Quand j’étais étudiant, dire qu’on alcalinisait une acidose lactique vous valez d’être voué au gémonies et de finir dans la géhenne, soumis aux pires supplices des diablotins réanimateurs. Interne en réanimation, alors que j’étais plutôt sur la fin de mon internat de néphrologue, combien de fois me suis je fait traité d’assassin par les réanimateurs quand je passais un peu de bicarbonates à un patient franchement acide. Je n’ai jamais compris pourquoi c’était mal. Alors que mettre en dialyse un patient et corriger son acidose essentiellement en le noyant dans le bicarbonate du dialysat ne posait aucun problème. Con comme un néphrologue, je trouvais que corriger les anomalies hydroélectrolytiques ça pouvait pas faire de mal. Le temps a passé et j’aime toujours le bicarbonate comme soluté de remplissage quand les patients sont acides comme c’est souvent le cas pour ceux dont je m’occupe.
Je m’intéresse peu à la réanimation, mais je lis toujours avec amusement la littérature réanimatoire dans les gros journaux, qui me passent entre les mains. Souvent, on y brule ce qu’on a adoré et on adore ce qu’on a brulé. Depuis de nombreuses années, on se soucie de l’acidose soit induite par le remplissage soit liée à l’état du patient. Il vient de sortir un joli papier dans le JAMA sur l’utilisation du bicarbonate de sodium, chez les patients en réanimation présentant une acidose sévère et une insuffisance rénale aigüe. Le critère principal d’évaluation de BICARICU-2 est la mortalité à 90 jours. Pas de suspense, ça ne marche pas. Alcaliniser avec du bicarbonate de sodium à 4,2% dans les 48e heures ne réduit pas la mortalité à 90 jours, ni à 28 après avoir randomisé 640 patients.

Comme il faut toujours sauver un bel essai clinique académique, en plus français, on a des critères d’évaluation secondaires. Les auteurs n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère. 27 critères secondaires, c’est pas mal. Je laisse les amoureux des statistiques apprécier. Parmi un de ces critères, le besoin de dialyser les patients est moins important dans le groupe bicarbonate que dans le groupe contrôle. Les indications de dialyse sont encadrés dans le travail. Le moment où on commence la dialyse est très variable d’un réanimateur à l’autre et de son niveau de croyance dans l’utilisation de la machine. C’est un peu comme la revascularisation coronaire dans l’angor. Le bicarbonate réduit de 15% le besoin de dialyse à 28 jours. En terme d’organisation et de cout c’est loin d’être négligeable. Comment expliquer ça? Il faut aller se plonger dans les 90 pages de supplementary data

Vous pouvez voir sur le tableau au dessus ce qui tire la baisse de recours à la suppléance, en premier, l’acidose persistante. C’est rassurant, quand on alcalinise, il y a moins d’acidose sévère, l’intervention marche en grande partie. Vous remarquerez que ‘il n’y a pas plus d’OAP. La deuxième chose est l’oligoanurie qui est moins fréquente dans le groupe bicarbonate.
Ce résultat m’a le plus intéressé. Comment expliquer la différence? Les intellectuels diront qu’en corrigeant l’acidose on améliore la mécanique cardiaque voir la fonction rénale. Les abrutis comme moi, vont regarder la quantité de bicarbonate apporté et le volume de fluides apporté. Le volume médian de bicarbonate à 4,2 est de 750 ml soit 373,5 mmol de sodium, ce qui correspond à la quantité de sel apporté par 2,5 l de sérum physiologique. On peut dire qu’on a pas mal rempli leur secteur extracellulaire avec tout ce sel.

Quand on regarde, les autres solutés il n’y a pas de différence, ce qui fait que les patients bicarbonate sont plus remplis que les autres. Pour le rein et en particulier la diurèse, corriger l’hypovolémie marche très bien. J’aurai bien aimé avoir l’évolution des natrémies dans les deux groupes et savoir comment était géré l’hypernatrémie. Que se serait-il passé dans le groupe contrôle si on avait apporté 3 l de RL en plus sur le besoin de dialyse?
Ce que je retiens, alcaliniser des acidoses lactiques ce n’est plus le mal, remplir les patients quand ils en ont besoin réduit le risque d’anurie. Malheureusement, ça n’a rien de magique sur la survie.
Je vous conseille la lecture du papier, il est bien écrit et agréable à lire. Il illustre comment on peut interroger des dogmes bâtis sur une physiopathologie souvent approximative en faisant de la recherche clinique. Car, si ça ne sauve pas les patients, ça ne les tue pas. Une spéciale dédicace à ce chef de service de réanimation qui m’avait traité d’assassin avec ma perfusion de bicarbonate.
Je finirai juste avec un conseil, n’utilisez pas du 4,2% hors d’une structure de réanimation ou de soins intensifs. Si vous avez l’idée, c’est que votre patient en salle à besoin d’un avis réanimatoire.



















