Reviviscences automnales

Grace à l’excellente émission de François Saltiel, la fabrique de l’information, j’ai regardé « 13 Novembre nos vies en éclats« . Regardez ce documentaire, issu de l’incroyable et hors norme programme de recherche 13.11. Il peut être vu comme un mémorial aux 131 victimes de cette nuit, comme la preuve éclatante de l’importance de la recherche publique française, comme une trace importante de ces journées terribles. J’y vois un témoignage choral sur l’expérience du stress post traumatique. Dans le cadre de 13.11, 1 000 personnes répondent à des questions standardisées pour comprendre le processus mémoriel. Ici, un dizaine d’êtres humains, profondément humains, se livrent en trois interviews, la première quelques mois après les attentats en 2016, le deuxième en 2018 et enfin en 2021. Je les remercie d’avoir accepter que l’autrice ait pu utiliser ce matériel pour ce travail indispensable.

Certains pensent que le stress post traumatique, c’est un truc de loosers, de faibles. Le stress post traumatique touchent tout le monde. Le documentaire illustre ses variations, les réponses individuelles dans un échantillonnage qui couvre de nombreuses situations, toutes? Dès la première séquence, vous comprenez. La jeune femme, à 5 ans d’écart, a la même gestuelle, les mêmes blancs, la même émotion qui l’écrase, la submerge, l’engloutit. J’entends les gros durs, oui c’est une femme, elle n’a rien pu faire, juste être le témoin. L’enchainement avec le major de la garde républicaine, pas une femme, un homme à cheval, un militaire, un dur, qui pleure comme une madeleine six ans après les faits; illustre que tout un chacun peut être victime de sa mémoire traumatique. Certains diront, il n’a pas été vraiment dans l’action, cette absence d’agentivité est responsable, il n’était pas préparé. Le témoignage du divisionnaire, plombé par l’émotion incapable de se livrer en dehors de ce programme de recherche, montre que même si il a compté les victimes de Charlie, rien ne vous prépare à ce massacre hors norme. Le traumatisme est toujours là vivace. Sa difficulté à mettre des mots est une des réponses, le silence. Encore une fois, vous me direz, il n’a pas été dans l’action réelle. Et là vient le témoignage du policier de la BRI. Il a été en première ligne dans le couloir, il est juste derrière le bouclier, celui qui a abattu un des terroristes. Difficile de faire plus dans l’action, lui aussi, il revit et revit ce moment et pas dans quelque chose d’héroïque et de glorieux, mais dans la douleur. Souffrir psychiquement, quand vous avez été soumis à la violence extrême d’une situation inattendue, est une maladie, une maladie chronique violente. Vous ne guérissez jamais. Rien ne vous protège, que vous soyez victime directe, témoin, policier, soignant, technicien, famille, rien ne vous y prépare. Vous vivrez avec ça toute votre vie.

Quand un des rescapés explique qu’il y a un avant et un après, comme une pliure dans sa vie, c’est exactement ça. Encore une fois vous ne guérirez pas, vous apprendrez à vivre avec, vous vous soignerez comme vous pourrez, mais cette cicatrice sera toujours là. Elle se rouvrira parfois, pas pour saigner à gros flot mais le sang perlera, les larmes couleront sans que vous ne puissiez les retenir. Vous ferez un cauchemar après le visionnage d’un excellent documentaire sur le 13 novembre qui n’a pas grand chose à voir avec votre histoire. Vous rêverez qu’il y a une épidémie de syndrome hémolytique et urémique. Vous devez gérez le coté pédiatrique alors que vous êtes néphrologue adulte. Vous ne savez plus rien. Vous voyez les enfants mourir, leurs petits corps blancs et froids. Vous relirez toute la littérature, pour sauver ceux qui arrivent. Vous ne trouverez rien. Vous voulez évitez d’avoir à annoncer à des parents que leur fille ou leur fils est mort. Pour ne pas revivre ce qu’on vous a annoncé. Le psychisme est une drôle de chose. Il déplace, il transforme et me ramène toujours à l’incapacité d’avoir pu sauver mon fils.

Ce documentaire a réactivé mon traumatisme. Il date de plus de 22 ans. Oui 22 ans, la douleur est toujours là. Vivre avec les séquelles du stress post traumatique, c’est ça. J’ai vécu plusieurs fois par jours pendant plusieurs années, entre 6 et 8 ans, la mort de mon fils. Les choses ceux sont estompés avec le temps et la vie qui avance. J’ai continué à vivre, je n’ai plus jamais été le même. Je me suis reconnu dans de nombreux témoignages, mes comportements, mes espoirs et mes défaites. Il est difficile de vivre en ayant perdu l’insouciance. Toujours penser au pire dans toute situation. Avoir peur quand tu n’a pas de nouvelles d’une des filles, même si tu sais que te répondre n’est pas son truc. Avoir peur quand elles sortent le soir dans les rues sombres de villes loin de toi. Avoir peur quand elle coure pour traverser la rue, toujours voir la voiture surgir, la voir voler pour s’écraser quelques mètres plus loin. J’aimerai retrouver un peu d’insouciance, un peu de légèreté. Je sais que ce ne sera pas le cas. Je vis avec. J’essaye de retrouver activement la joie depuis 22 ans. Des fois, j’y arrive, des fois, je n’y arrive pas comme après le visionnage de ce documentaire.

Je le conseille à tous. Il faut savoir regarder ses peurs et angoisses, accepter ses larmes qui coulent sur le malheur des autres et sur le sien. La parole est là pour communiquer l’indicible, c’est une étrange phrase, mais tellement vraie. Arriver à mettre en mots nos émotions pour qu’elles ne nous envahissent pas en permanence. Alors parlez, parlez. Auditeurs, respectez l’autre sans leçon, ni phrase toute faites, écoutez juste la douleur, parfois vous trouverez des mots simples sans grandiloquence qui font du bien parfois non, ce n’est pas grave. Acceptez la parole de l’endeuillé d’un être cher ou de sa vie. Si vous avez la chance de ne pas souffrir, comprenez que ce moment un peu pénible d’une histoire triste, nous le vivons tous les jours, toutes les heures parfois pendant des années. Ceci ne vous laisse pas indemne. Il faut nous pardonner de vous embêtez avec nos drames et nos peurs, juste pour ne pas rajouter à la douleur, du mépris. Nous n’oublions jamais.

Bonne écoute, bon visionnage et profitez de tous les moments de joie que la vie vous offre.

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Bicarbonates et Acidose en réanimation, une vieille histoire

Quand j’étais étudiant, dire qu’on alcalinisait une acidose lactique vous valez d’être voué au gémonies et de finir dans la géhenne, soumis aux pires supplices des diablotins réanimateurs. Interne en réanimation, alors que j’étais plutôt sur la fin de mon internat de néphrologue, combien de fois me suis je fait traité d’assassin par les réanimateurs quand je passais un peu de bicarbonates à un patient franchement acide. Je n’ai jamais compris pourquoi c’était mal. Alors que mettre en dialyse un patient et corriger son acidose essentiellement en le noyant dans le bicarbonate du dialysat ne posait aucun problème. Con comme un néphrologue, je trouvais que corriger les anomalies hydroélectrolytiques ça pouvait pas faire de mal. Le temps a passé et j’aime toujours le bicarbonate comme soluté de remplissage quand les patients sont acides comme c’est souvent le cas pour ceux dont je m’occupe.

Je m’intéresse peu à la réanimation, mais je lis toujours avec amusement la littérature réanimatoire dans les gros journaux, qui me passent entre les mains. Souvent, on y brule ce qu’on a adoré et on adore ce qu’on a brulé. Depuis de nombreuses années, on se soucie de l’acidose soit induite par le remplissage soit liée à l’état du patient. Il vient de sortir un joli papier dans le JAMA sur l’utilisation du bicarbonate de sodium, chez les patients en réanimation présentant une acidose sévère et une insuffisance rénale aigüe. Le critère principal d’évaluation de BICARICU-2 est la mortalité à 90 jours. Pas de suspense, ça ne marche pas. Alcaliniser avec du bicarbonate de sodium à 4,2% dans les 48e heures ne réduit pas la mortalité à 90 jours, ni à 28 après avoir randomisé 640 patients.

Comme il faut toujours sauver un bel essai clinique académique, en plus français, on a des critères d’évaluation secondaires. Les auteurs n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère. 27 critères secondaires, c’est pas mal. Je laisse les amoureux des statistiques apprécier. Parmi un de ces critères, le besoin de dialyser les patients est moins important dans le groupe bicarbonate que dans le groupe contrôle. Les indications de dialyse sont encadrés dans le travail. Le moment où on commence la dialyse est très variable d’un réanimateur à l’autre et de son niveau de croyance dans l’utilisation de la machine. C’est un peu comme la revascularisation coronaire dans l’angor. Le bicarbonate réduit de 15% le besoin de dialyse à 28 jours. En terme d’organisation et de cout c’est loin d’être négligeable. Comment expliquer ça? Il faut aller se plonger dans les 90 pages de supplementary data

Vous pouvez voir sur le tableau au dessus ce qui tire la baisse de recours à la suppléance, en premier, l’acidose persistante. C’est rassurant, quand on alcalinise, il y a moins d’acidose sévère, l’intervention marche en grande partie. Vous remarquerez que ‘il n’y a pas plus d’OAP. La deuxième chose est l’oligoanurie qui est moins fréquente dans le groupe bicarbonate.

Ce résultat m’a le plus intéressé. Comment expliquer la différence? Les intellectuels diront qu’en corrigeant l’acidose on améliore la mécanique cardiaque voir la fonction rénale. Les abrutis comme moi, vont regarder la quantité de bicarbonate apporté et le volume de fluides apporté. Le volume médian de bicarbonate à 4,2 est de 750 ml soit 373,5 mmol de sodium, ce qui correspond à la quantité de sel apporté par 2,5 l de sérum physiologique. On peut dire qu’on a pas mal rempli leur secteur extracellulaire avec tout ce sel.

Quand on regarde, les autres solutés il n’y a pas de différence, ce qui fait que les patients bicarbonate sont plus remplis que les autres. Pour le rein et en particulier la diurèse, corriger l’hypovolémie marche très bien. J’aurai bien aimé avoir l’évolution des natrémies dans les deux groupes et savoir comment était géré l’hypernatrémie. Que se serait-il passé dans le groupe contrôle si on avait apporté 3 l de RL en plus sur le besoin de dialyse?

Ce que je retiens, alcaliniser des acidoses lactiques ce n’est plus le mal, remplir les patients quand ils en ont besoin réduit le risque d’anurie. Malheureusement, ça n’a rien de magique sur la survie.

Je vous conseille la lecture du papier, il est bien écrit et agréable à lire. Il illustre comment on peut interroger des dogmes bâtis sur une physiopathologie souvent approximative en faisant de la recherche clinique. Car, si ça ne sauve pas les patients, ça ne les tue pas. Une spéciale dédicace à ce chef de service de réanimation qui m’avait traité d’assassin avec ma perfusion de bicarbonate.

Je finirai juste avec un conseil, n’utilisez pas du 4,2% hors d’une structure de réanimation ou de soins intensifs. Si vous avez l’idée, c’est que votre patient en salle à besoin d’un avis réanimatoire.

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La santé n’est pas qu’une histoire médicale, exemple de la mortalité néonatale

La santé contrairement à ce qui est souvent dit n’est pas qu’une question individuelle ou qu’une question médicale. Les médecins détestent entendre ça. Un bon exemple est la réaction quand un ministre de la santé n’est pas médecin. L’impression que le monde va s’effondrer. Je persiste à penser que ceux qui ont fait le plus pour la santé en France à ce poste n’étaient pas des médecins. Les plus nuls étaient sans aucun doute des médecins.

La santé est un problème multidimensionnel qui part de l’individu malade, jusqu’à la société avec différentes strates. Je vais essayé de vous illustrer ça avec un sujet auquel je suis sensible, la mortalité infantile. Il y a quelques mois j’avais posté ça sur BS.

Le taux de mortalité infantile en France est bien le marqueur du je m'en foutisme en termes de santé publique de ce pays. Comme nous devrions avoir honte de l'écart de mortalité entre ouvrier et cadre, ne pas protéger les plus faibles devrait nous alarmer. www.lemonde.fr/idees/articl…

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— Stéphane Burtey (@sburtey.bsky.social) 13 avril 2025 à 08:47

Il s’en était suivi une discussion, où on m’expliquait que la principale raison du décrochage était le fait qu’on réanimait plus en France qu’ailleurs de grands prématurés et que c’était donc uniquement un problème médical. Il ne m’a pas été fourni de données sur le sujet. Je défendais plutôt, après avoir regardé les données de l’INSEE, qui confirmaient l’augmentation de la mortalité et notre place peu glorieuse (22é place sur 33) par rapport aux autres pays européens. Un enfant sur 250 meurt avant l’age de un an en France. Je défendais plutôt une vision sociale, avec ces chiffres terribles, chez les cadres de 2004 à 2022, la mortalité infantile est de 2,2 pour 1000, chez les ouvriers, 3,5 pour 1000. Il m’avait été riposté en gros que je ne comprenais rien et que la médecine allait tout régler.

Un article récent analyse les données française de mortalité néonatale (0-27 jours de vie). Il tend à conforter mon sentiment que le niveau socioéconomique joue un rôle majeur. Il ont créé un score qui intègre différentes caractéristiques socioéconomiques connus pour avoir un impact sur la mortalité néonatale (taux de chômage, proportion d’immigrants, proportion de personnes ne possédant pas leur logement, proportion de familles monoparentales et revenu médian par ménage). Ils appellent ça le perinatal French deprivation index (P-FDep), il est segmenté en 5 ou 10 catégories (de 1 la plus favorisée à 5 ou 10 la plus défavorisée). Ils analysent ensuite la mortalité entre deux périodes 2001-08 et 2015-20. La figure n’a pas besoin d’explications.

Le niveau socio-économique a un impact important sur la mortalité néonatale, le risque entre les groupes 1 et 10 augmente de 88%. Le plus inquiétant est qu’il ne semble pas y avoir d’amélioration avec le temps voir que la situation s’aggrave pour les groupes les plus défavorisés. Si on avait le même taux de mortalité pour l’ensemble de la population que celle du groupe 1 on éviterait 2500 décès par période de 6 ans, soit 25% des décès néonataux. En un moment, où on parle d’un risque de dépeuplement de la France car on meurt plus qu’on ne nait, c’est un chiffre à ne pas négliger.

Ce travail confirme que la santé n’est pas qu’une problématique médicale mais aussi socio-économique. Il manque ici les dimensions culturelles et éducatives qui doivent aussi jouer un rôle majeur, voir le rôle des catégories socio-professionnelles en partie capturée par le revenu.

Le constat est là, maintenant on fait quoi? Il y a beaucoup d’agitation politique, nombreux sont ceux qui se rêvent premier ministre, président. Nombreux sont ceux qui veulent rétablir la grandeur de la France. J’entends peu d’hommes ou de femmes politiques s’emparer de cette question de la mortalité périnatale et infantile, alors que nos résultats sont mauvais. Nous avons des explications, qu’en sera t il fait? Ceux qui s’inquiètent de l’avenir de la France devraient saisir ce problème à bras le corps. Un beau projet politique, non? Plus d’enfants en réduisant la mortalité néonatale et en évitant ce drame absolu qui est la mort de l’enfant. Réduire la pauvreté et les inégalités sociales, c’est participer à repeupler la France, plus de travailleurs et plus de consommateurs à venir. Ce problème devrait dépasser les clivages partisans. Je n’ai pas l’impression que nos politiques s’en soucient beaucoup.

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Anatomie approximative

Hier, je traine dans le bureau des infirmières de dialyse péritonéale et je tombe sur cette publicité.

Le sujet est important, parler du don d’organes. Dans une ville qui est championne de France du refus, le message est d’autant plus important. Mes yeux ont immédiatement saigné, me faisant totalement oublier la question du don d’organe. J’espère que vous aussi. La tête du monsieur est bien vers le haut, il ne fait pas les pieds au mur, ses reins oui. Je m’explique, l’axe des reins est vers le haut et en dedans, ici vous voyez que les deux reins font un joli V de la victoire ce qui n’est pas du tout normal. Les reins, c’est les deux machins en forme de haricot.

Le monsieur n’est pas malade mais juste le cliché de scanner à été mis à l’envers. Comme on le voit avec le foie et la rate sous les reins ce qui est strictement impossible. Voici comment devrait être l’image avec un peu de rigueur.

C’est mieux non? Ça prend, pour un gros nul comme moi en modification d’image, même pas dix minutes. Je trouve terrible ce manque de rigueur dans la communication. De la part d’un laboratoire pharmaceutique, ce n’est pas extraordinaire mais bon à la limite la néphrologie n’est pas leur cœur de métier. Par contre, quand je vois le logo de la société francophone de transplantation, c’est plus problématique.

J’ai cherché sur le net cette image.

J’ai identifié le coupable, une boite de com, Addiction Agency. Je me retiens d’un sale jeu de mot sur le fait que toutes les addictions ne sont pas bonnes pour mettre les images dans le bon sens. On trouve le visuel sur leur Linkedin. On le retrouve sur le Linkedin de MSD. Par contre, il est absent du site du laboratoire et le site de la SFT.

Je suis peut être pointilleux, mais quand on parle de choses sérieuses, il faut être sérieux. Je conseille aux créatifs des agences de publicité, quand il parle de science ou de santé, de demander à un professionnel ou plutôt deux professionnels, si il n’y a pas un problème sur l’image qui va être utilisée. En y réfléchissant, je me demande si elle a été générée par une IA ou par un humain avec photoshop.

Regarder ce qui nous entoure est une saine activité.

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Le pipi coloré

Il y a bien longtemps, j’ai fait une présentation sur la clinique des urines. Il est important d’avoir quelques notions sur les urines qui changent de couleur, essentiellement pour savoir si il faut s’inquiéter ou pas. La semaine dernière nous avons eu deux cas d’urines colorées l’une dans le service et l’autre une demande d’avis. Ces colorations atypiques restent rares et du coup impressionnent.

Une patiente juste mise en hémodialyse arrive dans un tableau septique. La première chose qui frappe c’est ça.

Les urines sont d’un très beau violet, nous sommes bien loin des urines normales. Il s’agit d’un très classique purple urine bag. Comment ça marche? Dans vos urines, vous avez de l’indoxyl sulfate, il s’agit d’une toxine urémique dérivée du tryptophane. Quand vous mangez des protéines, vous avez du tryptophane (un acide aminé essentiel) dans votre tube digestif, les bactéries du colon qui possède une tryptophanase vont le dégrader en indol. Il va être absorbé et pour pouvoir être éliminé plus facilement par les urines, il va être transformé en indoxyl sulfate au niveau du foie. Normalement, vous ne voyez rien d’autre qu’un joli jaune car vos urines sont acides et stériles. Par contre quand vos urines sont alcalines et que vous avez une bactérie (il y en a beaucoup) qui est capable (présence d’une indoxyl sulfatase) de dégrader l’indoxyl sulfate en indigo qui est bleu et en indirubin qui est rouge et bien vous avez des urines violettes. Le violet intense tient aussi à l’interaction avec le plastique des sac à pipi. Ceci ne pose aucun problème mais traduit juste des urines infectées.

Le deuxième cas arrivé deux jours plus tard est un avis qui se résume à, pourquoi les urines de ce patient, qui est en réanimation pour une infection grave, sont comme ça?

Les urines sont maintenant plutôt rouille avec des dépôts donnant un aspect un peu boueux aux urines. Diagnostic aussi très facile, il suffisait de regarder les traitements du patient et les 12 grammes d’amoxicilline commençait la veille apportait l’explication. La cristallurie à l’amoxicilline survient dans des urines acides et avec des doses d’amoxicilline importantes et souvent passées un peu vite. Ici, il y a une dégradation modérée de la fonction rénale, cliniquement non signifiante. Le risque est d’avoir une insuffisance rénale sévère liée à la cristallurie qui précipite dans les tubules rénaux. La confirmation passe par l’analyse des urines fraiches au microscope qui retrouve les cristaux en forme d’aiguille. L’alcalinisation des urines et le fait de passer l’amoxicilline plus lentement ont normalisé l’aspect des urines.

La coloration anormale des urines est un petit monde assez rigolo. Il est toujours utile quand on est néphrologue d’avoir une liste des situations qui donnent différentes couleurs.

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La prestation Medicaid comme une nouvelle métrique de la richesse

Je trouve ce cartoon du New Yorker un bon résumé de comment les très riches voient les pauvres.

 » Est ce que tu peux croire que ce bateau ne coute que les prestations medicaid de 180 bénéficiaires? »

Si vous vous posez des questions sur qui est éligible, c’est là.

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Vingt-deux

Il y a 22 ans, mon fils est né et il est mort.

Quelques heures de vie entourées de technique médicale et sans amour parental. Échec de la médecine à sauver une vie, ceci bouleversera ma vie. Cette absence, ce vide vertigineux m’a happé et je ne serai plus jamais tout à fait le même. Je n’aimerai plus la médecine, encore moins les médecins et leurs peurs. J’ai perdu mon insouciance. Je vis dans la peur quasi permanente qu’il arrive quelque chose à mes filles.

Perdre son enfant si tôt, sans histoire, juste nourri des projections et des rêves dons nous remplissons ce petit être fragile, a été terrible. L’absence de mémoire rajoute un vide au vide. Je ne voulais pas écrire sur ce triste anniversaire. Il s’agit d’un exercice nombriliste, on parle de soi, de sa douleur, de ce creux, toujours plus ou moins là, surtout dans les moments de stress ou d’angoisse. Ce terrible, tout est possible est le pire. Je n’avais pas envie de m’exposer encore sur le sujet. Quand on me demande si j’ai des enfants, je parle de mes cinq filles et j’occulte l’existence d’Oscar. J’ai honte de faire ça. Honte de ne pas en parler, mais c’est compliqué. J’ai cinq filles et un garçon. Non, non, ce n’est pas trop dur pour lui, il est mort. Ça casse un peu l’ambiance. Ça met mal à l’aise. On vous regarde bizarrement. Pourquoi vous cassez les conventions sociales ? Pourquoi vous balancez votre douleur comme ça? Hein, pourquoi? Alors, bien sage, je dis, j’ai cinq filles. Elles vont bien. Et je me sens coupable de trahir mon fils.

Je ne voulais pas en parler, sauf que la lecture de « Par instants, la vie n’est pas sure » de Robert Bober, est passé par là. Je n’ai acheté ce livre. Je ne remercierai jamais assez la personne qui a eu la très bonne idée de me le faire découvrir. Il était dans un coin attendant avec son joli dessin si troublant de Saul Steinberg. J’ai commencé à tourner les pages et je le lis lentement, lentement. Je goute chaque phrase, chaque anecdote, chaque citation. Page 138, je découvre cette phrase de Jankélévitch:  » Les morts dépendent entièrement de notre fidélité. Le passé comme les morts a besoin de nous. Nous parlerons donc de ces morts afin qu’ils ne soient pas anéantis ». Alors, je parle de mon fils pour qu’il ne soit pas anéanti. Il y a une autre phrase magnifique du même auteur page 140, « Les fusillés, les massacrés, n’ont plus que nous pour penser à eux. Si nous cessions d’y penser, nous achèverions de les exterminer. » Alors pour ne pas oublier, j’écris ton nom, Oscar Burtey.

Il n’est pas facile de remplir une vie si courte. Il n’est peut être pas nécessaire de vouloir remplir ces quelques heures. Il était tentant de tomber dans une folie à la « Qui a peur de Virginia Wolff? » et de faire vivre Oscar à tous les moments de sa vie. De sa naissance à ses 22 ans, racontant ce qu’il aurai pu être. La tentation est forte de remplir l’absence par des mots qui remplissent le vide grâce à un acte d’imagination pure. Et p 214, cette lettre de Flaubert à Louise Collet « N’importe, bien ou mal, c’est une délicieuse chose que d’écrire! Que de ne plus être soi, mais de circuler dans toute la création dont on parle. Aujourd’hui par exemple, homme et femme tout ensemble, amant et maitresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt, par une après-midi d’automne, sous des feuilles jaunes, et j’étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qu’ils se disaient et le soleil rouge qui faisait s’entrefermer leur paupières noyées d’amour. » Je ne veux pas être toi mon fils, je ne veux pas être un marionnettiste, je veux ta présence à mes cotés. Ce qui ne sera jamais.

A la page 190, il cite une phrase de Georges Perec extraite de « W ou le souvenir d’enfance ». Elle résonne/raisonne: « Moi, j’aurais aimé aider ma mère à débarrasser la table de la cuisine après le diner« . J’aurais aimé changer tes couches, te donner le biberon, te tenir par les mains pour voir ton premier pas, te soulever et entendre ton rire mélanger à la peur du vol, dans ton regard, et entendre, un encore. J’aurais aimé t’entendre râler, pleurer, t’accompagner à l’école, jouer à la balle, te voir nager. J’aurais aimé voir ta première dent, tes courses, tes sauts. J’aurais aimé voir ton premier match de rugby, ta première longueur de piscine, ta première lecture. J’aurais aimé notre première dispute, notre première réconciliation, te voir entourer de tes sœurs, prendre soin d’elles. J’aurais aimé que tu ne sois pas d’accord avec moi, te voir amoureux, te voir triste, te voir joyeux. Nous n’avons rien vu, rien partagé, rien, sauf l’absence.

Oui, j’écris aujourd’hui car si personne ne le fait tu disparaitras. Je ne rajouterai pas le néant à ton absence, mon fils, Oscar.

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Rein et risque cardiovasculaire

Voici une présentation de vulgarisation pour expliquer pourquoi il est important de mesurer l’albuminurie et le débit de filtration glomérulaire pour évaluer de façon optimale le risque cardiovasculaire.

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J’ai le pipi qui mousse

Si après vous être soulagé, vous constatez que votre urine est mousseuse et surtout que la mousse persiste comme dans la photographie introductive, je ne peux que vous conseiller de demander à rechercher si il n’y a pas des protéines dans vos urines. Ceci traduira une maladie rénale qui devra malheureusement pour vous, vous faire rencontrer un néphrologue. Ne croyez pas celui qui vous dira tu as bu trop de bière et tu pisses la mousse, même si l’origine de la mousse de la bière est du à la présence d’une protéine de l’orge, Lipid transfer protein 1.

Ce signe clinique a été relié aux maladies rénales par deux auteurs classiques en médecine, Hippocrate et Avicenne. Ceci ne remonte pas à hier et persiste comme un héritage de cette médecine de l’observation et du cas clinique. Ainsi, tous les étudiants en médecine ont appris que les urines mousseuses sont un signe de protéinurie et personne ne l’oublie. Même si personne ne demande à son patient, est ce que votre urine mousse? L’albumine ou les chaines légères des immunoglobulines ont un effet tensioactif sur l’eau comme le savon. Il s’agit de composés organiques avec un caractère amphipathique (une partie hydrophile et une partie hydrophobe). Ce qui favorise la formation de bulles d’air dans l’eau à l’interface liquide/gaz. Toute molécule amphipathique se trouvant dans l’urine peut entrainer la présence d’urines mousseuses. Un article récent fait le point sur les molécules des urines qui peuvent faire mousser le pipi. A coté des protéines et des acides aminés, il s’agit surtout de sels biliaires. Ce qui veut dire que devant des urines qui moussent, il faut aussi vérifier qu’il n’y pas de cholestase.

Maintenant que nous savons comment ça marche, avons nous une idée de la fréquence réelle de la protéinurie quand les urines moussent? Il faudrait commencer par le début. Quand doit on parler d’urines mousseuses? La comparaison avec la bière est plutôt pas mal comme vous pouvez le voir sur l’image issue de ce papier.

Pour définir de façon objective les urines mousseuses, je retiendrai la persistance d’une mousse, qui ressemble à celle de la bière, au delà de 5 minutes après avoir fait pipi dans un récipient propre et surtout sans savon à sa surface. Pas facile à faire ça, pipi et attendre 5 minutes pour voir si la mousse persiste. Ceci peut vous éviter de vous précipiter chez votre médecin et/ou de vous inquiéter pour rien. C’est juste une suggestion de définition qu’il faudrait valider de façon scientifique. Un travail pas très difficile à faire au demeurant dans un service de néphrologie, on fait pisser tous les patients dans un bocal, on prend une photo à cinq minutes, on fait définir mousse pas mousse par deux observateurs en aveugle de la présence de protéinurie et après on corrèle à la présence et à la sévérité de la protéinurie, pour voir si c’est un bon biomarqueur. Ce travail n’existe pas dans la littérature. J’ai un peu cherché.

Sur la fréquence des urines qui moussent qu’avons nous? On peut le dire, c’est un désert bibliographique. Il existe quatre papiers pour avoir une idée de la fréquence. Aucun n’est bon sur le plan méthodologique. Ils donnent juste une idée et envie de faire le boulot de façon propre. Le premier est une étude rétrospective sur dossier. Les auteurs ont repris 1248 dossiers et cherché la déclaration par le patient que ses urines moussaient. 72 patients (6%) ont signalé, j’ai le pipi qui mousse. Seulement, 16 (22%) avait une protéinurie. On ne peut pas sortir grand chose de plus de ce papier. Le deuxième est encore pire, il s’agit de la fréquence des urines mousseuses chez des patients récidivant une hyalinose segmentaire et focale après transplantation rénale. Ils ont tous on suppose une protéinurie mais sans donnée dans l’article. 15 patients et 9 qui signalent des urines qui moussent, soit 60% . Le symptôme n’est pas très gênant mais inquiétant. Le troisième est encore un travail rétrospectif et déclaratif chez des patients présentant un rein myélomateux, 8% des patients présentent des urines mousseuses. Le dernier est une série mesoaméricaine sur 46 patients avec une maladie rénale, ici on monte à 63% avec des urines mousseuses sans allez très loin dans les différences entres les deux groupes. Ensuite vous avez une ribambelle de case report qui ne nous apportent rien sur la fréquence.

Pour résumer, les urines qui moussent, ça se retrouve entre 8 et 60% des patients avec une protéinurie. Difficile de savoir si c’est un bon signe clinique ou un mauvais. Nous n’avons pas beaucoup travaillé sur le sujet depuis la médecine antique ou du moyen age.

Pour finir, je suis tombé sur ce papier, qui me rappelle que dans la COVID 19 on aura vraiment fait n’importe quoi, parole de marseillais. Les auteurs utilisent pour déterminer si le patient à la COVID et sa sévérité, un « urine foaming test ». En gros, le test, je pense, car les matériels et méthodes sont un peu justes, est je colle un papier avec du vert du orange et du rouge. Je mélange fortement le pipi dans le tube à essai et plus ça mousse plus c’est grave. L’idée étant que plus de protéines virales ou de protéines liées à l’infection passent dans les urines. C’est pas con dira un mec qui a publié sur l’utilité de la mesure de la protéinurie pour évaluer la dysfonction tubulaire proximale dans la COVID 19.

Je n’ai pas l’impression que le test ait eu un grand succès. D’autant plus qu’il n’y avait pas de protéinurie pour juste vérifier que la sévérité n’était pas du au terrain diabète, obésité ou a de la dysfonction tubulaire proximale… Un très mauvais papier à oublier qui démontre encore une fois que dans Pubmed on peut vraiment trouver des trucs nuls.

Que retenir, si vous avez les urines qui moussent, demandez à votre médecin de faire une protéinurie. Pour les médecins, valider ou invalider ce vieux signe ne serait pas du luxe en faisant une étude clinique digne de ce nom.

Note écrite grâce à ce très beau pianiste (Ryuichi Sakamoto) et une réédition récente de cet album solo, 04/05.

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Droite ou gauche

En médecine, savoir reconnaitre sa droite de sa gauche est important. Ceci permet de ne pas se tromper de coté quand on doit intervenir sur un organe pair. C’est mieux d’enlever le rein avec la tumeur que celui sans lésion. Parfois ceci permet de faire un diagnostic juste avec une image.

Il s’agit d’un grand classique, le situs inversus. La compréhension des mécanismes conduisant à la mise en place de la latéralité a largement bénéficié de l’observation d’un modèle murin de maladie rénale, la polykystose rénale autosomique dominante liée à PKD2. Le rôle de la polycystine-2 dans la rupture de symétrie a été confirmée chez le zebrafish. Nous avons été les premiers à publier des cas de situs inversus et d’hétérotaxie associés à des mutations de PKD2 chez l’homme.

Quand on regarde une personne, elle est extérieurement symétrique, par contre tous les vertébrés ont une organisation interne asymétrique. Le cœur est toujours localisé à gauche, par exemple. Pour fonctionner, notre organisme à besoin de cette asymétrie. La rupture de symétrie est précoce. Elle apparait dans une structure qui est présente à 15 jours de vie, le nœud embryonnaire ou organisateur gauche-droite (OGD). L’OGD est constitué de cellules avec des cils motiles qui en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre génèrent un flux orienté vers la gauche à la surface de l’embryon. Ces cellules sont au centre de l’OGD et une couronne de cellules avec des cils immotiles vont sentir le sens du flux et générer l’information qui va déterminer la gauche et la droite (pour une image c’est ici). Une fois que le flux est senti probablement par PKD2 qui génère une modulation du flux calcique un programme génétique va conduire à l’expression de Nodal du coté gauche puis de PITX2 qui va rendre la latéralisation irréversible au niveau du lateral plate mesoderm (LPM) et de l’organisme. J’ai simplifié pour en savoir plus c’est là. La gauchisation est un phénomène actif.

L’organe le plus sensible aux anomalies d’asymétrie est probablement le cœur. Je vous conseille cette très bonne revue sur le sujet. Vous verrez que tous les gènes impliqués dans la latéralisation peuvent donner des anomalies du développement cardiaque. Le zebrafish est un excellent modèle pour comprendre une partie de ces anomalies.

La latéralisation est un phénomène important toujours incomplètement compris, pourquoi les cils motiles se mettent à tourner dans le sens des aiguilles d’une montre? Retenez que bien noter le siège d’une anomalie chez un patient est capital pour faire un soin de qualité.

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