Recevoir une chimiothérapie et transmettre l’instabilité génomique, c’est possible chez la souris

Dans ma série, pourquoi tu lis ce papier?

Voici un article de PNAS, passionnant et inquiétant, pour le prescripteur de cyclophosphamide que je suis.

Glen, Colin D., et Yuri E. Dubrova. « Exposure to anticancer drugs can result in transgenerational genomic instability in mice ». Proceedings of the National Academy of Sciences(janvier 30, 2012). http://www.pnas.org/content/early/2012/01/27/1119396109.abstract.

Les auteurs posent la question suivante: est ce que l’utilisation de chimiothérapie chez le père prédispose à l’apparition de mutations dans la descendance?

Ils ont déjà énormément travaillés sur le sujet (pubmed est votre ami). Leurs précédents travaux ont montré que l’exposition des parents à des radiations, des génotoxiques, pouvaient s’accompagner d’une augmentation de l’instabilité génomique chez les enfants (expériences chez l’animal). Il faut bien comprendre que leur problématique n’est pas d’identifier des mutations survenues dans la lignée germinale des pères et responsables de maladies génétiques mendéliennes dans la descendance. Leur but est de montrer que l’exposition à des produits banaux de chimiothérapie s’accompagne de modifications probablement épigénétiques responsable d’une augmentation de la fréquence d’apparition de mutations chez les descendants d’animaux exposés. Cette instabilité génomique pourrait faire le lit de la cancérogenèse chez les enfants.

Cet article est d’une simplicité biblique.

Les auteurs injectent un produit de chimiothérapie (cyclophosphamide ou mytomycine C ou procarbazine) à des souris mâles. Ils attendent 8 semaines et ils accouplent ses mâles avec des femelles non traitées. La subtilité est d’utiliser des males et femelle de lignées différentes. Le gène rapporteur ayant un polymorphisme de taille entre les deux lignées, il est possible de différencier l’allèle muté comme venant de la mère ou du père. Les souris F1 sont sacrifiées à 8 semaines. Leur moelle osseuse et leur epididyme sont prélevées.

La fréquence de mutation est analysé sur un locus Ms6-hm facilement analysable. Ce locus non codant présente une forme particulière de répétitions d’ADN, les expanded single tandem repeat (ESTR). Ils ont la particularité de muter facilement aussi bien en germinal qu’en somatique. Les mutations sont des mutations de longueurs facilement analysable en southern blot après amplification par une technique de single molecule PCR. C’est de la biologie moléculaire fine et élégante. Les auteurs sont des spécialistes de cette technique.

Ils ont analysé 6 animaux contrôles et 4 animaux pour chaque chimiothérapie.

Le résultat est simple. Dans la moelle osseuse et le sperme, il y a deux fois plus de mutations dans le locus Ms6-hm dans la descendance des animaux ayant reçu une seule dose de chimiothérapie que de ceux n’ayant pas reçu de produits cytotoxiques. Les mutations sont aussi bien sur l’allèle maternel que paternel. Il n’y a aucune explication quand aux mécanismes de cette mutagenèse augmentée.

Les auteurs supposent un phénomène épigénétique.

Ce papier est excessivement dérangeant. J’aimerai bien qu’une autre équipe confirme ses résultats. Il soulève de nombreuses questions. Sur le plan fondamental, comment comprendre que l’exposition unique à un génotoxique puisse augmenter la mutagenése spontanée chez les descendants, c’est troublant. Les auteurs ont des hypothèses.

Si il est confirmé, ce travail a des implications pour notre pratique. Il sous entend que potentiellement les patients ayant reçu ou recevant des alkylants pourraient transmettre une instabilité génomique à leur descendance. Les implications en terme de santé publique pourraient être importants, surveillance des enfants ou pas, prélèvement de sperme et d’ovule avant toute chimiothérapie et utilisation de l’insémination artificielle pour la procréation, par exemple.

Quelle est la durée de cette mémoire? Est ce vrai aussi chez les femmes exposées à de la chimiothérapie? Que ce passe t il à la génération suivante?

Cet article ouvre un champs immense de travail dans un domaine très peu étudié. Réaliser une étude observationnelle pour évaluer la fréquence de cancers chez les enfants de patients ayant reçu de la chimiothérapie avant la conception est un travail qui vient à l’esprit après la lecture de cet article.

Cet article est excellent, une bonne idée, une expérience simple, une réponse claire et une foule de questions soulevées aussi bien pour le scientifique que pour le clinicien. Il va faire parler de lui ce PNAS.

 

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3 réponses à Recevoir une chimiothérapie et transmettre l’instabilité génomique, c’est possible chez la souris

  1. sweet_faery dit :

    Troublant, en effet

  2. Saviglia dit :

    Bonjour,

    merci pour votre article.

    Un article récent sur le suivi d’une cohorte pédiatrique (129 enfants) donne néanmoins des résultats rassurants sur la transmission des mutations acquises au cours d’un traitement anticancéreux :

    (J Clin Oncol. 2012 Jan 20;30(3):239-45, Singorello et al :
    http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22162566 )

    « Our findings offer strong evidence that the children of cancer survivors are not at significantly increased risk for congenital anomalies stemming from their parent’s exposure to mutagenic cancer treatments »

    Dans l’éditorial qui accompagne cet article, les auteurs soulignent que ces résultats sont cohérents avec des études antérieures :

    http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22162588

    « The results of this study are consistent with the findings of the pioneering study of the pregnancies and offspring of childhood cancer survivors that was performed by Li et al in 1979, as well as those of the vast majority of subsequent studies of adverse health outcomes in the offspring of childhood and adolescent cancer survivors, including several large population-based studies »

    « The findings of the report by Signorello et al also agree with those of a Danish case-cohort study that defined genetic disease as chromosomal abnormalities, congenital malformations, stillbirths, and neonatal deaths. »

    Les limites toutefois de cette étude :
    – basée sur le self-reporting
    – utlisation d’agents alkylants, alors que dans l’étude que vous citez, c’était des molécules de chimiothérapie.

    (A remarquer cependant que la même équipe avait noté un effet de l’ethylnitrosourée (agent alkylant) sur le locus locus Ms6-hm dans sa publi de 2008 – Cancer Research, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18483245
    donc a priori je dirais que les résultats restent, dans une certaine mesure, comparables)

    Désolée pour la tartine, votre post m’a donné une idée d’article, je souhaitais partager mes investigations. Du coup, j’écris une actu sur le sujet, si vous souhaitez la relire, ce serait avec plaisir.

    Cordialement,

    Saviglia

    • PUautomne dit :

      Merci pour votre commentaire, j’ai vu cet article.
      Ils s’intéressent en fait à autre chose que le point soulevé par l’article de PNAS.
      L’article du JCO dit juste les enfants de parents ayant reçus de la CT n’ont pas de risque augmenté d’avoir une maladie génétique transmise par leur parent. Ici l’idée est que la CT entraine une mutation dans la lignée germinale des parents et puisse être responsable d’une maladie chez l’enfant.
      L’article de PNAS soulève un autre problème, une souris nait d’un père ayant reçu de la CT va avoir plus de mutation dans ses cellules somatiques que le contrôle. La question qui se pose est alors est ce que les enfants de patients ayant reçu de la CT sont plus à risque de développer un cancer par exemple en rapport avec cette augmentation de la mutagenèse. Pour répondre à cette question il faut voir si les enfants de patients avec CT ont plus de cancers que les contrôles, avec plein de biais potentiels, mais bon.
      L’article du JCO ne répond pas à la question soulevé par l’article dont je parle.
      Pas de problème pour relire.

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