Je vous recommande l’écoute de cette très intéressante émission de la fabrique de l’histoire sur Le bon Docteur Voronoff. Ce médecin français d’origine russe a eu l’idée géniale de transplanter des testicules de singes à des hommes en mal de puissance virile.
Le mélange entre médias et science ne date pas d’hier. Voronoff a fait sa renommée grâce à des moyens de communications modernes hors des canaux traditionnels de la science de l’époque. Aujourd’hui, il aurait un site internet comme le bon Dr Simoncini et un compte twitter. Il ne grefferait plus des tranches de couilles de singes mais des cellules souches. Il n’aurait plus comme clients des écrivains et intellectuels mais des joueurs de foot ou des chanteurs vieillissants. Il ferait la une du Time avec ses prédictions de survie à 140 ans…
Cette concordance des temps à presque 100 ans d’écart est troublante. Le fantasme du « tout hormonal » lié à la découverte des hormones au début du XXé siècle, ne fait que prolonger la bonne vieille théorie des humeurs. Il faut trouver une solution simple à un problème complexe, le vieillissement.
Nous n’avons pas beaucoup changé d’angle d’attaque. Il suffit de se pencher sur l’utilisation de l’hormonothérapie substitutive chez la femme et du large recours à la testostérone chez les hommes sans aucun rationnel scientifique et en minimisant les risques. Aux USA, 5,3 millions de prescriptions de testostérone en 2011, on estime à près de 5% le nombre d’homme de plus de 60 ans prenant une opothérapie à base de l’hormone virile. Nous croyons toujours à Voronoff, sans beaucoup plus de rationnel scientifique. Nous aimons rêver, nous aimons les concepts simples, en un mot, nous aimons la magie. Ceci se traduit bien par le succès actuel de la fantasy par rapport à la SF.
L’hormone porte cette dimension magique. Le coup de génie de Voronoff a été d’adjoindre à sa modernité celle de la transplantation. Alexis Carrel venait de recevoir le Nobel en 1912. Il a ensuite très bien communiqué. Malheureusement, la connaissance scientifique, en particulier l’immunologie, l’a plongé dans l’oubli. La xénotransplantation ne marche pas sans une immunosuppression importante et pose des problèmes infinis. Aucune des greffes ne pouvaient fonctionner. Malgré tout, il avait bien fait de choisir de mettre ses greffons en homotopique. Les testicules sont un lieu assez protégé des attaques du système immunitaire. On parle même d' »immune privilege ». Voronoff avait du flair et du talent. Ce très chouette documentaire lui redonne corps. Il nous interroge sur nos pratiques scientifiques, nos thèmes de recherche, la communication médicale et sur nos folles espérances. Le recul, le pas de coté, permis par l’histoire nous permet de mieux comprendre notre actualité et autorise une mise en perspective salutaire sur notre pseudo-modernité, si on prend le temps d’y réfléchir, un peu.
Je n’ai pu écouter cette émission sans penser à Boulgakov et à son formidable « coeur de chien ».
Bonne lecture, bonne écoute et merci à France Culture de nous donner du grain à moudre.