Au pays des sorciers et des ours bleus…

J’aurais aimé ne jamais écrire cette note.

Pour une première note, j’aurai aimé parler de science, parler d’un bel article, parler de musique, d’un concert, d’une exposition, j’aurai aimé vous parler de mes dernières lectures, d’un superbe livre, j’aurai aimé m’indigner avec les autres sur la nouvelle campagne de pub pour le dépistage du cancer de la prostate (un conseil regardez leurs pieds). J’aurai aimé pleurer avec jean marie sur l’honneur perdu de la profession.

J’aime bien JADDO, j’aime bien son écriture, son style, son humour, sa façon de pointer nos travers. J’aime bien son indignation. Une de ces notes me trottait depuis longtemps dans la tête. Ma première note sera un hommage à cette grande blogueuse qui sera un bon écrivain.

Il était une fois, dans un pays lointain et imaginaire, la Zamonie où vivent les ours bleus, les livres qui rêvent et les chreques, une jeune princesse de 19 ans qui était fatigué.

Depuis plusieurs années, elle se plaignait de migraines. En vonembre de l’an 20010 du calendrier zamonien, elle consulte un doctorus car elle a très mal à la tête et vomit. Il lui prescrit un AINS. Ça ne marche pas. Elle revoit le doctorus qui lui fait un bilan sanguin, il est normal. Il prescrit alors du magnésium. Elle ne va pas mieux, elle voit un deuxième doctorus, un troisième doctorus, un quatrième doctorus et un cinquiéme doctorus. Chacun y va de son petit bilan biologique, de son petit traitement. Aucun ne prend la tension artérielle. C’est sur une jeune princesse de 19 ans sportive ne peut pas être hypertendu. Aucun ne fait doser la créatinine sanguine. C’est sur une jeune princesse de 19 ans, ça ne peut pas avoir une insuffisance rénale.

Après un mois et demi d’errance, les diagnostics allant de migraineuse à grande hystérique en passant par spasmophile et simulatrice, le dernier doctorus devant une dyspnée au moindre effort porte le diagnostic de pneumopathie bilatérale et lui injecte un antibiotique. Le lendemain, elle se présente aux urgences du chatopital de la martingale où elle est intubée. Elle a 250/150 mm d’Hg de tension artérielle, sa créatininémie dépasse les 2000 µmol/l, et oui une princesse de 19 ans, ça peut avoir une maladie grave.

La dialyse est débutée dans le service de tubologie trachéale, puis elle est transférée dans le service de rognonologie, où sans se poser de questions les doctorus la mettent en dialyse chronique. La tension artérielle est a nouveau mal équilibrée dans la chambre du chatopital. Elle voit mal. Elle est transférée au grand chatopital de l’université des livres qui dorment avec un diagnosticus fumitus.

Les doctorus disent que tout va bien, elle est juste anurique depuis 3 semaines. Ça ne surprend pas les doctorus, qu’une princesse de 19 ans sans antécédent médicaux ne fasse plus pipi du jour au lendemain. Elle arrive dans le chatopital universitaire. Elle ne va pas bien. Elle a toujours 220/130 mm d’Hg de tension artérielle, elle voit mal. Elle qui pouvait aller en chambre, se retrouve rapidement aux soins intensifs de rognonologie. Traitement antihypertenseur en IV, des céphalées toujours intenses conduisent l’internus de garde à l’amener au scanner. Sur le chemin, elle convulse. Elle a une encéphalopathie hypertensive avec un œdème cérébral important.

Après trois semaines d’hospitalisation, elle a toujours une HTA maligne. Les doctorus univeristarus décident pour l’instant de tenter d’équilibrer sa tension avant de se lancer dans des explorations pour tenter de comprendre pourquoi une jeune princesse de 19 ans en Zamonie, en 20011 a faillit mourir d’une HTA sévère après avoir vu une dizaine de médecins. Elle aura un scanner rénal injecté pour vérifier la perméabilité des vaisseaux rénaux et la vascularisation de ces derniers et probablement une ponction biopsie rénale. J’espère qu’ils feront mieux que leurs collègues.

Dire qu’on aurait pu découvrir il y a trois mois une hypertension artérielle moins compliquée me déprime.

Je ne sais pas, je ne comprends pas comment personne parmi les cinq médecins qu’elle a consulté, aucun ne lui a pris la tension artérielle. Ce geste si simple, si banal, qui aurait pu totalement changer la prise en charge et peut être la vie de la jeune fille.

Je ne comprends pas comment dans un service hospitalier on a pu se contenter d’expédier les affaires courantes, comment, devant une jeune fille de 19 ans étudiante, normalement insérée socialement, on n’a pas voulu aller plus loin, comment on a pu se passer d’un diagnostic.

Cette histoire me touche profondément. Elle questionne la formation initiale et la formation continue. Elle questionne la validation des acquis. Elle questionne l’absence de curiosité, l’absence d’envie d’aller au diagnostic. Je n’arrive pas à comprendre. Je suis désespéré. Comment devant des céphalées ne pas prendre la tension? Comment devant des nausées et des vomissements qui durent plus d’un mois ne pas doser la créatinine? Elle a 19 ans pas 91 ans, ce n’est pas une sans papier, elle est française, étudiante, blanche.

Cette histoire me pousse à reprendre le clavier, je me dis que peut être cette façon de raconter la médecine sensibilisera quelques uns à l’importance de prendre la tension artérielle, doser la créatinine et évaluer la protéinurie. J’aimerai que chacun soit convaincu de l’importance du diagnostic pour prendre en charge un patient. La quête du diagnostic est la base de notre métier, comment soigner sans diagnostic, ce n’est pas possible. Le diagnostic est le graal du médecin, il est l’étape indispensable, mais pas une finalité en soi. Le diagnostic est un outil pour aller plus loin pour soulager les douleurs, les blessures, pour soigner et parfois guérir les malades qui se confient à nous.

Donner le meilleur de nous même est essentiel. Je sais que ce n’est qu’une histoire de chasse, mais elle me semble symptomatique d’une tendance très nette des médecins à démissionner et à oublier la base de leur métier. Diagnostiquer, soigner, écouter, parler, donner du temps, expliquer, se former, se poser des questions, douter, lutter contre le à quoi bon, dire et encore dire que la parole du patient et sa plainte doivent être au cœur de notre pratique. Revenir au simple, à l’essentiel, écouter, prendre la tension, palper, c’est par ce chemin que la profession retrouvera un honneur bien éreinté par les conflits d’intérêts de quelques uns et les dérives d’un système malade. Alors je reviens écrire des histoires. Je n’aurai toujours pas de ligne éditoriale très claire seulement celle de partager.

Si certains veulent mettre des doigts dans le derrière de tous les hommes sans symptômes, j’aimerai juste qu’on prenne la tension des jeunes filles ayant mal à la tête… En attendant, vous pouvez allez voir la blogosphére médicale se mettre à poil.

Bonne lecture, non plus de gimmick, il faut que tout change pour que rien ne change.

Note écrite avec l’aide francesco Tristano et son nouvel album Idiosynkrasia, un petit échantillon là: francesco tristano et carl craig

Ce contenu a été publié dans Histoires de patients, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

25 réponses à Au pays des sorciers et des ours bleus…

  1. Serval dit :

    Welcome back. Et bravo d’être encore capable de t’indigner.

  2. Tadou dit :

    Je vous présente tous mes voeux de prospérité pour ce nouveau site.

    J’espère que la princesse de Zamonie s’en sortira bien quand même.

    Merci d’avoir repris du service.

    Tadou

  3. LaurenceB dit :

    Merci d’avoir repris la plume… Promis, on ne lachera pas!

  4. Catherine dit :

    Contente de te retrouver. Je te souhaite bonne année au passage et belle et longue vie à ton nouveau blog.

  5. Gélule dit :

    Ce sera une maigre consolation, mais je vais te raconter une autre petite histoire. Au pays des doctorius, il était une fois une petite interne qui était nulle en rognonologie. Elle n’y comprenait rien, tremblait de terreur devant le moindre frémissement de la créatininémie, fuyait les insuffisants du rognon comme la peste…. et puis elle a lu le blog de Kystes. Et elle s’est rendu compte qu’elle pouvait déjà commencer par des choses simples. Elle a imprimé un cours sur le ionogramme urinaire. Elle a repris ses cours de rognonologie. Et elle a commencé à se dire que même si elle n’était pas experte en rognon, elle pouvait faire son boulot de docteur généraliste en surveillant, guettant, et en adressant ses patients au spécialiste du rognon. Elle a toujours peur quelque part au fond, mais elle est devenue une pointilleuse de la créatininémie, du MDRD, et des adaptations thérapeutiques.

    Tout ça pour dire que je suis sacrément contente de te lire à nouveau. Et ce premier billet est une énorme sonnette d’alarme, un « n’oubliez pas »…
    Je vais de ce pas mettre ton lien à jour!

  6. Yann dit :

    Merci !
    Vivent les doctorus des chatopitaux des livres!

  7. Totoro dit :

    vous m’avez manqué 🙂
    fils d’un « médecin de campagne » qui n’avait que l’anamnèse et la clinique pour le guider , et travaillant dans un hôpital « moderne » ou le scanner et le labo règnent en maitres , je constate que la déshumanisation de la relation soigné/ soignant est une réalité , choquante , mais banale.
    Primum non nocere.

    Jm

  8. Natacha dit :

    Très heureuse de vous lire à nouveau
    Bravo et Merci pour elle et toutes les autres princesses de Zamonie et d’ailleurs

  9. En plus d’être intéressant, il est très joli ce blog. Contente de vous retrouver.

  10. Marie dit :

    Enfin revenu ! Vous nous aviez manqué !
    Merci pour ce billet, et pour tous ceux à venir 🙂

  11. Babeth dit :

    J’espère que la jeune princesse va mieux. Contente de vous lire, et contente de trouver un si beau regard sur les gens.

  12. doudou dit :

    chouette le retour de mon rognologue préféré!
    dans un recrutement limité de cardiologie rurale je ne me rappelle avoir vu d’ HTAM sans négligence médicale plus ou moins grave

  13. Soleil-De-Marseille dit :

    Vigilence vigilence (Maugrey ) C’est notre travail de médecin généraliste d’être sur le pont, les 1ers recours : nous ! la sentinelle : nous ! Quelle honte !

  14. mnl dit :

    bonne année et merci d’ être revenu pour tous vos lecteurs

  15. celine_r83 dit :

    ravie de relire vos mots! future médecin généraliste, j’apprécie vos notes, avec celle d’autres blogs médicaux que j’utilise un peu comme une formation médicale continue!

  16. shakespire dit :

    Continuez à partager avec nous ! Merci de votre retour et très bonne année 2011 !

  17. K dit :

    Enfin! ravie de te retrouver de nouveau…
    On avait tous besoin de ce blog je pense, les lecteurs n’ont pas tarder à l’exprimer.
    Merci beaucoup.
    Merci pour cette voix consciencieuse. La princesse dormait comme un ange ce matin…

  18. Vincent dit :

    Un patient un peu plus vieux (29 ans!) se présente chez son généraliste pour des nausées et vomissements. Il y va avec sa mère. « C’est une gastro-entérite » sera le diagnostic! La maman inquiète téléphone quelques jours plus tard car il commence à avoir des oedèmes aux jambes. « On ne peut rien faire de plus, il faut attendre! » sera la conclusion du téléphone!

    Il présente également une mauvaise haleine (halitose) qui le pousse à consulter son dentiste. Le diagnostic de celui-ci est que ce n’est pas un problème dentaire et il l’envoie aux urgences de l’hôpital.

    L’haleine de ce jeune homme sentait franchement l’urine et la créatinine était à 2’328 µmol/l avec une urée à 106 mmol/l…

    Le médecin traitant a pris la tension artérielle qui était à 180/100 mmHg. « C’est les vomissements! » avait été l’explication…

    Welcome back

  19. Ping : La princesse de Zamonie a un diagnostic | PerrUche en Automne

  20. Bonjour PerrUche,

    En cherchant ton premier post sur ton (3ème) blog, je découvre ce billet. Emouvant et visionnaire pour Jaddo.

    Ton histoire m’a interpellée pour deux raisons. La première, c’est que je n’arrive pas à croire qu’aucun médecin n’ait pris la tension de cette jeune fille. Le drame de la médecine générale, c’est que trop souvent, l’examen se résume à la prise de la tension, car c’est ce geste que le patient attend. J’ai renoncé à ne pas prendre la tension de tous mes patients, y compris ceux qui viennent pour un cor au pied et à qui je l’ai prise le mois précédent. La consultation se termine toujours, patient rhabillé par « Oh, docteur, vous avez oublié de me prendre la tension ! ». Soit c’est un extraordinaire concours de « circonstincompétences », soit elle a oublié qu’on lui a prise.

    La deuxième raison c’est qu’elle est le miroir d’une histoire qui m’a marquée.

    Une jeune femme me consulte pour une bronchite. Elle tousse depuis trois jours. Je l’ausculte et entend avec surprise des crépitants aux deux bases. Elle me confirme être essoufflée à l’effort et allongée dans son lit. TA 180/120. Bilan et radio de poumon : RAS dans le sang, aspect d’oedème pulmonaire à la radio.

    Avis cardio : RAS, probable OAP inaugural sur HTA sévère d’installation brutale.

    Traitement efficace. Vie normale. Suivi régulier.

    Quatre ans après, elle se plaint de nouveau d’essoufflement à l’effort. La TA est bonne. Bilan cardio/echo, RAS. Les signes sont discrets, je la rassure. Elle n’avait pas de Betabloquant. Elle traversait une période professionnelle et perso très difficile.

    Elle revient deux mois après. Toujours essoufflée. Pas de dyspnée orthostatique, auscultation normale. Je demande une Rx de poumon : image médiastinale suspecte.

    Scanner : envahissement médiastinal carcinomateux. Décès rapide. 45 ans.

    Je n’ai rien compris. Je n’ai pas de regrets, il n’y avait rien d’autre à faire, et rien n’aurait pu la sauver. Mais quelle drôle d’histoire.

    • PUautomne dit :

      La jeune fille va bien, elle est transplantée maintenant. On ne comprend pas toujours ce qui se passe avec certains patients. C’est la part d’inconnue si angoissante de notre métier. J’espère que l’avenir nous permettra de réduire de plus en plus cette part d’incertitude.

  21. PrincesseZamonie dit :

    Merci pour cette jolie histoire qui se termine bien, comme dans tous les contes de fée.
    La princesse de Zamonie tiens a remercier tous les doctorus des chatopitaux des livres qui l’ont suivient… Et elle peut enfin continuer, à sourire.

    • PUautomne dit :

      Merci pour ce commentaire, je suis très touché. Si ça dérange la princesse de zamonie d’avoir son histoire visible, je peux l’enlever.

  22. Dr Betterave dit :

    Merci pour cette histoire.
    Je ne suis pas médecin dans un grand chatopital de l’université des livres ni dans un petit d’ailleurs. Juste un doctorus entre les champs de patates et les champs de betteraves … une race en voix de disparition bientôt protégé par le WWF !
    Je regrette et m’interroge en tant que formateur (je suis maître de stage: des internes parisiens viennent dans ma brousse) sur l’absence de curiosité et souvent de bon sens.
    Même si nous avons de fantastiques outils d’investigations biologiques (Anticoprs anti trucmuches et radiologiques (PetIRM radionucléaire à protons), je suis étonné de l’abandon voir l’oubli progressif de la sémiologie de base par nombres de nos collègues.
    Alors n’ayant que mes mains et quelques instruments (plus un labo de radio et un petit chatopital pas trop loin), je continue à croire qu’il faut rappeler comme vous le dite que même si il n’est pas toujours indispensable à court terme, le diagnostic constitue l’épine dorsale de notre métier de médecin.
    Merci pour ce rappel que j’ai photopié et que je remets à mes internes quand ils arrivent

    PS : mon interne en stage actuellement a rencontré une situation analogue à celle que vous comptez et compte en faire une trace d’apprentissage. Il y a des raisons d’espérer car la situation fut tout autre. Dès qu’elle l’aura finaliser, je me ferai une joie de vous al faire parvenir (mon mail figure je croix en anonyme dans mes coordonnées).

  23. Ping : Wakefield ou la question des choix étranges | PerrUche en Automne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.