La loterie du codage ou vient jouer avec moi au GHM

Parmi mes activités passionnantes, je me suis collé à la vérification de dossiers en vue d’un contrôle de la sécurité sociale sur la bonne adéquation entre le codage et les données du dossier. J’ai pris ça comme une évaluation de la qualité de nos pratiques.

Le codage occupe pas mal de temps médical. Il s’agit d’identifier la pathologie qui a motivé le séjour hospitalier et les comorbidités. Nous produisons ainsi un RUM (résumé d’unité médical) qui deviendra un RSS (résumé de sortie standardisé). Pour les diagnostics nous utilisons la formidable CIM-10 de l’OMS. Le RSS permet de classer le séjour du patient dans un GHM (groupe homogène de malades) qui sera utilisé dans le cadre de notre amie la T2A à payer la structure qui a soigné le patient.

Le codage est essentiel pour ramasser le maximum d’argent. C’est devenu un sport trouver les codes qui rapporteront le plus à un instant t. La sécurité sociale vérifie régulièrement sur certains types de séjours que nous ne tentons pas de l’escroquer.

Cette fois ci il y avait 57 dossiers. Quand on est pas informatisé, c’est assez rigolo comme activité. Avec l’aide du DIM, nous avons vérifié qu’il n’y avait pas de grosses catastrophes. Pour 4 dossiers, le but de la SS est de contrôler que nous ayons bien codé la sévérité du patient (quatre niveau de 1 à 4). Par exemple, pour un GHM « insuffisant rénal dialysé » , le niveau 1 vous « rapportera » 543,21€, si il est de niveau 2 (je rajoute des comorbidités), 1085,84€, de niveau 3, 1559,97 € et de niveau 4, 2374,73 €. Le patient est classé en fonction du codage dans les RUMs. Le calcul du GHM et du tarif qui lui est attribué reste au delà de mes capacités intellectuelles. Le but de ces contrôles est de venir récupérer de l’argent. Les contrôleurs vont tout faire pour mettre le patient dans un GHM moins cher, essentiellement par le niveau de sévérité.

Nous avions revu les dossiers et nous savions que sur un RUM, il y avait une erreur de diagnostic principal. J’étais tranquille car le changement de diagnostic principal ne changeait pas le niveau nous restions en 3. Quand il y a litige on demande au médecin du service de venir discuter, certains acceptent d’autre pas. Évidement le dossier a été pointé du doigt. C’est là où ça devient très amusant.

J’arrive sur de moi et détendu.

Le médecin contrôleur, me dit d’un ton péremptoire et accusateur:

-« Vous vous êtes trompé de diagnostic principal, vous avez codé peritonite alors qu’il ne s’agissait que d’une tunellite (on parle de dialyse péritonéale). » Sous entendu, vous êtes un escroc.

-« Nous avons recoté, ce séjour passe de 3800 € à 3000€. » Jubilation du contrôleur devant son chef.

Heureusement, j’avais une petite fiche. Je demande quel code il a utilisé. Ce n’est pas celui que j’avais retenu pour la tunnelite. Je le signale. Il me prend de haut un médecin hospitalier ne peut pas être meilleur qu’un controleur sécu dans ce genre d’excercice. Je demande une vérification. J’ai raison, il s’était trompé de ligne. Moins fier devant le chef. Il repart pour remettre le RSS dans la machine qui sort le GHS. Il revient après 10 minutes, je pense qu’il a repassé le truc trois ou quatre fois. Le séjour est maintenant facturé à 3900€. Les miracles du codage, le controle sécu fait gagner 100€ à mon hopital, moi 900€.

J’ai une mine réjouie, la responsable du DIM a du mal à cacher son hilarité, les contrôleurs moins.

Cette anecdote est riche d’enseignements.

  1. Préparer un contrôle sécu est toujours utile. Ils viennent récupérer du fric, c’est tout. Je peux le comprendre. C’est aussi un peu mon argent. Nous payons tous des cotisations sociales.
  2. Le contrôleur n’est pas infaillible. Il ne faut pas hésiter à discuter. Dans le service, nous codons parfois mal, il n’y a pas de désir de voler la SS. La preuve si ce dossier n’avait pas été contrôlé nous aurions perdu 100 € et la SS les aurait gagné. Bien codé est une vraie activité à maitriser. Dans le service, c’est les seniors qui codent. On pourrait encore améliorer les choses.
  3. Le tarif du GHM reste pour moi un mystère il faudra m’expliquer quelle logique fait qu’une complication grave de la DP , un péritonite, rapporte moins qu’une complication plus banale comme la tunellite. Je suis plongé dans des océans de perplexité. Si quelqu’un peu me renseigner, j’en serai très heureux.

C’est pour ça que parfois le codage ressemble, pour le clinicien de base que je suis, à une loterie. Pas encore « la loterie de babylone » de Borges, mais bientôt nous ne serons plus loin de cette géniale et angoissante nouvelle.

Si le sujet vous intéresse et que vous voulez allez plus loin, voici un site passionnant. J’ai trouvé les tarifs à cet endroit. Vous pouvez aussi allez regarder ce tableau. Il est génial, puisque c’est les évolutions pour l’année 2011 du niveau de certaines comorbidités. Vous verrez que toutes les syndromes néphrotiques et néphritiques passent du niveau 2 à 1. Par contre, les crises de chondrocalcinose et de goutte passent de niveau 2 à 3 (un code à garder en tête). Et oui, la bonne vieille crise de goutte est devenue en un an une pathologie plus grave, il faut bien ça pour pouvoir prescrire le génial Febuxostat ou des anti-Il1. J’adore l’ONDAM. Un dernier pour la route, la naissance d’un enfant unique vivant passe de niveau 1 à 2. Quand je vous dis que c’est génial le codage.

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7 réponses à La loterie du codage ou vient jouer avec moi au GHM

  1. mnl dit :

    pour parodier le forum des étudiants en médecine : que devient la cotation de l’insuffisant rénal mordu par un crocodile, blessé par un tire-bouchon ?

    • PUautomne dit :

      Je ne sais pas mais il doit appartenir à un GHM bien précis, il faut définir ce qui est le plus grave, l’insuffisance rénale, la morsure du crocodile ou l’attaque par un tire-bouchon.
      J’espère que ça va bien, je vois en tout cas que l’humour fonctionne.

  2. nfkb dit :

    oh lalala quelle prise de tête ces codages… vous utilisez un logiciel dédié ?

    chez nous c’est toujours la prise de tête

    1) le patiente mérite-t-il son hospitalisation aux soins intensifs ou aux soins continus…
    2) quid des comorbidités qui changent un peu notre prise en charge mais qui ne se sont pas manifestées pendant le séjour (ex du coronarien)
    3) complications chirurgicales vs complications médicales…

    enfin bref, tout ça quand le gars du DIM n’est pas enthousiasmant, ça n’est plus un sport mais un sacerdoce

    ps et oui j’avais entendu dans un congrès que septicémie pouvait être plus valorisé que choc septique pour des raisons historiques… j’adore.

    • PUautomne dit :

      Quand je codais activement, 4 ans de CCA et 2ans et demi de PHU, nous n’avions pas de logiciel dédié. Les choses sont en train d’évoluer mais pas assez vite à mon gout.
      J’espère avoir un jour un logiciel qui extrait du CR automatiquement les mots clés pour les adresser aux RUM et améliorer la qualité du codage. Pour que ce ne soit pas trop casse pied il faut le prendre comme un jeu.
      Concernant le choc septique dans la v11c, il passe de niveau 4 à 3, je pense que ça va beaucoup amuser les réanimateurs 😉

  3. Pitcholl dit :

    Excellent article qui, s’il ne représentait pas une réalité effarante, serait vraiment très drôle…

    Pour ce qui est des mystère des cotations, il est simple à élucider : le postulat avant PMSI était que le privé coûtait moins que le public…

    Il fallait donc que ca se retrouve après, donc les complications graves ou rares sont moins cotées, puisque plus souvent du coté du public, le privé les y adressant fréquemment, alors que les complications bénignes ou fréquentes, plus souvent du coté du privé lucratif…

    Mais il faut dire aussi qu’il y a eu un lobbying actif de leur part, dès le début et ensuite, pour réactualiser les cotations à leur avantage…

    Naturellement, au détriment de l’accès aux soins et de l’organisation d’un système de soins efficace…

    • PUautomne dit :

      Merci pour votre commentaire, je ne suis pas sur que ce soit uniquement un lobbying de l’hospitalisation privé qui soit en cause. C’est plus prosaïquement des systèmes comptables qui sont en jeu, me semble t il. Les comorbidités fréquemment utilisées passent en niveau inférieur. C’est le cas de l’anémie (personne ne codait anémie jusqu’à ce les DIM disent attention ça rapporte, imaginez en nephro, nous n’avons plus que des niveaux 3) qui dans v11c va passer d’un niveau 3 qui était franchement indu à un niveau 2 (le jouet est cassé, il va falloir trouver autre chose). Par contre un code comme hyperéosinophilie qui était de niveau 1 va passer en niveau 2 (les codeurs retenaient peu, donc ils émergent). C’est un jeu le codage, dommage qu’il y ait autant d’argent en jeu et je ne trouve pas bien qu’on joue avec la réalité du travail des gens. C’est ça qui est désagréable. Je ne fais pas les règles.

  4. Ping : Dégressivité tarifaire et T2A, un couple amusant | PerrUche en Automne

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