Si après vous être soulagé, vous constatez que votre urine est mousseuse et surtout que la mousse persiste comme dans la photographie introductive, je ne peux que vous conseiller de demander à rechercher si il n’y a pas des protéines dans vos urines. Ceci traduira une maladie rénale qui devra malheureusement pour vous, vous faire rencontrer un néphrologue. Ne croyez pas celui qui vous dira tu as bu trop de bière et tu pisses la mousse, même si l’origine de la mousse de la bière est du à la présence d’une protéine de l’orge, Lipid transfer protein 1.
Ce signe clinique a été relié aux maladies rénales par deux auteurs classiques en médecine, Hippocrate et Avicenne. Ceci ne remonte pas à hier et persiste comme un héritage de cette médecine de l’observation et du cas clinique. Ainsi, tous les étudiants en médecine ont appris que les urines mousseuses sont un signe de protéinurie et personne ne l’oublie. Même si personne ne demande à son patient, est ce que votre urine mousse? L’albumine ou les chaines légères des immunoglobulines ont un effet tensioactif sur l’eau comme le savon. Il s’agit de composés organiques avec un caractère amphipathique (une partie hydrophile et une partie hydrophobe). Ce qui favorise la formation de bulles d’air dans l’eau à l’interface liquide/gaz. Toute molécule amphipathique se trouvant dans l’urine peut entrainer la présence d’urines mousseuses. Un article récent fait le point sur les molécules des urines qui peuvent faire mousser le pipi. A coté des protéines et des acides aminés, il s’agit surtout de sels biliaires. Ce qui veut dire que devant des urines qui moussent, il faut aussi vérifier qu’il n’y pas de cholestase.
Maintenant que nous savons comment ça marche, avons nous une idée de la fréquence réelle de la protéinurie quand les urines moussent? Il faudrait commencer par le début. Quand doit on parler d’urines mousseuses? La comparaison avec la bière est plutôt pas mal comme vous pouvez le voir sur l’image issue de ce papier.
Pour définir de façon objective les urines mousseuses, je retiendrai la persistance d’une mousse, qui ressemble à celle de la bière, au delà de 5 minutes après avoir fait pipi dans un récipient propre et surtout sans savon à sa surface. Pas facile à faire ça, pipi et attendre 5 minutes pour voir si la mousse persiste. Ceci peut vous éviter de vous précipiter chez votre médecin et/ou de vous inquiéter pour rien. C’est juste une suggestion de définition qu’il faudrait valider de façon scientifique. Un travail pas très difficile à faire au demeurant dans un service de néphrologie, on fait pisser tous les patients dans un bocal, on prend une photo à cinq minutes, on fait définir mousse pas mousse par deux observateurs en aveugle de la présence de protéinurie et après on corrèle à la présence et à la sévérité de la protéinurie, pour voir si c’est un bon biomarqueur. Ce travail n’existe pas dans la littérature. J’ai un peu cherché.
Sur la fréquence des urines qui moussent qu’avons nous? On peut le dire, c’est un désert bibliographique. Il existe quatre papiers pour avoir une idée de la fréquence. Aucun n’est bon sur le plan méthodologique. Ils donnent juste une idée et envie de faire le boulot de façon propre. Le premier est une étude rétrospective sur dossier. Les auteurs ont repris 1248 dossiers et cherché la déclaration par le patient que ses urines moussaient. 72 patients (6%) ont signalé, j’ai le pipi qui mousse. Seulement, 16 (22%) avait une protéinurie. On ne peut pas sortir grand chose de plus de ce papier. Le deuxième est encore pire, il s’agit de la fréquence des urines mousseuses chez des patients récidivant une hyalinose segmentaire et focale après transplantation rénale. Ils ont tous on suppose une protéinurie mais sans donnée dans l’article. 15 patients et 9 qui signalent des urines qui moussent, soit 60% . Le symptôme n’est pas très gênant mais inquiétant. Le troisième est encore un travail rétrospectif et déclaratif chez des patients présentant un rein myélomateux, 8% des patients présentent des urines mousseuses. Le dernier est une série mesoaméricaine sur 46 patients avec une maladie rénale, ici on monte à 63% avec des urines mousseuses sans allez très loin dans les différences entres les deux groupes. Ensuite vous avez une ribambelle de case report qui ne nous apportent rien sur la fréquence.
Pour résumer, les urines qui moussent, ça se retrouve entre 8 et 60% des patients avec une protéinurie. Difficile de savoir si c’est un bon signe clinique ou un mauvais. Nous n’avons pas beaucoup travaillé sur le sujet depuis la médecine antique ou du moyen age.
Pour finir, je suis tombé sur ce papier, qui me rappelle que dans la COVID 19 on aura vraiment fait n’importe quoi, parole de marseillais. Les auteurs utilisent pour déterminer si le patient à la COVID et sa sévérité, un « urine foaming test ». En gros, le test, je pense, car les matériels et méthodes sont un peu justes, est je colle un papier avec du vert du orange et du rouge. Je mélange fortement le pipi dans le tube à essai et plus ça mousse plus c’est grave. L’idée étant que plus de protéines virales ou de protéines liées à l’infection passent dans les urines. C’est pas con dira un mec qui a publié sur l’utilité de la mesure de la protéinurie pour évaluer la dysfonction tubulaire proximale dans la COVID 19.
Je n’ai pas l’impression que le test ait eu un grand succès. D’autant plus qu’il n’y avait pas de protéinurie pour juste vérifier que la sévérité n’était pas du au terrain diabète, obésité ou a de la dysfonction tubulaire proximale… Un très mauvais papier à oublier qui démontre encore une fois que dans Pubmed on peut vraiment trouver des trucs nuls.
Que retenir, si vous avez les urines qui moussent, demandez à votre médecin de faire une protéinurie. Pour les médecins, valider ou invalider ce vieux signe ne serait pas du luxe en faisant une étude clinique digne de ce nom.
En médecine, savoir reconnaitre sa droite de sa gauche est important. Ceci permet de ne pas se tromper de coté quand on doit intervenir sur un organe pair. C’est mieux d’enlever le rein avec la tumeur que celui sans lésion. Parfois ceci permet de faire un diagnostic juste avec une image.
Il s’agit d’un grand classique, le situs inversus. La compréhension des mécanismes conduisant à la mise en place de la latéralité a largement bénéficié de l’observation d’un modèle murin de maladie rénale, la polykystose rénale autosomique dominante liée à PKD2. Le rôle de la polycystine-2 dans la rupture de symétrie a été confirmée chez le zebrafish. Nous avons été les premiers à publier des cas de situs inversus et d’hétérotaxie associés à des mutations de PKD2 chez l’homme.
Quand on regarde une personne, elle est extérieurement symétrique, par contre tous les vertébrés ont une organisation interne asymétrique. Le cœur est toujours localisé à gauche, par exemple. Pour fonctionner, notre organisme à besoin de cette asymétrie. La rupture de symétrie est précoce. Elle apparait dans une structure qui est présente à 15 jours de vie, le nœud embryonnaire ou organisateur gauche-droite (OGD). L’OGD est constitué de cellules avec des cils motiles qui en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre génèrent un flux orienté vers la gauche à la surface de l’embryon. Ces cellules sont au centre de l’OGD et une couronne de cellules avec des cils immotiles vont sentir le sens du flux et générer l’information qui va déterminer la gauche et la droite (pour une image c’est ici). Une fois que le flux est senti probablement par PKD2 qui génère une modulation du flux calcique un programme génétique va conduire à l’expression de Nodal du coté gauche puis de PITX2 qui va rendre la latéralisation irréversible au niveau du lateral plate mesoderm (LPM) et de l’organisme. J’ai simplifié pour en savoir plus c’est là. La gauchisation est un phénomène actif.
L’organe le plus sensible aux anomalies d’asymétrie est probablement le cœur. Je vous conseille cette très bonne revue sur le sujet. Vous verrez que tous les gènes impliqués dans la latéralisation peuvent donner des anomalies du développement cardiaque. Le zebrafish est un excellent modèle pour comprendre une partie de ces anomalies.
La latéralisation est un phénomène important toujours incomplètement compris, pourquoi les cils motiles se mettent à tourner dans le sens des aiguilles d’une montre? Retenez que bien noter le siège d’une anomalie chez un patient est capital pour faire un soin de qualité.
J’ai écouté la série d’émissions sur les familles scientifiques de Xavier Mauduit. Elles sont toutes très bien et complémentaires, de la famille Crouzet à la famille Cassini en passant par les Curie et les histoires de couples. La conclusion générale est qu’il est difficile d’être une femme en science. Dans la famille Cassini, il n’y en a pas, c’est plus simple. L’émission m’a donné envie d’aller sur le site de l’IGN et son géoportail pour regarder Marseille, version Cassini.
C’est joli et très intéressant de voir comment la toponymie a évolué ou pas. Les plages du Prado s’appelaient par exemple plage de Veaune. Vous remarquerez que le Jarret était encore à l’air libre. Avec Géoportail, vous pouvez faire changer le fond de carte. Si vous regardez la carte d’état major du milieu de 19é siècle, il y a encore le Jarret.
Sur la carte IGN 1950, il est toujours là. La décision de le recouvrir de cinq boulevards urbains ne sera pris qu’en 1954. Si vous voulez le voir avant sa transformation en rocade, c’est là.
Vous remarquerez sur la carte d’état major une grande place, c’est la Plaine, ancienne place saint Michel, actuelle place Jean Jaurès. Comme on peut utiliser des vues photographiques, je suis allé voir à quoi elle ressemblait en 1953 (le Jarret était encore à l’air libre, vous pouvez allez vérifier).
Ce n’était pas un jour de marché, contrairement à la vue actuelle.
On reconnait bien la place réaménagée avec ses jeux d’enfants. J’avais l’impression qu’il y avait peu de monde ce jour de marché. J’ai voulu zoomer et alors là…
Retour en arrière, c’est la fin d’un jour de marché de l’ancienne place. Les jeux d’enfants n’ont rien à voir et l’organisation de la circulation est bien différente. Je me demande pourquoi on a ce changement de temporalité juste en zoomant. Je trouve ça amusant ces histoires de cartes. Ce qui est bien c’est que vous pouvez avoir les dates de quand les photos ont été prises. Pour les Bdr c’est en 1923 sauf pour Marseille 10cm en 2013.
On ne peut que remercier France culture, l’IGN et Géoportail de nous donner la chance de découvrir tant de choses. C’est bien le service public à la française.
Un matin, un patient hémodialysé du centre est amené par ses ambulanciers en fauteuil alors qu’habituellement il marche. Ils l’ont retrouvé à son domicile incapable de faire deux pas. Il est incapable de bouger ses jambes. Il arrive péniblement à bouger ses bras. L’infirmière décide de le brancher en dialyse et fait appeler le médecin de garde. Quand il est arrive, le patient n’est pas encore branché mais on a pris son pouls qui est à 25 bpm. Ce n’est pas son rythme cardiaque habituel, comme vous pouvez le voir sur son ECG de base.
Le médecin accélère le mouvement du branchement en dialyse et demande qu’on injecte un peu de gluconate de calcium en IV. Un ECG pendant ce temps est fait.
Il n’est effectivement pas très rapide avec un ECG profondément modifié. Bradycardie, plus d’onde P, des QRS bien élargis et des ondes T qui ne sont pas vraiment comme on s’y attend. Pendant que la prise en charge commence à prendre forme, on fait un nouveau tracé.
Vous voyez en fin de tracé, sur le DII long, la modification de l’ECG avec une accélération du rythme, le changement de forme du QRS et des ondes T qui retrouvent la forme attendue surtout en V4 , V5 et V6. La pression dans la cervelle du médecin diminue un peu. Le bilan qu’il avait demandé arrive sur ses petites jambes.
Le diagnostic et la prise en charge était la bonne, une belle hyperkaliémie responsable d’une bradycardie extrême. La sévérité de l’hyperkaliémie explique l’absence des ondes T amples pointues et symétriques sur le premier ECG. Le gluconate de Calcium, plus la baisse de la kaliémie avec la dialyse entraine une réapparition de ces dernières.
La leçon, un dialysé qui marche plus et/ou qui est bradycarde jusqu’à preuve du contraire, c’est une hyperkaliémie et on traite comme telle.
Le traitement de l’hyperkaliémie doit être connu de tous les médecins. Le pronostic vital peut être mis en jeu très rapidement. La demande d’avis est inutile voir dangereuse pour le patient. Il ne s’agit pas d’une question de spécialiste.
Je vais vous présenter une avancée conceptuelle importante et un cadre de réflexion utile pour orienter la recherche dans le domaine métabolique, cardiovasculaire et rénale. Pour une fois et c’est rare, l’acronyme français sonne mieux que dans la langue de Shakespeare. Syndrome CReMe, c’est pour syndrome Cardio-Réno-Métabolique, une traduction du CKM anglosaxon pour Cardio-Kidney-Metabolic syndrome. Il s’agit ici d’une vision néphrocentrée. Vous excuserez mes approximations métaboliques et cardiologiques.
Bien évidement avant de commencer, mes liens d’intérêts.
Un message important, fourni par les papiers récents du GBD parus dans le Lancet, les facteurs de risque cardiovasculaire et les maladies cardiovasculaires reste la première cause de mortalité dans le monde et de façon inquiétante vont le rester en 2050. La maladie rénale chronique va devenir la 5e cause de mortalité en 2050. Nous avons pu croire que les maladies cardiovasculaires étaient en recul. Il n’en n’est rien, c’est toujours un fléau qui n’est pas près de s’arranger. Il est important d’en prendre conscience et de continuer à investir aussi bien en recherche fondamentale que clinique mais aussi en sociologie, en économie pour comprendre comment réduire cette charge importante sur les systèmes de soins et la vie des êtres humains.
Le fait de lier cœur et rein parait évident. Cette figure montre que la baisse du débit de filtration glomérulaire (DFG) s’accompagne de façon systématique d’une augmentation de la mortalité cardiovasculaire (CV), des événements CV, en particulier de l’insuffisance cardiaque qui est encore trop négligée comme complication de la maladie rénale chronique (MRC). L’augmentation de l’albuminurie s’accompagne aussi d’une augmentation du risque cardiovasculaire et ceci quelque soit le DFG. L’albuminurie est un formidable marqueur du risque cardiovasculaire, quand vous avez un patient avec une albuminurie >3mg/mmol sur un échantillon, il a plus de risque de mourir de maladie cardiovasculaire que celui qui est normoalbuminurique.
Faites des ratio abumine/creatinine urinaire (RAC) à vos patients hypertendus, diabétiques, coronariens, insuffisant cardiaque, obèse, etc
Le lien rein et maladies métaboliques (diabète et obésité) est évident mais c’est bien de le documenter. Sur les cartes de France, vous avez à droite la prévalence du diabète en population générale, à gauche, c’est chez les dialysés. En population générale, on va de 3 à 11%, en dialyse, on va de 20% à 69%. La différence est parlante. Pour l’obésité, c’est 27% des patients dialysés non diabétique et 37% des diabétiques. Là aussi pas vraiment besoin de commentaire.
Alors, c’est quoi ce syndrome CReMe?
L’intérêt de cette définition est la mise en avant de la dimension environnementale, politique et économique de ce problème de santé. Cette reconnaissance des facteurs non médicaux des déterminants de santé est une évolution majeure. La santé humaine n’est pas qu’un problème médical. Penser que nous améliorerons la santé uniquement par une approche médicale est une erreur surtout qu’on veut faire de la prévention. Le medicosolutionnisme est à la santé ce que le technosolutionnisme est au réchauffement climatique. En ne faisant de l’individu qu’un entrepreneur de sa santé sans lien avec son environnement, nous faisons fausse route. L’approche holistique du CReMe dans ses origines est un message très important, pour l’ensemble des acteurs.
Être en surpoids n’est pas qu’une question de comportement individuel ou de facteurs prédisposants mais aussi le fruit de déterminants sociaux et politiques. On parle des déserts médicaux, mais qui parle des déserts alimentaires? Pourquoi ne pas faire plus d’éducation à la santé métabolique dès la maternelle? Pourquoi ne pas imposer qu’après une publicité pour un aliment au nutriscore inférieure ou égale à C, un message publicitaire expliquant les risques du surpoids de la même durée ne soit pas imposer aux diffuseurs? Sans prise de conscience sociétale et politique du problème nous n’y arriverons pas.
Le syndrome CReMe est un continuum qui va du stade 0 (aucun facteur de risque pas de surpoids, alimentation saine, TA parfaite, activité physique dans les cibles, etc) au stade 4. Je ne vais pas m’étendre sur le stade 0.
Le stade 1 est un excès de tissu adipeux avec les définitions classiques (index de masse corporel >25 ou tour de taille >88 cm chez la femme et 102 cm chez l’homme (pensez à acheter un mètre de couturière)). Un petit rappel sur le fait que l’index de masse corporel pour parler de surpoids chez les patients asiatiques est de 23 et non de 25. Le tissu adipeux peut être en excès ou dysfonctionnel avec une glycémie à jeun entre 1 et 1,24 g/l ou une HbA1c entre 5,7 et 6,4%. L’accumulation de masse grasse est au cœur du problème et le premier pas dans ce syndrome vers les stades suivants.
Le stade 2 se caractérise par l’adjonction au stade 1 d’une hypertriglyceridémie, d’une hypertension, d’un syndrome métabolique, d’un diabète et grande nouveauté d’une maladie rénale chronique stade G3A1-2 et G1-2A3. On voit l’évolution conceptuelle majeure, la MRC est mis au même niveau que le diabète. Oui avoir une albuminurie>30mg/mmol ou un DFG<60 ml/mn/1,73m2 c’est aussi grave que d’être diabétique.
Vous pouvez voir à gauche, le stade 2 du CReMe reposant sur la fonction rénale qui s’ajoute au surpoids. La raison qui explique pourquoi l’albuminurie est quelque chose de sérieux sur le tableau de droite. Elle est associée à toutes les maladies cardiovasculaires. L’albuminurie est d’une très grande puissance pour l’évaluation du risque CV de vos patients. Ne vous en privez pas.
Le stade 3, c’est la maladie cardiovasculaire infraclinique définit soit par une atteinte athéromateuse soit par l’insuffisance cardiaque infraclinique (j’ai un NT-proBNP augmenté sans dyspnée). L’équivalent des calcifications coronariennes, à mon humble avis, plus robuste en terme de risque est la maladie rénale chronique au stade G3A2-3 et les stades G4 et G5 quelque soit l’albuminurie. Le message est fort avoir un DFG altéré de façon sévère ou de façon modéré avec une albuminurie est l’équivalent d’une atteinte coronarienne. Vous voyez aussi que le risque prédit de MCV à 10 ans si il est élevé fait rentrer les patients dans le stade 3.
Sur la figure de gauche, vous voyez ce que c’est le stade 3 coté rein. A droite, vous voyez la puissance de l’albuminurie pour prédire le risque de mortalité toute cause et surtout son évolution, en haut. Vous remarquerez que la référence n’est pas une grande nouveauté (10 ans que nous essayons de faire passer ce message sans succès). Si votre albuminurie reste stable ou diminue vous ne bougez pas votre risque de mourir par contre dès qu’elle augmente, le risque de décès augmente de façon linéaire. Sur la figure du bas c’est pour illustrer que la réduction de l’albuminurie, deux semaines après de l’introduction d’une gliflozine, prédit le ralentissement de la dégradation de la fonction rénale, le risque de progression vers la dialyse pour faire simple.
Plus on réduit l’albuminurie, plus on réduit le risque de dégrader sa fonction rénale. Un petit pipi et vous prédisez le risque de mourir et l’effet bénéfique de votre approche thérapeutique. L’albuminurie est un biomarqueur très cool.
Les équations PREVENT, c’est l’entrée dans l’équation de base, de la fonction rénale pour prédire le risque CV. Une avancée conceptuelle importante qui met la fonction rénale au même niveau que les facteurs de risque traditionnels. Une vraie révolution, la fonction rénale est un facteur de risque cardiovasculaire au même titre que le tabac ou l’hypercholestérolémie. Lire ça dans la bible des cardiologues fait chaud au cœur. Le rein est indissociable du cœur. Internes de cardiologie venez faire un tour en néphrologie, vous verrez on est sympa. Dans l’équation élargie, on ajoute l’albuminurie (et pas les triglycérides); l’HbA1c et le truc pour lequel nous sommes très mauvais les déterminants sociaux de santé ( dans le calcul aux USA, il suffit de rentrer le code postal du patient).
Un petit exemple de calcul, le patient a un DFG à 40, 55 ans et reçoit un traitement antiHTA avec succès et pas d’albuminurie, son risque de maladie CV est de 7% à 10 ans. On change juste l’albuminurie pour la mettre à 50 mg/mmol et maintenant le risque à 10 passe à 14%. J’espère que vous êtes convaincus de la puissance de l’albuminurie pour vous aider à mieux prédire le risque CV.
Manger mieux (pas d’ultra transformés, des fruits et légumes, peu de protéines animales et de l’huile d’olive, le régime méditerranéen)
Être plus actif
Arrêter la consommation de tabac
Dormir bien
Surveiller son poids
Surveiller son cholestérol
Surveiller sa glycémie
Surveiller sa pression artérielle
Au stade 1: lutter contre le surpoids
Au stade 2 et 3: pour les reins, en plus des mesures cités plus haut, le blocage du SRA (IEC ou sartans) et les gliflozines doivent être au cœur du traitement et bientôt nous rajouterons les agonistes du récepteur du GLP1. Bon équilibre glycémique et contrôle optimale de la pression artérielle (pensez au sel) sont essentiels pour réduire le risque cardiovasculaire et éviter de tomber dans le stade 4.
Le stade 4: La maladie cardiovasculaire clinique, malheureusement nous n’avons pas été assez convaincant sur la prise en charge et le patient fait un événement cardiovasculaire. Il ne faut pas baisser les bras mais profiter de la prise de conscience qui accompagne cet événement majeur pour mettre en place ou renforcer le traitement.
Pour le rein chez le patient avec un diabète, vous retrouverez nos futurs 4 fantastiques:
Les bloqueurs du Système Rénine Angiotensine (Inhibiteur de l’enzyme de conversion et sartans)
Les inhibiteurs de SGLT2
Les antagonistes non stéroïdiens du récepteur aux minéralocorticoïdes
Les agonistes du récepteur du GLP1.
Pour les non diabétiques, les 2 premiers et c’est déjà pas mal.
Le syndrome CReMe vient d’être décrit et les premières publications arrivent. Aux USA, deux articles sur la même cohorte retrouve forcément la même chose. Seulement 10% des plus de 20 ans sont au stade 0. Ce qui veut dire que 90% de la population américaine est crémeuse… Le stade 2 est le plus fréquent. Le stade 3, le moins fréquent du fait probablement de l’absence de dépistage systématique dans le stade 2. Ce qui est assez effrayant c’est que le stade 4 avec 9,2% est presque aussi fréquent que le 0.
On peut se dire qu’on fait du Knock avec le syndrome CReMe. Je ne crois pas. La lutte contre le surpoids est essentiel pour éviter l’entrée dans le syndrome et surtout limiter sa progression. Nous sommes confrontés à un vrai problème de santé publique qui a un impact important sur la vie des individus et sur la société, il faut agir.
Dire, « le surpoids ce n’est pas bon pour la santé », n’est pas être grossophobe. C’est juste la réalité. Le surpoids et son évolution l’obésité est un sujet difficile sensible qui renvoie à énormément de dimensions souvent très intime de l’individu. Notre rapport à l’alimentation n’est pas simple et il y a une forme d’injustice à voir certains manger sans prendre un gramme alors que d’autres juste en regardant le menu grossissent. Il faut limiter l’exposition du menu. Perdre du poids n’est pas facile dans une société qui ne fait rien pour aider à cette prise de conscience et à la lutte contre la malbouffe. Le syndrome CReME en montrant le continuum d’une situation banale, j’ai des bourrelets, à je fais un infarctus du myocarde doit être un outil aidant d’abord les médecins à prendre conscience du problème pour aider les femmes et les hommes et les non binaires à contrôler leur poids. Le soutien politique serait le bienvenu.
Nous débouchons sur une vision adipocentrique des maladies rénales et cardiovasculaires. Ce n’est pas un scoop, mais c’est important d’en faire la publicité.
Le gras a un impact sur le rein de façon direct en favorisant l’hyperfiltration, ce qui n’est pas bon. Je vous renvoie à la quatrième diapo pour le voir. L’accumulation de gras favorise l’apparition d’autres problèmes métaboliques, diabète en particulier, mais aussi HTA. Il favorise le stress oxydant, l’inflammation, l’insulinoresistance et la dysfonction endothéliale qui en compagnie de l’altération de la fonction du rein font le lit des maladies cardiovasculaires. On peut aussi dire que l’altération de la fonction du rein a un impact péjoratif sur la pression artérielle, sur l’insulinorésistance, favorise l’inflammation, entraîne une dysfonction endothéliale et probablement a des effets sur la fonction des adipocytes. Le champ de recherche pour comprendre comment ça marche est immense et passionnant.
Si il fallait une démonstration de ces liaisons dangereuses gras-système cardiovasculaire et gras-rein. Les résultats récents obtenus avec un agoniste du récepteur du GLP1 chez les patients obèses, le semaglutide, essai SELECT. 2,4 mg de sémaglutide dans cette population de patients, stade 4 du CReMe, réduit le risque de MACE et réduit le risque de mortalité toute cause. Il y a une perte de poids de l’ordre de 10% du poids et une baisse de la PAS de 3,8 mm Hg. Perdre du gras, c’est bon en prévention des événements cardiovasculaires. Pour le rein, dans une analyse préspécifiée publiée dans Nature Medicine, l’utilisation du sémaglutide s’accompagne d’une diminution des événements rénaux. C’est tiré par l’albuminurie. On peut trouver ça modeste mais quand on connaît l’importance de l’albuminurie comme facteur prédictif des événements CV et rénaux, c’est une réussite majeure.
Pour continuer avec perdre du gras, c’est bien. L’étude FLOW publiée dans le NEJM. Cette fois ci, on inclut des patients diabétiques, obèses avec une maladie rénale chronique. Lors de la présentation de la population, j’ai reconnu certains de mes patients. Le critère principal d’évaluation sont les MAKEs, l’équivalent des MACEs pour le rein. L’intervention, 1 mg de sémaglutide par semaine, dose facile à atteindre si on fait l’augmentation de doses correctement. D’ailleurs très peu d’arrêts en rapport avec un effet secondaire. Les résultats sont spectaculaires.
Réduction des événements rénaux, réduction de la mortalité cardiovasculaire et le plus important réduction de 3% de la mortalité toute cause. Pour le critère principal d’évaluation à 156 semaines, le NNT est à 20, pour les MACEs, c’est un NNT à 45 et pour la mortalité toute cause il faut traiter 39 patients pendant 3 ans pour éviter un décès. Ça réduit la protéinurie, le poids et la pression artérielle. Très impressionnant comme résultat, le gras n’est pas bon pour les patients diabétiques avec une MRC.
Ces deux résultats sont une confirmation que le continuum CReMe est une approche puissante pour améliorer la prise en charge des patients avec une maladie rénale chronique et/ou d’une maladie cardiovasculaire.
Une autre classe thérapeutique qui joue sur le métabolisme avec une efficacité impressionnante. Non, vous n’y échapperez pas, il faut bien que je justifie ma dia de liens d’intérêts. J’appelle les gliflozines à la barre.
J’ai choisi une métaanalyse récente de 15 essais cliniques portant sur 100 592 patients répartis en 4 groupes et qui évalue l’impact de la classe sur la poussée d’insuffisance cardiaque et sur la mortalité cardiovasculaire. Je vous rappelle juste que dans la MRC, la dapagliflozine réduit la mortalité toute cause en plus de ralentir la dégradation de la fonction rénale. Là aussi les résultats sont spectaculaires et importants pour les patients.
Les iSGLT2 diminuent le risque de poussée d’insuffisance cardiaque de façon homogène dans quasiment toutes les situations avec un petit plus dans le cas où les patients ont une MRC ou un diabète (on parlerait pas de CKM?). Ce résultat est majeur en premier pour les patients car ils sont rares, ceux aimant être hospitalisés. Si on réduit les besoins en hospitalisation, la sécurité sociale devrait être heureuse donc votre portefeuille devrait l’être aussi car le coût du soin diminue. Tout le monde est gagnant avec les gliflozines. Les iSGLT2 réduisent aussi la moralité cardiovaculaire dans quasiment tous les groupes avec encore une fois une prédilection pour la MRC et le diabète.
Une belle illustration de la raison pour laquelle, cette classe thérapeutique est au cœur de la prise en charge du syndrome CReMe dès le stade 2.
Comme je suis un éternel insatisfait, il fallait bien que je trouve une limite au syndrome CReMe. Il manque le colon, son microbiote et bien évidement mes chères toxines urémiques. Il a été récemment publié un papier qui montre comment les gliflozines modifient la production de certaines toxines urémiques et pourraient ainsi expliquer leur effet cardioprotecteur. Une saine lecture.
Je finirai sur l’importance que tous les soignants s’emparent du syndrome CReMe pour faire de la prévention. Cette image résume bien la situation. Je suis convaincu qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Lutter contre les déterminants sociaux et environnementaux est essentiel pour réduire le risque de surpoids et toutes ses conséquences. Même si nous avons de plus en plus de molécules efficaces, le mieux serait de ne pas avoir à les utiliser. Aucun médicament n’est dénué d’effets secondaires. Le mieux pour les éviter est de ne pas avoir besoin de prendre un médicament. Prévenir par l’éducation, la lutte contre la publicité, l’utilisation des outils comme le nutriscore et une information sur les risques doit être au cœur de la politique de santé. Les médecins ne sont qu’un maillon de la chaîne de prévention. Nous ne pourrons pas nous en sortir sans des outils de régulation de la quantité de sel, de sucre ou de gras mis dans l’alimentation et je ne parle pas de ce qui a le plus d’impact, l’ultratransformation des aliments.
J’espère vous avoir convaincu que le CReMe est un outil conceptuel puissant pour repenser le soin métabolique, cardiovasculaire et rénale.
J’espère aussi vous avoir convaincu de l’importance de doser l’albuminurie chez vos patients, outil de dépistage et de stratification du risque indispensable, mais aussi outil de suivi de vos interventions thérapeutiques qui permettront de les guider au mieux.
Je republie cette note du 21 juin 2009. Je faisais encore des gardes. Je l’ai retrouvé grâce à la Wayback Machine. Je suis parti en quête de cette note car il n’y a pas longtemps sur X (finalement c’était une bonne idée de l’appeler comme ça ce réseau), j’ai lu un nom, Tullio Simoncini, que je croyais ne plus jamais entendre associé au mot cancer. Je le vois réapparaître avec horreur. Je regarde sur internet et je retrouve un site apparemment encore actif qui vante les approches soit disant thérapeutiques de ce charlatan qui je le rappelle a été condamné plusieurs fois dont une fois en Albanie à de la prison. Il ne fera plus de mal à personne car il est décédé en mai 2024. Je suis inquiet que la petite entreprise bicarbonatesque existe encore et induise des patients en erreur, faisant prendre du retard dans la prise en charge. Je le répète encore une fois, le bicarbonate ne guéri pas du cancer. Je ne mets aucun lien vers les entreprises de désinformation de ce triste sire, par contre si on vous propose sur internet une thérapeutique bizarre pour un cancer, allez consulter cette page wikipedia qui énumère toutes ces pseudo approches thérapeutiques. En attendant, vous pouvez lire ce que ça donne quand on croit plus aux miracles qu’à la science.
Internet, un mauvais conseiller pour le traitement du cancer…
Vendredi dernier, j’étais de garde, c’est un peu mon jour. Si vous appelez dans l’hopital où je sévis pour parler au néphro de garde, un vendredi, vous avez 50 à 75 % de chance ou de malchance, ça dépend, de tomber sur moi.
Depuis le milieu de l’après midi, un patient est en orbite autour du service. Un homme de 60 ans, il vient aux urgences pour altération de l’état général. Le bilan retrouve une créatininémie à 1700 µmol/l (normale moins de 120) et une kaliémie à 7 mmol/l (normale: 3,5-5,5 mmol/l). On nous appelle, on nous demande notre avis: écho rénale bien évidement et traitement symptomatique.
Un peu plus tard,
-Allo
– Il a une urétéro hydronéphrose bilatérale.
-Oui je sais; tu m’a dis qu’il avait un cancer de la vessie et qu’il était sortie d’une clinique, il y a deux jours en refusant les soins. Il faut le dériver en urgence. Est ce que tu as contrôlé sa kaliémie?
-Euh, oui, on est en train.
Une heure plus tard,
-Allo
-Les urologues veulent savoir si vous pouvez le prendre pour la lever d’obstacle?
– Bien sur.
Encore plus tard,
-Allo
-Je suis l’interne de radio, tu es l’interne de néphro.
-Oui, un vieil interne moisi qui sent pas très bon.
-Voilà j’ai pas réussi à mettre la néphrostomie, on ressayera demain.
-OK, je le prends, le monsieur.
Il arrive dans les soins intensifs à 21h30. L’infirmier m’appelle rigolard: « Encore un de tes recrutements de néphropsychiatrie, viens voir tu vas t’amuser… »
Effectivement, je découvre un homme sympathique, allongé dans le pieu, il téléphone. Le portable est éteint. Je ne sais pas encore qui il veut joindre. Il tient des propos quelques peu incohérents. En fait un mélange de paranoïa et d’excitation maniaque. Il cherche à joindre son médecin en Italie. Je commence à l’interroger, je me fais traiter de mauvais acteur. Je suis vexé. Il m’ignore. Je prends son téléphone. Il se lève dans le lit, s’arrache une perfusion, la sonde urinaire fuit. Il y a du sang et de la pisse partout dans le lit et il gueule à quelques centimètres de mon visage. Une scène magnifique. Il me menace, il veut me frapper. J’ai l’habitude. On calme le jeu. Tranquillement, je sort de la chambre. Je suis déjà fatigué. Je vais voir son bilan de contrôle espérant un miracle improbable. Il n’y a pas de miracles dans ces histoires. La créatininémie est toujours à 1700, la kaliémie à 6 et il est anémique à 6 g d’hémoglobine. Demain, il doit aller à la pose de néphrosomie, pour être tranquille, il va falloir le dialyser. J’ai pas envie, pas envie de me battre, d’expliquer ce que je vais faire à quelqu’un qui n’en a rien à faire.
Je prescrit un sédatif, je vais voir une patiente dans les étages. Je reviens, une demie heure, trois quart d’heure plus tard, je m’habille. Je rentre dans la chambre.
– « Ah le voilà, maintenant il a mis un sac poubelle sur la tête ». Chouette accueil. Pour ceux qui ne le savent pas, l’habillage pour une voie centrale, c’est bonnet (en ce moment d’un beau bleu, effectivement très sac poubelle), doudoune stérile et moufles.
Je le prend en souriant. Je lui explique ce que je vais faire (pour ceux intéressés une vidéo sur le site du NEJM ). Il tourne tout en dérision glissant d’une idée à l’autre. Il n’arrête pas de faire des jeux de mots, il est franchement grivois, ne parle que de bites. Il faut dire que sa vie ne tourne qu’autour de son pénis depuis quelques mois. Chez un homme, c’est déjà un peu une obsession, mais là c’est de la folie. Je rentre dans son jeu et on fait des contrepèteries à deux balles. L’infirmier s’y met aussi, finalement c’est sympa.
Les moufles, la seringue, la xylocaine, l’aiguille, je trouve la veine fémorale rapidement, le guide, ça monte facile. Petite pause, pour l’explication à l’externe, important la formation, elle trouve que je vais trop vite. Le moment le plus désagréable avec un cathéter de 14 french, c’est la dilatation. Ça fait mal et ça saigne surtout quand on est plein comme une huître (eau et sel). C’est le cas de mon nouvel ami. Il rigole moins. Je monte le cathéter, je fait les points, c’est allé vite, heureusement. Je suis habillé, la machine est montée, je branche, l’artère, la veine, je déclampe. C’est parti. Entre la douleur, la décharge d’adrénaline, l’insuffisance rénale et les médicaments (sédatifs et antalgiques), il s’endort. La nuit sera calme.
Le lendemain matin, bilan tôt, j’avais bien senti le coup. Malgré la dialyse, sa créatininémie est encore à 1200. Ce n’est pas le problème, mais sa kaliémie est encore à plus de 6. Allez, on repart pour deux heures de dialyse. Il est toujours aussi délirant et maniaque. Il se laisse faire, il parle, c’est sans queue ni tête, pas de problème.
Il est dérivé avec succès samedi après midi, il n’aura plus besoin de dialyser.
Lundi, il va mieux, moins agité, plus cohérent. Il commence à raconter et avec le témoignage d’amis nous arrivons à reconstituer l’histoire. Depuis deux ans, il pisse du sang. Il sait qu’il a une tumeur, il a refusé toute prise en charge conventionnelle depuis 6 mois ou un an, c’est difficile de savoir. Il suit un traitement alternatif trouvé sur internet. Il s’injecte, consciencieusement dans la vessie, en se sondant, du bicarbonate de sodium depuis au moins 6 moins. C’est un échec, ça ne peut être qu’un échec. Il ne peut encore se l’avouer, il veut continuer dans cette voie. J’ai le bourdon. Il a une tumeur vésicale énorme. Il saigne, comme un goret qu’on égorge. Le seul point positif, la fonction rénale s’améliore et il accepte de voir le psychiatre. Il aime moins l’urologue. On verra comment ça se passe.
Il nous raconte ses sondages, la douleur, la vie rythmée par l’hématurie, par les injections de bicarbonate et encore la douleur, la joie de voire les urines claires, la déception de voir le sang réapparaitre. C’est pathétique et je ne peux m’empécher d’avoir une certaine sympathie pour lui. Je ne sais pas pourquoi. Il est perdu, il s’est fait avoir, il le sait et il ne peut rien y faire.
Une histoire banal d’obstacle, me direz vous. Nous en avons un à deux par mois des comme ça plutôt des adénomes de la prostate, une tumeur de vessie ça change. C’est déprimant. Il a probablement une volumineuse tumeur qui envahit les bas uretères. La chirurgie si il l’accepte et si elle est possible risque d’être très délabrante et son pronostic est franchement mauvais. Dire qu’il aurait put être traité il y a deux ans, efficacement …
Il ne veut pas donner le nom du médecin qui lui a transmis ce savoir morbide. Il décrit sans fin le protocole « thérapeutique », comme pour exorciser. Je suis curieux. Je cherche, pas difficile avec google et les bons mots clefs et je tombe sur ça . Si vous voulez rire aller lire cette pitoyable littérature pseudo scientifique. C’est de la merde (en gras et souligné). Il n’y a aucun rationnel, c’est du vent, ce n’est rien. Il n’y a rien de vrai. C’est une construction délirante de A à Z. Ce site est dangereux.
Il aurait tendance à me faire rire, tant c’est absurde. On se croirait dans le malade imaginaire . Je ris jaune quand je vois les traitements. Le candida au coeur de toutes les tumeurs, un amalgame ridicule et le bicarbonate de sodium qui guérit tout. C’est franchement drôle, on croirait une parodie. Je rirai de bon coeur , si je n’avait pas ce patient dans les lits des soins intensifs. Il y a cru, il y croit encore probablement, de moins en moins. Avouer qu’on a fait une connerie , c’est toujours difficile. C’est triste. Il faudrait interdire ce site, le fermer et interdire à ce charlatan de parler. Je ne sais pas comment faire, comment dénoncer cette imposture dangereuse. Jusqu’à ce que je vois ce patient, je ne pensais pas qu’on pouvait croire un tel ramassis d’ineptie. C’est un scandale.
J’aime le net, je surfe depuis assez longtemps et j’aime cet espace de liberté. Mais quand je vois ce genre de sites et le résultat, j’ai des doutes. C’est bien la technologie , mais parfois…
Certainement, ce patient aurait trouvé un rebouteux quelconque si le réseau n’existait pas, mais c’est une telle caisse de résonance le 3W. Il faut garder son esprit critique, douter des remèdes miracles et des théories du complot.
Il est certaines œuvres qui vous bouleverse. J’ai failli ne pas acheter ce recueil. Il a traîné longtemps avant que je ne l’ouvre. Il est venu avec moi en déplacement. je l’ai lu dans une chambre d’hôtel sans charme et dans une salle de petit déjeuner bruyante. J’ai pleuré. Émotion brute. Je ne saurais vraiment pas expliquer autrement ces larmes. La qualité du poème et la puissance de l’art ont raisonné en moi.
Larmes nées de la honte, honte d’avoir détesté quelqu’une, pas pour ce qu’elle était mais pour ce que les médias en avaient fait. Honte d’avoir raté une œuvre monumentale et troublante. Honte d’avoir accepté ce narratif de la méchante femme asiatique qui pervertit le gentil homme blanc en détruisant le plus grand groupe de pop du monde. Honte d’avoir admis ce racisme ordinaire, cette misogynie de bas étage. Oui, une des artistes le plus important du XXe siècles est une femme japonaise, riche, déracinée et veuve.
Je pleure sur la souffrance de cette femme si forte et si fragile. Tout ce bruit alors qu’il n’y avait qu’une aspiration au silence. Travailler pour oublier la perte. Prouver qu’on peut, même si on est femme. J’ai rarement aussi bien senti, la difficulté d’être femme dans un monde fait par les hommes et pour les hommes. Ce que nous n’avons pas supporté de Yoko Ono, c’est ce que nous trouvons admirable chez les hommes. L’assignation de genre est une mécanique mortifère. J’ai une honte terrible d’avoir accepté ça sans réfléchir.
Elle a inventé la performance avec d’autres. Son œuvre a été largement pillé, sans vergogne et sans lui rendre justice. Elle a souffert de part sa famille totalement folle, peut être une forme d’identification dans mes larmes. Travailler pour oublier la douleur de la perte, quelle connerie. Comme les réflexes familiaux reviennent au galop quand on souffre. Comme il est détestable de ne pas être capable de surmonter notre héritage pour être nous.
Si troublant, ce texte, si troublant cette expérience littéraire, si troublant ces images en noires et blancs. Si troublant, cette œuvre qui raconte la vie d’une femme dont la vie est une œuvre d’art.
Un exemple du talent de cette très grande artiste.
Un jeu d’échec entièrement blanc qui illustre l’absurdité de la guerre. Chaque adversaire joue jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus reconnaître leurs pièces. Ceci soulève une très belle question sur l’identité. Est ce que le noir ou le blanc que la génétique nous assigne nous résume? Ne sommes nous pas avant tout, des humains qui plutôt que de s’entre-tuer et se haïr devraient essayer de se comprendre et se respecter.
Elle fait ce qu’elle veut Yoko Ono en ne cédant rien. Le refus de la convention sociale est radicale. Je suis troublé par la force de l’évocation de Yoko Ono dans ce texte. Forcement je pense à Oe et à son absence absolue de bienséance au service du texte et de la transmission de son expérience de vie dramatique, sans fard
C’est probablement ça qui me bouleverse, découvrir qu’on peut être soi mais qu’il faut accepter d’être détesté pour de mauvaises raisons. Je n’aurai pas aimé être le fils de Yoko Ono mais j’ai une grande admiration pour elle et pour son expérience. Les œuvres décrites dans le texte sont d’une grande force et remuent nos méninges comme rarement.
On devrait plutôt dire de John Lennon, ce musicien anglais vous savez le mari de Yoko Ono plutôt que l’inverse. La musique des Beatles est probablement moins dérangeante que les œuvres de Yoko Ono.
Vous l’avez compris, j’aime ce texte.
L’autrice parle mieux de sa poésie que moi. J’en profite pour la remercier de m’avoir fait découvrir Yoko Ono.
Il y a 60 ans, une femme d’origine juive était invitée à Göttingen pour chanter dans un théâtre étudiant. Elle refusa, nous n’étions que 20 ans après la seconde guerre mondiale. Devant l’insistance de cette jeunesse, elle y alla. Elle fit un peu sa diva mais au lieu de chanter deux soirs, elle resta une semaine. Avant son retour sur les bords de la seine, elle fit un cadeau à ces étudiants qui lui avaient montré l’espoir d’une réconciliation. Que peut offrir une artiste? Une chanson.
Écoutez bien les paroles, elles sont si actuelles. Espoir de transcender nos différences, nos rancœurs pour vivre ensemble, pour s’écouter et se respecter. Nous pouvons avoir des opinions différentes, nous devrions pouvoir les partager sans pugilat et sans haine. Arrivez à dépasser les horreurs est essentiel pour ne pas se noyer dans le drame. Il est facile de se laisser emporter par la haine, bien plus difficile de pardonner et de construire un futur commun. Cette chanson est une illustration de la beauté que nous pouvons atteindre quand nous dépassons nos peurs de l’autre. Nous n’avons pas trop le choix, comme l’avait si bien dit Carl Sagan, il a 30 ans.
Dans sa générosité, elle qui fut poursuivie à travers la France de par son origine, elle chanta aussi en Allemand.
Je vous conseille pour aborder l’histoire de cette très grande artiste, cette émission.
Comme j’en suis aux anniversaire à chiffre rond. Il y a 50 ans, jour pour jour, un 25 avril, une révolution fleurie abattait une des dernières dictatures européennes, l’Estado Novo de Salazar puis Caetano. Pour en savoir, plus je vous conseille la très bonne série sur la révolution des oeillets du cours de l’histoire de cette semaine. La révolution commença en chanson.