Grace à l’excellente émission de François Saltiel, la fabrique de l’information, j’ai regardé « 13 Novembre nos vies en éclats« . Regardez ce documentaire, issu de l’incroyable et hors norme programme de recherche 13.11. Il peut être vu comme un mémorial aux 131 victimes de cette nuit, comme la preuve éclatante de l’importance de la recherche publique française, comme une trace importante de ces journées terribles. J’y vois un témoignage choral sur l’expérience du stress post traumatique. Dans le cadre de 13.11, 1 000 personnes répondent à des questions standardisées pour comprendre le processus mémoriel. Ici, un dizaine d’êtres humains, profondément humains, se livrent en trois interviews, la première quelques mois après les attentats en 2016, le deuxième en 2018 et enfin en 2021. Je les remercie d’avoir accepter que l’autrice ait pu utiliser ce matériel pour ce travail indispensable.
Certains pensent que le stress post traumatique, c’est un truc de loosers, de faibles. Le stress post traumatique touchent tout le monde. Le documentaire illustre ses variations, les réponses individuelles dans un échantillonnage qui couvre de nombreuses situations, toutes? Dès la première séquence, vous comprenez. La jeune femme, à 5 ans d’écart, a la même gestuelle, les mêmes blancs, la même émotion qui l’écrase, la submerge, l’engloutit. J’entends les gros durs, oui c’est une femme, elle n’a rien pu faire, juste être le témoin. L’enchainement avec le major de la garde républicaine, pas une femme, un homme à cheval, un militaire, un dur, qui pleure comme une madeleine six ans après les faits; illustre que tout un chacun peut être victime de sa mémoire traumatique. Certains diront, il n’a pas été vraiment dans l’action, cette absence d’agentivité est responsable, il n’était pas préparé. Le témoignage du divisionnaire, plombé par l’émotion incapable de se livrer en dehors de ce programme de recherche, montre que même si il a compté les victimes de Charlie, rien ne vous prépare à ce massacre hors norme. Le traumatisme est toujours là vivace. Sa difficulté à mettre des mots est une des réponses, le silence. Encore une fois, vous me direz, il n’a pas été dans l’action réelle. Et là vient le témoignage du policier de la BRI. Il a été en première ligne dans le couloir, il est juste derrière le bouclier, celui qui a abattu un des terroristes. Difficile de faire plus dans l’action, lui aussi, il revit et revit ce moment et pas dans quelque chose d’héroïque et de glorieux, mais dans la douleur. Souffrir psychiquement, quand vous avez été soumis à la violence extrême d’une situation inattendue, est une maladie, une maladie chronique violente. Vous ne guérissez jamais. Rien ne vous protège, que vous soyez victime directe, témoin, policier, soignant, technicien, famille, rien ne vous y prépare. Vous vivrez avec ça toute votre vie.
Quand un des rescapés explique qu’il y a un avant et un après, comme une pliure dans sa vie, c’est exactement ça. Encore une fois vous ne guérirez pas, vous apprendrez à vivre avec, vous vous soignerez comme vous pourrez, mais cette cicatrice sera toujours là. Elle se rouvrira parfois, pas pour saigner à gros flot mais le sang perlera, les larmes couleront sans que vous ne puissiez les retenir. Vous ferez un cauchemar après le visionnage d’un excellent documentaire sur le 13 novembre qui n’a pas grand chose à voir avec votre histoire. Vous rêverez qu’il y a une épidémie de syndrome hémolytique et urémique. Vous devez gérez le coté pédiatrique alors que vous êtes néphrologue adulte. Vous ne savez plus rien. Vous voyez les enfants mourir, leurs petits corps blancs et froids. Vous relirez toute la littérature, pour sauver ceux qui arrivent. Vous ne trouverez rien. Vous voulez évitez d’avoir à annoncer à des parents que leur fille ou leur fils est mort. Pour ne pas revivre ce qu’on vous a annoncé. Le psychisme est une drôle de chose. Il déplace, il transforme et me ramène toujours à l’incapacité d’avoir pu sauver mon fils.
Ce documentaire a réactivé mon traumatisme. Il date de plus de 22 ans. Oui 22 ans, la douleur est toujours là. Vivre avec les séquelles du stress post traumatique, c’est ça. J’ai vécu plusieurs fois par jours pendant plusieurs années, entre 6 et 8 ans, la mort de mon fils. Les choses ceux sont estompés avec le temps et la vie qui avance. J’ai continué à vivre, je n’ai plus jamais été le même. Je me suis reconnu dans de nombreux témoignages, mes comportements, mes espoirs et mes défaites. Il est difficile de vivre en ayant perdu l’insouciance. Toujours penser au pire dans toute situation. Avoir peur quand tu n’a pas de nouvelles d’une des filles, même si tu sais que te répondre n’est pas son truc. Avoir peur quand elles sortent le soir dans les rues sombres de villes loin de toi. Avoir peur quand elle coure pour traverser la rue, toujours voir la voiture surgir, la voir voler pour s’écraser quelques mètres plus loin. J’aimerai retrouver un peu d’insouciance, un peu de légèreté. Je sais que ce ne sera pas le cas. Je vis avec. J’essaye de retrouver activement la joie depuis 22 ans. Des fois, j’y arrive, des fois, je n’y arrive pas comme après le visionnage de ce documentaire.
Je le conseille à tous. Il faut savoir regarder ses peurs et angoisses, accepter ses larmes qui coulent sur le malheur des autres et sur le sien. La parole est là pour communiquer l’indicible, c’est une étrange phrase, mais tellement vraie. Arriver à mettre en mots nos émotions pour qu’elles ne nous envahissent pas en permanence. Alors parlez, parlez. Auditeurs, respectez l’autre sans leçon, ni phrase toute faites, écoutez juste la douleur, parfois vous trouverez des mots simples sans grandiloquence qui font du bien parfois non, ce n’est pas grave. Acceptez la parole de l’endeuillé d’un être cher ou de sa vie. Si vous avez la chance de ne pas souffrir, comprenez que ce moment un peu pénible d’une histoire triste, nous le vivons tous les jours, toutes les heures parfois pendant des années. Ceci ne vous laisse pas indemne. Il faut nous pardonner de vous embêtez avec nos drames et nos peurs, juste pour ne pas rajouter à la douleur, du mépris. Nous n’oublions jamais.
Bonne écoute, bon visionnage et profitez de tous les moments de joie que la vie vous offre.
















