu’il avait un cancer de la vessie et qu’il était sortie d’une clinique, il y a deux jours en refusant les soins. Il faut le dériver en urgence. Est ce que tu as contrôlé sa kaliémie?
-Euh, oui, on est en train.
Une heure plus tard,
-Allo
-Les urologues veulent savoir si vous pouvez le prendre pour la lever d’obstacle?
– Bien sur.
Encore plus tard,
-Allo
-Je suis l’interne de radio, tu es l’interne de néphro.
-Oui, un vieil interne moisi qui sent pas très bon.
-Voilà j’ai pas réussi à mettre la néphrostomie, on ressayera demain.
-OK, je le prends, le monsieur.
Il arrive dans les soins intensifs à 21h30. L’infirmier m’appelle rigolard: « Encore un de tes recrutements de néphropsychiatrie, viens voir tu vas t’amuser… »
Effectivement, je découvre un homme sympathique, allongé dans le pieu, il téléphone. Le portable est éteint. Je ne sais pas encore qui il veut joindre. Il tient des propos quelques peu incohérents. En fait un mélange de paranoïa et d’excitation maniaque. Il cherche à joindre son médecin en Italie. Je commence à l’interroger, je me fais traiter de mauvais acteur. Je suis vexé. Il m’ignore. Je prends son téléphone. Il se lève dans le lit, s’arrache une perfusion, la sonde urinaire fuit. Il y a du sang et de la pisse partout dans le lit et il gueule à quelques centimètres de mon visage. Une scène magnifique. Il me menace, il veut me frapper. J’ai l’habitude. On calme le jeu. Tranquillement, je sort de la chambre. Je suis déjà fatigué. Je vais voir son bilan de contrôle espérant un miracle improbable. Il n’y a pas de miracles dans ces histoires. La créatininémie est toujours à 1700, la kaliémie à 6 et il est anémique à 6 g d’hémoglobine. Demain, il doit aller à la pose de néphrosomie, pour être tranquille, il va falloir le dialyser. J’ai pas envie, pas envie de me battre, d’expliquer ce que je vais faire à quelqu’un qui n’en a rien à faire.
Je prescrit un sédatif, je vais voir une patiente dans les étages. Je reviens, une demie heure, trois quart d’heure plus tard, je m’habille. Je rentre dans la chambre.
– « Ah le voilà, maintenant il a mis un sac poubelle sur la tête ». Chouette accueil. Pour ceux qui ne le savent pas, l’habillage pour une voie centrale, c’est bonnet (en ce moment d’un beau bleu, effectivement très sac poubelle), doudoune stérile et moufles.
Je le prend en souriant. Je lui explique ce que je vais faire (pour ceux intéressés une vidéo sur le site du NEJM ). Il tourne tout en dérision glissant d’une idée à l’autre. Il n’arrête pas de faire des jeux de mots, il est franchement grivois, ne parle que de bites. Il faut dire que sa vie ne tourne qu’autour de son pénis depuis quelques mois. Chez un homme, c’est déjà un peu une obsession, mais là c’est de la folie. Je rentre dans son jeu et on fait des contrepèteries à deux balles. L’infirmier s’y met aussi, finalement c’est sympa.
Les moufles, la seringue, la xylocaine, l’aiguille, je trouve la veine fémorale rapidement, le guide, ça monte facile. Petite pause, pour l’explication à l’externe, important la formation, elle trouve que je vais trop vite. Le moment le plus désagréable avec un cathéter de 14 french, c’est la dilatation. Ça fait mal et ça saigne surtout quand on est plein comme une huître (eau et sel). C’est le cas de mon nouvel ami. Il rigole moins. Je monte le cathéter, je fait les points, c’est allé vite, heureusement. Je suis habillé, la machine est montée, je branche, l’artère, la veine, je déclampe. C’est parti. Entre la douleur, la décharge d’adrénaline, l’insuffisance rénale et les médicaments (sédatifs et antalgiques), il s’endort. La nuit sera calme.
Le lendemain matin, bilan tôt, j’avais bien senti le coup. Malgré la dialyse, sa créatininémie est encore à 1200. Ce n’est pas le problème, mais sa kaliémie est encore à plus de 6. Allez, on repart pour deux heures de dialyse. Il est toujours aussi délirant et maniaque. Il se laisse faire, il parle, c’est sans queue ni tête, pas de problème.
Il est dérivé avec succès samedi après midi, il n’aura plus besoin de dialyser.
Lundi, il va mieux, moins agité, plus cohérent. Il commence à raconter et avec le témoignage d’amis nous arrivons à reconstituer l’histoire. Depuis deux ans, il pisse du sang. Il sait qu’il a une tumeur, il a refusé toute prise en charge conventionnelle depuis 6 mois ou un an, c’est difficile de savoir. Il suit un traitement alternatif trouvé sur internet. Il s’injecte, consciencieusement dans la vessie, en se sondant, du bicarbonate de sodium depuis au moins 6 moins. C’est un échec, ça ne peut être qu’un échec. Il ne peut encore se l’avouer, il veut continuer dans cette voie. J’ai le bourdon. Il a une tumeur vésicale énorme. Il saigne, comme un goret qu’on égorge. Le seul point positif, la fonction rénale s’améliore et il accepte de voir le psychiatre. Il aime moins l’urologue. On verra comment ça se passe.
Il nous raconte ses sondages, la douleur, la vie rythmée par l’hématurie, par les injections de bicarbonate et encore la douleur, la joie de voire les urines claires, la déception de voir le sang réapparaitre. C’est pathétique et je ne peux m’empécher d’avoir une certaine sympathie pour lui. Je ne sais pas pourquoi. Il est perdu, il s’est fait avoir, il le sait et il ne peut rien y faire.
Une histoire banal d’obstacle, me direz vous. Nous en avons un à deux par mois des comme ça plutôt des adénomes de la prostate, une tumeur de vessie ça change. C’est déprimant. Il a probablement une volumineuse tumeur qui envahit les bas uretères. La chirurgie si il l’accepte et si elle est possible risque d’être très délabrante et son pronostic est franchement mauvais. Dire qu’il aurait put être traité il y a deux ans, efficacement …
Il ne veut pas donner le nom du médecin qui lui a transmis ce savoir morbide. Il décrit sans fin le protocole « thérapeutique », comme pour exorciser. Je suis curieux. Je cherche, pas difficile avec google et les bons mots clefs et je tombe sur ça . Si vous voulez rire aller lire cette pitoyable littérature pseudo scientifique. C’est de la merde (en gras et souligné). Il n’y a aucun rationnel, c’est du vent, ce n’est rien. Il n’y a rien de vrai. C’est une construction délirante de A à Z. Ce site est dangereux.
Il aurait tendance à me faire rire, tant c’est absurde. On se croirait dans le malade imaginaire . Je ris jaune quand je vois les traitements. Le candida au coeur de toutes les tumeurs, un amalgame ridicule et le bicarbonate de sodium qui guérit tout. C’est franchement drôle, on croirait une parodie. Je rirai de bon coeur , si je n’avait pas ce patient dans les lits des soins intensifs. Il y a cru, il y croit encore probablement, de moins en moins. Avouer qu’on a fait une connerie , c’est toujours difficile. C’est triste. Il faudrait interdire ce site, le fermer et interdire à ce charlatan de parler. Je ne sais pas comment faire, comment dénoncer cette imposture dangereuse. Jusqu’à ce que je vois ce patient, je ne pensais pas qu’on pouvait croire un tel ramassis d’ineptie. C’est un scandale.
J’aime le net, je surfe depuis assez longtemps et j’aime cet espace de liberté. Mais quand je vois ce genre de sites et le résultat, j’ai des doutes. C’est bien la technologie , mais parfois…
Certainement, ce patient aurait trouvé un rebouteux quelconque si le réseau n’existait pas, mais c’est une telle caisse de résonance le 3W. Il faut garder son esprit critique, douter des remèdes miracles et des théories du complot.
J’espère qu’il s’en tirera du sale crabe.
Bonne lecture et surtout ne lâchez rien.
salut,
c’est marrant de constater l’évolution du style d’écriture…